ANKH: Egyptologie et Civilisations Africaines
Egyptologie, histoire de l'Afrique et sciences exactes
 Egyptology, Africa History and Sciences
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La question de l'Âge du fer en Afrique

 

Louise Marie Diop-Maes

 

Article publié dans ANKH n°2

 

 

 

Résumé : Dès 1952, H. LHOTE avait montré, à l'encontre de la "théorie carthaginoise" de R. MAUNY, le caractère autochtone de l'industrie noire-africaine du fer, sans que son argumentation cohérente ait été retenue par les historiens de l'Afrique, malgré la parution, en 1959, des premières datations de la "civilisation de Nok" au Nigéria : -3500 BC, -2000 BC, -900 BC, +200 AD (L.M. DIOP, 1968).

Les dates les plus probantes produites ensuite sont 1°) celles du massif de Termit : en 1972, 10e siècle BC; en 1988, 14e / 15e siècle BC; en 1992, de 1675 à 2900 BC (cf G. Quéchon); 2°) celles de la région du lac Victoria-Nyanza : 13e / 15e siècles BC, en 1982 (cf M.C. Van GrunDerbeek, E. ROCHE, H. DOUTRELEPONT).

Les premières dates de Nok et celle de Ndalane, au Sénégal (environ 2800 BC, cf. C.A. DIOP et G. DELIBRIAS, 1976) imposent de multiplier les recherches et les datations dans ces deux régions. Leur corrélation avec les dernières dates se rapportant au massif de Termit, suggère que la métallurgie du fer est apparue en Afrique occidentale vers 2800 BC, voire plus tôt.

Le fer trouvé en Asie et en Nubie est trop tardif pour expliquer la présence en Égypte, de quelques échantillons de fer de gisement, datant de l'époque des pyramides (27e siècle BC), alors que l'Égypte est dépourvue de ce minerai. Il n'est pas impossible que le fer soit venu du Soudan occidental et central par l'Ennedi (cf. remarques de P. HUARD), dans le cadre d'un réseau d'échanges très étendu, quand le Sahara était moins désertique.

 

Abstract : The Iron Age in Africa H. LHOTE had shown as early as 1952, contrary to R. MAUNY's "Carthaginian theory" the autochtonous characteristic of Black Africa's iron industry, but his consistent arguments had not been taken into consideration by historians of Africa, in spite of the publication in 1959 of the first datations of the Nok civilization in Nigeria : 3500 BC, 2000 BC, 900 BC, + 200 AD (L. M. DIOP, 1968).

The most convincing dates produced later are 1°) those of the Termit massif, in 1972, 10th century BC, in 1988, 14th/15th centuries BC, in 1992, from 1675 to 2900 BC (cf. G. QUECHON), 2°) those of lake Victoria-Nyanza region : 13 th/15th centuries BC, in 1982 (cf. M. C. van GRUNDERBEEK, E. ROCHE, H. DOUTRELEPONT).

The first dates of Nok and Ndalane in Senegal (around 2800 BC, cf. C. A. DIOP and G. DELIBRIAS, 1976) impose us to multiply investigations and datings in these two regions. Their correlation with the last dates concerning the Termit massif, suggest that iron metallurgy appeared in Western Africa around 2800 BC, if not earlier.

The iron found in Asia and in Nubia is too late to give an explanation for the presence in Egypt, of a few samples of an iron deposit dating back to the Pyramid period even though Egypt is lacking in this ore. It is not impossible that the iron should have come from Eastern and central Soudan by Ennedi (cf. notes by P. HUARD) in the framework of a very large spread network of exchanges, when the Sahara was less a desert.

 

 

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Le soufflet à pied qui apparaît en Égypte ancienne au Nouvel Empire. Tombe de Rekhmiré (Thèbes, n°100) où sont représentées des techniques de la métallurgie.

 

 

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Soufflet de forge, Marka, Mali.  Musée de l'Homme (Trocadéro, Paris)  Le forgeron en Afrique noire.  Il s'agit d'un soufflet à pied dont l'usage est attesté au Nouvel Empire égyptien comme l'illustre la reproduction ci-dessus.

