ANKH: Egyptologie et Civilisations Africaines
 Egyptologie, histoire de l'Afrique et sciences exactes
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Une lecture axiomatique de la cosmogonie égyptienne

 

Jean Paul MBELEK

 

 

Voir aussi ANKH n°14/15


 

Contribution à la journée scientifique organisée sous l'égide des associations Khepera et Shabaka Institute, le samedi 04 Octobre 2003 de 14h30 à 18h30, à Paris, sur le thème :

 

"La cosmologie africaine des origines à nos jours"


Résumé :
En me basant sur les textes d'ontologie et de cosmogenèse de la philosophie africaine de la période pharaonique (Théophile OBENGA, La philosophie africaine de la période pharaonique 2780-330 avant notre ère, Paris, L¹Harmattan, 1990, pp. 27 - 103), en particulier le texte du papyrus Bremner Rhind (Théophile OBENGA, La philosophie africaine de la période pharaonique,"Comment l¹Existant vint à l¹existence", pp. 55-63), je suggère une lecture de la cosmogonie égyptienne qui permet d'en saisir l'intention mathématique souvent cachée derrière des textes trop souvent supposés simplement de nature religieuse. Après avoir rappelé d'une part la méthode axiomatique de PEANO de construction de l'ensemble des nombres entiers naturels, et en rapport avec cette construction axiomatique, je commenterai les attributs ontologiques des êtres primordiaux de la cosmogonie égyptienne, dont le Noun (le non-créé initial), (l'être unique qui vint à l'existence par lui-même), Kheper (le principe du devenir, de la transformation), la dualité (le couple Shou/Tefnout, etc ...) et la multitude (tous les autres modes d'existence de Ré).
 

 


I - Introduction


Le mot axiome vient du grec axioma, qui est considéré comme digne ou convenable, évident en soi. Le mot vient de axioein, signifiant considérer comme digne, ou encore de axios signifiant digne.

En mathématiques le mot axiome (synonyme de postulat) représente plutôt un point de départ dans un système de logique formelle qui avec des règles d¹inférence, définissent une logique.

Tout résultat que nous pouvons déduire des axiomes n'a pas besoin d'être un axiome. Toute affirmation qui ne peut être déduite des axiomes et dont la négation ne peut pas non plus se déduire de ces mêmes axiomes, peut raisonnablement être ajoutée comme axiome.

On doit à Giuseppe PEANO la création d'un système de notations susceptibles d'énoncer et de démontrer les propositions mathématiques en utilisant un minimum de signes compatibles avec le raisonnement déductif reposant sur des notions premières acceptées (axiomes).

PEANO Giuseppe (cf. photo in http://serge.mehl.free.fr/chrono/Peano.html) Mathématicien italien (27 Août 1858 - 20 Avril 1932), également linguiste professa le calcul infinitésimal à l'Académie militaire de Turin mais ses travaux portent essentiellement sur la logique mathématique, la théorie des ensembles, l¹axiomatisation de l'ensemble des entiers naturels (en 1889).
 

 


II - L'axiomatisation des entiers naturels par PEANO

 


Cette axiomatisation permet de faire de l'arithmétique sans se soucier de ce que sont les entiers.

Un ensemble N, muni d'une application de succession de N dans N, et d'un de ses éléments, z (le zéro), vérifiera l'axiomatique de PEANO, si :

1. Il n'y a pas de x, élément de N, tel que

s(x) = z.

2. Si s(x) = s(y),

alors x = y.

3. Si une partie M de N est telle que z en soit élément,

et telle aussi que, lorsque x est élément de M, s(x) l'est nécessairement aussi,

alors M = N.

Le troisième axiome traduit la propriété de récurrence. Par l¹axiomatisation, PEANO visait à clarifier totalement les mathématiques, tant dans leurs raisonnements que dans leurs calculs. Par exemple, on peut définir une arithmétique simple, comprenant une addition, en posant

1. un nombre noté 0 existe
 
2. tout nombre X a un successeur noté succ(X)
 
3. X + 0 = X
 
4. succ(X) + Y = X + succ(Y)

En définissant les symboles usuels 1, 2, 3, S pour désigner les successeurs de 0 :

1 = succ(0), 2 = succ(succ(0)), 3 = succ(succ(succ(0))), S on démontre que

succ(X) = X + 1

Ainsi, compte tenu de l'abréviation 2 = succ(1), il vient

1 + 2 = 1 + succ(1)

et du fait de l'axiome 4,

1 + 2 = succ(1) + 1

soit à nouveau prenant en compte l'abréviation 2 = succ(1),

1 + 2 = 2 + 1.

