ANKH: Egyptologie et Civilisations Africaines
 Egyptologie, histoire de l'Afrique et sciences exactes
 Egyptology, Africa History and Sciences
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Rencontre avec le

Professeur Martin BERNAL

 

 

Par Théophile OBENGA

ANKH n°14-15, 2005-2006, pp. 176-181.

 

Ce fut une rencontre heureuse, fructueuse, d’emblée amicale. Depuis longtemps en effet, je désirais rencontrer le professeur émérite Martin BERNAL, auteur de Black Athena, bientôt en trois volumes, si l’on inclut la mordante réponse aux diverses critiques, autant hasardeuses que superficielles. L’œuvre en traduction française comporte jusqu’ici deux volumes.

 

La mère de Martin BERNAL, décédée il y a deux ans, à un âge fort avancé, est la fille même d’Alan H. GARDINER, le plus célèbre des grammairiens, en égyptologie. Martin BERNAL est par conséquent le petit-fils direct de GARDINER. Le père de Martin BERNAL fut physicien, ami des JOLIOT-CURIE. Et sur un ton amical et sérieux à la fois : « J’ai donc beaucoup d’affinités par ma famille, avec le professeur Cheikh Anta Diop ». La conversation s’engagea, au petit déjeuner à deux :

 

Th. OBENGA : Pourquoi n’avoir pas fait alors des études d’égyptologie, avec de tels liens familiaux ?

 

M. BERNAL : C’est qu’à l’époque, j’étudiais le chinois, les sciences politiques et tant d’autres choses.

 

Th. OBENGA : Avez-vous bien connu GARDINER ?

 

M. BERNAL : Bien évidemment ! C’est mon grand-père. Ma mère avait ordonné à son père de remettre un objet précieux, obtenu des fouilles en Égypte, à un musée londonien ! L’objet en question provenait de la tombe de Tout-Ankh-Amon, je crois. Et vous Cheikh Anta DIOP ?

 

Th. OBENGA : Je puis affirmer que j’ai bien connu Cheikh Anta DIOP au plan des problématiques historiques africaines et mondiales. Il prenait tout le temps nécessaire pour répondre à mes questions, à mes interviews. Il le faisait avec joie, plaisir, respectueux de mes naïvetés d’apprenti. En fait, il voulait que je sois très technique, très précis, très professionnel. Cheikh Anta DIOP était un véritable puits des savoirs universels, aussi bien très compétent en philosophie, linguistique comparée, histoire, sociologie, politique, égyptologie, belles lettres, physique nucléaire, chimie, qu’en éloquence oratoire. Mais le plus fascinant, est que Cheikh Anta DIOP, avec tant de savoirs, était d’une humilité absolument exceptionnelle. J’ai été un peu loquace !

 

M. BERNAL : Je comprends ! Vu le contexte de l’époque, je devine que Cheikh Anta DIOP s’est beaucoup confié à vous, étant presque seul étudiant africain en égyptologie à l’époque.

 

Th. OBENGA : Les progrès ont été très rapides depuis. J’ai maintenu presque seul la flamme. Le feu est allumé un peu partout maintenant, sur le continent et en dehors de celui-ci. Les professeurs A. M. LAM et B. SALL, à Dakar, font un travail admirable qui porte déjà de beaux fruits. Changeons un peu de sujet. Comment Black Athena a-t-il été perçu par la critique ?

 

M. BERNAL : La critique est facile, convenue, peu critique elle-même. Elle m’a traité d’  «afrocentriste». C’est de l’ignorance. La critique académique, universitaire, s’est montrée très raciste, encore très attachée à des mythes culturels vieillis, dépassés, de nature hégélienne. Mon traducteur français a reçu des blâmes pour avoir entrepris de rendre accessible mon œuvre au public francophone de l’hexagone et d’ailleurs. Mais nous devons faire ce que nous avons à faire, avec détermination. Le troisième volume de Black Athena porte sur la linguistique. Il verra le jour fin 2006. Au fait, que pensez-vous de la famille « afro-asiatique » ?

 

Th. OBENGA : C’est une véritable escroquerie scientifique, que cette affaire d’« afro-asiatique » ou de « chamito-sémitique ». On y croit par réflexe pavlovien à cause du conditionnement de certains cercles institutionnels. C’est tout. Aucune démonstration probante. La linguistique comparée paraît facile. Il ne s’agit pas de savoir si deux ou trois mots sont plus ou moins identiques dans deux ou trois idiomes différents, même au plan morphologique et sémantique. Il s’agit de faire le plus difficile, le plus probant : rendre compte du système ancien en analysant comparativement les identités et les discordances des témoignages dûment identifiés, pour reprendre un maître en la matière, Émile BENVENISTE. Tout le reste, en dehors de cette rigoureuse méthodologie, n’est que fiction. L’afro-asiatique ou chamito-sémitique serait justement un système ancien. Quel est-il exactement ? Depuis 1844 aucun chercheur n’a répondu correctement à cette question.

 

M. BERNAL : Il y a lieu de distinguer en effet les problèmes strictement linguistiques des problèmes de relations culturelles à travers le témoignage des langues, des faits linguistiques.

 

Th. OBENGA : Je suis d’accord tant qu’il ne s’agit pas de linguistique historique comparative. On ne doit donc pas tirer de cela des conclusions qui ne s’imposent pas. Il faut être très technique, très professionnel. Le conseil, toujours d’actualité, de Cheikh Anta DIOP.

 

J’ai donc eu à rencontrer le professeur Martin BERNAL, homme très savant, mais aussi très humble, le vendredi 17 février 2006, à Fort Lauderdale, en Floride, à l’occasion de la célébration de « Black History Month », organisée par plusieurs autorités politiques, administratives, culturelles et universitaires de la place : Julie HUNTER, Carole BOYCE-DAVIES, Ernestine RAY, Babacar M’BOW (d’après le programme du symposium).

 

Avaient présenté des travaux à l’occasion de ce symposium : Théophile OBENGA, Asa HILLIARD,  Martin BERNAL et Manu AMPIM.

 

Le jour avant, c’est-à-dire le 16 février 2006, j’avais fait une conférence académique à l’Université Internationale de Floride (FIU) devant une assistance nombreuse, mais triée sur le volet. C’était à Miami. Des entretiens eurent également lieu avec des étudiants, des lycéens. Des ouvrages ont été dédicacés. La revue ANKH et d’autres ouvrages édités par « KHEPERA » furent présentés, commentés. L’égyptologie, selon les voies tracées par Cheikh Anta DIOP, est désirée, ardemment, partout dans le monde. C’est le travail seul qui compte, dans l’intégrité des principes légués par Cheikh Anta DIOP lui-même.

 

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