 

Ce sujet est toujours à l'ordre du jour [1]

 

 

1. La théorie de l'origine extra-africaine et la théorie de l'origine autochtone

Dans son article "La connaissance du fer en Afrique occidentale"[2], dès 1952 et avant toute datation, H. Lhote, récemment décédé, avait bien vu que l’industrie du fer en Afrique noire était autochtone et ne venait pas de l’Afrique du Nord par le Sahara (contrairement aux affirmations de R. Mauny dont le point de vue imaginaire prévalut sans raison valable) [3].

H. Lhote, à qui il convient de rendre hommage, observa

1. que le soufflet à coupe en poterie est original et proprement soudanais

2. que les Berbères sahariens ne sont pas des métallurgistes : ils méprisent le travail du fer (les "Enaden" sont surtout des réparateurs)

3. qu’il n’a pas été trouvé de traces de hauts-fourneaux au Sahara où pourtant le fer existe et que les Sahariens ne connaissent pas, par eux-mêmes, cette technique ;

4. qu’au contraire, de nombreux vestiges de hauts-fourneaux existent en zone soudanaise jusqu’au 16e parallèle [4] au nord

5. que la limite nord des hauts-fourneaux se trouve approximativement à la limite sud de la racine linguistique BRZL qui désigne le fer en langues sémitiques.

 

Il conclut que :

 

"Les faits ethnographiques, linguistiques, historiques et archéologiques se conjuguent pour affirmer le caractère proprement africain de l’industrie du fer dans le monde noir".

 

Pour R. Mauny, les Noirs ne pouvaient être, a priori, que des esclaves auxquels les Berbères "confiaient les travaux pénibles"[5], comme le travail du fer. Mais il faut en même temps que ceux auxquels on confie ce travail ne le connaissent pas car, par définition, ils doivent être non seulement esclaves, mais aussi incapables de trouver eux-mêmes les procédés d’extraction et de transformation du minerai de fer. Mais comme les Berbères ne le connaissaient pas non plus, comment l’ont-ils appris à leurs présumés esclaves noirs ? Alors, R. Mauny a recours à l’explication suivante : dans la seconde moitié du 1er millénaire avant J.C. les Berbères sahariens (non initiés aux techniques du fer) ont razzié leurs artisans métallurgistes en Afrique du Nord "pour amener de proche en proche l’industrie du fer des rives de la Méditerranée jusqu’aux lisières du monde noir"[6]. C’est la même idée qu’il exprimait plus haut avec plus de précision : "les 'mallems' amenés du nord avaient certainement pour les aider des esclaves du maître pour lequel ils travaillaient" (esclaves, c’est-à-dire esclaves noirs). En clair, il faudrait admettre : 1) que des forgerons "razziés" au nord du Sahara ont enseigné leur technique à des esclaves noirs razziés au sud par les mêmes maîtres berbères, 2) que ces aides-forgerons noirs, soit qu’ils aient réussi à s’enfuir, soit qu’ils aient été "envoyés exprès pour les commodités d’approvisionnement en métal"[7], ont alors implanté l’industrie du fer en Afrique occidentale. Cette transmission et cette translation étant assurées dans la deuxième moitié du 1er millénaire avant J.C. par les "maîtres" berbères, eux-mêmes non initiés à cette technique, et tout cela :

 

– bien que le fer ne soit devenu courant dans les tombes d’Afrique du Nord qu’au 3e siècle BC alors qu’au 4e BC des "Éthiopiens" de la côte atlantique (Cerné), "se servaient de traits durcis au feu" et qu’au 5e siècle BC au moins, l’industrie d’extraction du fer est déjà attestée à Nok (Nigéria) ;

– bien qu’on ne trouve aucune parenté linguistique entre les manières de dire "le fer" en Afrique du Nord d’une part, au Soudan d’autre part ;

– bien qu’il n’y ait pas trace de hauts fourneaux au Sahara.

 

Cette théorie se révélait donc à l’analyse comme une construction de l’esprit reposant sur des idées préconçues et non sur des faits.

Les seuls éléments ethnographiques, linguistiques, historiques, géographiques, archéologiques que l’on avait pu dégager, contredisaient l’hypothèse d’une introduction de l’industrie du fer en Afrique Noire par l’Afrique du Nord et le Sahara. Aux faits mis en évidence par H. Lhote dès 1952, on pouvait ajouter d’autres considérations.