Partant du résultat ci-dessus et poussant plus loin, il vient

1 + 2 = 2 + succ(0) du fait de l'abréviation 1 = succ(0),

soit encore

1 + 2 = succ(2) + 0 du fait de l'axiome 4,

et enfin

1 + 2 = 3 d'après l'axiome 3 et l'abréviation succ(2) = 3.

En résumé, G. PEANO a proposé les 5 axiomes suivants pour construire les entiers naturels :

1. 0 est un entier naturel (c'est-à-dire que l'ensemble des naturels n'est pas vide).
 
2. Tout entier naturel n a un successeur, noté n + 1.
 
3. Aucun entier naturel n'a 0 pour successeur (l'ensemble des naturels a un premier élément).
 
4. Deux entiers naturels ayant même successeur sont égaux.
 
5. Si une propriété se vérifie pour 0 ainsi que pour le successeur de tout entier naturel, alors elle s'applique à tous les entiers naturels (c'est le principe de récurrence).
 

 


III - La cosmogonie égyptienne


1) Le Noun


Le Noun, ou ³fluide primordial, est une notion cosmogonique de l¹Égypte ancienne (2500 av. J. C.). Le Noun exprime l¹idée d¹un état premier (non organisé) de la matière qui précède l¹existence de l¹univers (matière qui s¹organise). Le Noun contient l¹univers à l¹état potentiel. Le Noun précède la cosmogénèse (Théophile OBENGA, La philosophie africaine de la période pharaonique, op. cit., pp. 27 - 63). Le Noun évite les problèmes qu¹implique en cosmologie l¹existence d¹une singularité originelle. Le Noun n¹a pas de prédécesseur. La singularité du non-être qu¹est le Noun se substitue à la singularité des évènements qu¹est le big bang.

2) Ré
 

vint à l¹existence en prenant conscience de son unicité (il prend conscience de lui-même) dans le Noun. Ré est l¹unique, l'un, l'antérieur aux dieux antérieurs, qui créa étant seul dans le Noun un autre mode d¹existence, et les modes d¹existence dérivés de l¹Existant furent multitude (cf. T. OBENGA, op. cit., "Comment l¹Existant vint à l¹existence", pp. 55-63). Ré crée suivant un ordre de succession des évènements. Le plan de la création se présenta devant moi (T. OBENGA, op. cit., p. 57).

3) Le Kheper


Kheper est le principe du devenir, de la transformation.


IV - Lecture axiomatique de la cosmogonie égyptienne

Être                                 Ensemble                 Cardinal


Noun                                     Ø                        0


Ré                                       {ø}                        1 = succ(0)


La dualité                          {Ø, {ø}}                    2 = succ(1)
(e.g., Sw et Tfnwt)

La multitude            {Ø, {ø}, {Ø, {ø}}}               3 = succ(2)

Il importe de garder à l'esprit que la grammaire de l'égyptien ancien
distingue par elle-même le singulier (l'un, l'unique), le duel (la dualité)
et le pluriel (la pluralité ou multitude).

 


V - Conclusion


Une logique mathématique est sous-jacente à la cosmogonie égyptienne, plus précisément la cosmogonie de l'école d'Héliopolis. Notre étude révèle que cette cosmogonie repose sur une logique mathématique de structure analogue à celle mise en oeuvre dans l'axiomatisation des entiers naturels par Peano (le kheper correspond à l'application de succession de Peano). L'égyptologue Serge Sauneron l'avait déjà noté (S. sauneron, "Cosmogonies", in Dictionnaire de la civilisation égyptienne, Hazan, p. 68). Pour cette raison, la nécessité de faire la différence entre le sens vulgaire et le sens scientifique des mots du vocabulaire courant comme l'ont déjà signalé Troy D. Allen, Mario Beatty, Greg K. Carr et Valethia Watkins (Troy D. Allen, Mario Beatty, Greg K. Carr, Valethia Watkins, "The Celestial Sphere in Ancient Egypt", Ankh n° 4/5, 1995-1996, pp. 215-221) et la cohérence qui s'impose dans la traduction des textes cosmogoniques de l'Égypte ancienne, je suggère que l'on traduise désormais le mot "Noun" par "fluide primordial". Il est effectivement d'usage en cosmologie relativiste de considérer l'univers pris dans son ensemble comme un fluide pour décrire son expansion depuis le big bang. On parle alors de "fluide cosmologique", la notion générale et abstraite de fluide pouvant qualifier indifféremment en physique soit un liquide comme l'eau soit un gaz comme l'air.
 

 

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