Le forgeron occupe une place considérable dans la vie traditionnelle africaine, soit dans les légendes, soit par les fonctions importantes et diverses que le forgeron et sa femme exerçaient dans le village d’Afrique noire. Le culte du dieu Gou ou Ogun, dieu du fer et de la guerre, incline aussi à supposer le caractère traditionnel de cette industrie dans la société africaine.

 

Les grands Empires noirs, sahéliens ou soudanais, du plus ancien (Ghana) au plus récent (Songhaï) mordaient largement sur le Sahara dont de vastes portions étaient directement administrées par des gouverneurs noirs [8].

Qui nous dit qu’avant les invasions arabes, les Berbères étaient les plus nombreux et les grands vainqueurs au Sahara central et méridional ?

 

Les populations noires vivant jadis au Sahara, et ultérieurement soumises par les musulmans arabo-berbères dans les oasis et les massifs montagneux, ont très bien pu constituer alors, et alors seulement, ces "castes méprisées" de forgerons, comme les Haddads [9], mais qui connaissaient, probablement depuis de nombreux siècles, le travail du fer. D’autre part, rappelons ici que les "Haratins" ne sont pas seulement des esclaves noirs amenés là par des caravaniers et trafiquants d’esclaves, mais représentent aussi, peut-être surtout, un peuplement résiduel du Sahara néolithique, humide et négroïde.

 

A cette polémique, les articles détaillés de P. Huard apportaient des éléments supplémentaires[10]. Il écarte, par exemple l’origine libyco-berbère de la sagaie teda[11]. Il rapporte, d’après V. Pâques, deux traditions sur l’introduction de la métallurgie au Fezzan : à Sebba, par des Juifs venus du nord, à Ghât par des forgerons venus du Soudan[12]. Le groupe passe, écrit-il, "pour avoir été l’un des premiers à avoir travaillé le fer au Tchad..., les Zaghawa sont mentionnés depuis le 8e siècle par les chroniqueurs arabes... Ils ont conservé la pratique des sacrifices agraires qui se concilie mal avec une islamisation supposée vieille d’un millénaire"[13]. Comment les chroniqueurs arabes décrivent-ils les Zaghawa ?

Ibn Munabbet (738) "compte les Zaghawa parmi les peuples du Soudan" ;

Idrisi (12e siècle) "les dépeint comme des nègres chameliers occupant la zone comprise entre le Fezzan et le Chari, le Xaouar et le Darfour" ;

Ibn Khaldoun (14e siècle) "compte parmi les royaumes noirs du Soudan, les Zaghawa".

 

Dans l’Ennedi, P. Huard a montré "l’importance des témoignages figurés et des vestiges archéologiques concernant l’ancienneté du travail du fer". "Le poignard de bras dont l’aire très étendue, écrit-il, va du Nil au Hoggar et au Moyen-Niger, est figuré à Halléma (corne nord-est de l’Ennedi) au bras d’un lancier habillé, d’âge du fer avancé, finement gravé avec son troupeau de boeufs, dont deux ont des cornages déformés, pratique des pasteurs du groupe C de Nubie, qui s’est propagée dans tout le Sahara tchadien et encore attestée au Tibesti à l’âge du fer"[14].

 

Cependant, en 1964, donc onze ans après l’exposé des théories opposées de H. Lhote et de R. Mauny (1952-1953), à la suite et en dépit des observations qu’il a faites et qu’on vient de rapporter, P. Huard admettait néanmoins dans la première partie de ses conclusions, sans la moindre réserve et sans que l’on comprenne par quel raisonnement, l’hypothèse d’une transmission lente et progressive du fer méditerranéen au monde noir de la manière suivante

1. 3e siècle avant J.C. : arrivée par trafic indirect du fer ouvré provenant du domaine carthaginois ("datation proposée par R. Mauny")

2. 4e siècle après J.C. : acquisition par les noirs soudaniens du travail du fer d’origine méditerranéenne ("datation due à W. Cline").

 

Et pourtant il ajoutait :

 

"Les traces d’un apport antique possible du fer méditerranéen aux cornes nord-est et nord-ouest du Tibesti sont recherchées sur le terrain"[15].

 

Ce qui laisse supposer que, jusqu’ici, les traces d’un tel apport n’ont pas encore été trouvées.

 

Par contre, on retiendra comme éléments importants de ses conclusions les propositions suivantes:

 

- "Ce qui a été dit des métaux dans le centre du Tchad et à l’ouest du lac montre que les questions qui s’y rattachent débordent - territorialement et par leur portée - le cadre des confins sahariens, dont l’intérêt est d’avoir enregistré latéralement des témoignages de transmission est-ouest dans la zone de parcours entre le Nil et le Niger, où le fer s’est inscrit parmi les facteurs d’une évolution ayant abouti à la création d’états organisés".

 

- "Mais du Tchad au Mossi, les éléments traditionnels recueillis, se rapportant à l’âge local des métaux, sont déformés, fragmentaires et non coordonnés, et ils restent à mettre à leur place respective au sein des courants issus de la vallée du Nil, dont WAINWRIGHT au Nigéria et Arkell au Ghana ont mis en évidence des faits limites de transmission matérielle ou culturelle"[16].

 

En résumé, si l’on n’avait aucune preuve tangible d’un courant nord-sud de l’industrie du fer à travers le Sahara, en revanche, des témoignages variés, particulièrement archéologiques, permettaient d’affirmer une parenté de l’industrie ancienne du fer dans une zone très vaste allant du Nil au Tibesti, d’une part, au Tchad et à l’ouest de ce lac, d’autre part, en passant par l’Ennedi.

 

On en déduisait qu’il avait pu y avoir transmission latérale d’est en ouest, non seulement à travers le Sahara méridional, mais aussi à travers tout le Soudan du Nil au Niger, le point de départ étant dans les deux cas, la Nubie.

 

Cependant, en l’absence de datation certaine, tant pour les débuts de l’industrie du fer en Nubie que pour tous les autres sites signalés au Soudan central, occidental et ailleurs, cela pouvait également signifier une immense aire de dispersion de l’industrie du fer, avant même les migrations de population qui se seraient produites à partir de la vallée du Nil vers l’ouest, le sud-ouest et le sud depuis le 6e siècle BC environ[17].

 

En effet, concernant l’âge de la métallurgie du fer au Nigéria, Basil Davidson signale dans son ouvrage L’Afrique avant les Blancs [18] que "quatre fragments de charbon de ces étages de Nok ont révélé au radio carbone des datations d’environ 3500, 2000, 900 BC et 200 AD".

 

L’auteur rapporte ensuite le commentaire suivant de Bernard Fagg :

 

"Les deux premières dates proviennent presque certainement de sédiments plus anciens, tandis que – 900 avant J.C. (environ le commencement de la pluviation de Nakura) et 200 après J.C., marquent probablement les limites supérieures et inférieures de la civilisation des figurines de Nok".

 

Il est ici nécessaire d’attirer l’attention sur le fait que la supposition selon laquelle les deux premières dates proviendraient de sédiments plus anciens, est gratuite. On reste circonspect devant les interprétations tendant à rajeunir les faits en dépit des résultats objectifs fournis par les méthodes scientifiques.

 

On ne s’explique guère quelle constatation archéologique a conduit P. Huard à faire la remarque suivante[19].

 

"B. Fagg a réduit récemment quelque peu l’obstacle que ces datations opposent à une future explication d’ensemble de la diffusion du fer dans l’Afrique de l’Ouest en écrivant : 'On pense maintenant que la culture de Nok est le produit d’une révolution qui s’est produite autour de l’introduction du fer et qui fut probablement florissante entre –400 (probablement pas aussitôt que –900) et +200'. "Dans le contexte général de cette étude, poursuit Huard, c’est évidemment la fin de cette période qui nous paraît seule recevable".

 

Nous ne voyions naturellement aucune raison de le suivre dans cette opinion.

 

Dans la région tchadienne, le bovidien récent, époque à laquelle l’usage du fer est attesté, est considéré comme datant du 1er millénaire BC. Or, P. Huard note que "dans le bovidien récent de l’Ennedi, le style de Fada, que nous avons considéré comme antérieur au fer, a livré à Bailloud des lances à armatures". D’autre part, le groupe C de Nubie (auquel un lancier accompagné d’un troupeau de bœufs, figuré dans la corne nord-est de l’Ennedi, est apparenté) débute, selon Arkell, à la fin du 3e millénaire BC (entre –2300 et –2150) [20].

 

Ainsi, dès 1967-68, l’analyse des faits et des arguments me permettait de conclure :

 

1. que selon toute probabilité, la métallurgie du fer dans le continent africain est autochtone et n’y a pas été introduite par des influences extérieures ;

 

2. que cette industrie ancienne et traditionnelle est restée très vivace jusqu’à l’époque de la colonisation ;

 

3. que l’on a affaire à des civilisations transitionnelles, sidérolithiques (dans lesquelles les industries de la pierre et du fer coexistent) selon l’expression de W. Fagg ;

 

4. que l’établissement d’une chronologie pour l’Afrique noire n’en est encore qu’à ses premiers balbutiements. L’imprécision est telle que l’on pourrait aussi bien considérer que l’Âge du fer a pu débuter au cours du 3e millénaire BC, qu’au cours du premier (Nok) ;

 

5. que les découvertes archéologiques qui ont été faites jusqu’ici ont révélé, comme principaux sites d’une industrie sidérolithique, le Nigéria, le Mali, le Tchad, la Zambie, la région des Grands Lacs. Mais cette liste n’est nullement limitative. Le professeur Hiernaux signale que la dimple based pottery a été récemment découverte au Kasaï (Congo). Et William Fagg écrit : "Il est bien possible que l’on ne connaisse pas certains vestiges de cultures anciennes, profondément enterrés et qui n’ont pas la chance de se trouver au milieu de roches susceptibles d’être analysées". Il exprime plus loin l’idée que bien des civilisations enfouies dans le sol de l’Afrique risquent de ne jamais revoir le jour.

 

Dans cet ordre d’idée, un autre facteur qu’on ne saurait surestimer est la vitesse de disparition par oxydation de tous les objets en fer sous les climats chauds et humides d’Afrique ;

 

6. que, dans ces conditions, il paraît tout à fait prématuré d’affirmer quels ont été les premiers centres de diffusion du fer en Afrique et quelles furent les routes de diffusion du fer à travers l’Afrique, d’autant que les différents centres métallurgiques déjà trouvés semblent se situer tous dans une Antiquité assez lointaine. Le professeur HIERNAUX a écrit en 1962 : "Si nous sommes tentés de regarder vers Méroé, où les scories de fer forment des amas importants, lorsque nous cherchons le foyer de la métallurgie en Afrique centrale et orientale, nous devons en fait attendre des données plus étoffées, avant de pouvoir formuler des hypothèses suffisamment étayées"[21].

 

S’il semblait donc prouvé, dans les années soixante, que la métallurgie traditionnelle du fer en Afrique était très ancienne, largement répandue et autochtone, il restait, par contre, à déterminer les foyers d’origine de cette métallurgie, leur datation exacte et les hypothétiques routes du fer à travers le continent [22].

 

Toutes ces considérations n’empêchèrent nullement que l’on continue à enseigner imperturbablement le tracé de la transmission des techniques du fer depuis l’Afrique du Nord jusqu’au Soudan occidental à travers le Sahara. On oublia même que c’était Henri Lhote qui découvrit les caractères original et autochtone de l’industrie du fer en Afrique occidentale.

 

2. Les confirmations de l'invention autochtone

de la métallurgie du fer

Malgré l’accumulation des datations, lente il est vrai, il faudra attendre le premier colloque international de l’archéologie du Cameroun tenu à Yaoundé du 6 au 9 janvier 1986, et dont les actes viennent d’être publiés [23], pour trouver enfin la phrase suivante :

 

"De longues et stériles querelles ont conduit certains chercheurs à s’opposer aux résultats évidents des recherches archéologiques. La cause semble bien, aujourd’hui, entendue. Les fondeurs étaient des Noirs..." [24].

 

Encore l’auteur fait-il allusion, ici, surtout au cuivre.

 

A propos, d’une industrie microlithique du nord-est du Zaïre, le préhistorien belge F. Van Noten a écrit [25] : "L’industrie d’Ishango a été datée de 21 000 +/- 500 BP soit 19 000 BC, ce qui avait paru trop vieux... Mais vu les dates obtenues à Matupi, ce résultat semble aujourd’hui moins improbable". Voilà comment ont été écartés, systématiquement, des faits et des dates qui ne cadraient pas avec la vision qu’on a des choses. En 1984, dans leur important ouvrage "La datation du passé, la mesure du temps en archéologie"[26], R. P. Giot et L. Langouët spécifient que, contrairement à ce qu’on dit, une seule date est déjà une indication (mais qui nécessite confirmation), et que la qualité de l’échantillon, à tous points de vue, est l’élément essentiel.

 

Il faut souligner le fait que les dépôts de Nok ont fourni des haches en fer "encore de la forme grossière de la pierre"[27]. D’où l’appellation de civilisations "sidéro-lithiques" que W. Fagg donne à ces cultures qui passent directement de la pierre au fer et continuent de développer parallèlement ces deux industries.

D’autre part, en 1976, C.A. Diop commentait les datations de Nok de la manière suivante :

"Des figurines de Nok trouvées en place, à 12 m de profondeur avec des scories, des tuyères, ont pu être datées au 14C grâce à des brindilles de bois carbonisé associées. Les âges obtenus sont les suivants : 3500 BC, 2000 BC, 900 BC. Ces dates sont peut-être excessives pour l’âge du fer en Afrique, mais aucun des arguments avancés pour les rejeter n’est scientifiquement valable, ou consistant. Il convient donc de les prendre en considération, sous réserve que d’autres faits viennent les confirmer ou les infirmer.

 

 

Fagg a omis de fournir un schéma intelligible de la mise en place, par alluvionnement des brindilles (matériaux polluants) ; on remarquera qu'il est impossible d'atteindre la zone (supposée) de provenance des brindilles, en amont, sans arracher auparavant d'autres brindilles contemporaines du ravinement, c'est-à-dire de l'âge conventionnel du fer (500 BC), et que l'on aurait dû trouver associées avec les premières d'âge plus ancien : ce qui n'est pas le cas.

 

L'idée de Fagg, selon laquelle la méthode du 14C n'était pas encore au point au moment où les dates ont été effectuées, est fausse et ne doit pas être retenue.

Le diagramme d'interprétation ci-dessus correspondrait, à peu près, à l'idée que les inventeurs des dates se font de la mise en place des matériaux, ainsi que cela a semblé ressortir de la conversation que j'ai eue avec le professeur Th. Shaw à ce sujet lors du congrès de l'U.I.S.P.P. en septembre 1976 à Nice.

 

Or, la fouille d’un tumulus au Sénégal à 25 km de Kaolack (Ndalane) a révélé des faits qui ont été jugés aberrants par leur inventeur G. Thilmans, IFAN, Dakar [cf. C. A. Diop, "Datations par la méthode du radiocarbone, série III", Bulletin de l’IFAN, t. XXXIV, série B, n° 4, 1972, pp. 678-701. Voir p. 690 DaK-110 et DaK-111.].

La datation croisée par Dakar et Gif-sur-Yvette, dans des conditions choisies par l’inventeur, de charbons recueillis en place, à 330 cm de profondeur, a donné les résultats suivants :

DaK-110 = 4811 +/- 137 BP soit 2861 +/- 137 BC

GIF-2508 = 4770 +/- 115 BP soit 2820 +/- 115 BC

résultats d’autant plus significatifs si l’on sait que Mme Delibrias, à Gif, n’était pas au courant des valeurs que j’avais obtenues.

Or, il importe de souligner que l’on a extrait de ce tumulus tout un outillage en fer et en cuivre associé à un Néolithique finissant, de tradition capsienne. La difficulté vient du fait, qu’au premier abord, on n’oserait pas faire remonter ce matériel à une époque aussi lointaine.

Bien que la méthode de datation par la thermoluminescence soit encore semi-empirique[28], il serait intéressant de l’utiliser pour tester les tuyères de Nok et la poterie du tumulus de Ndalane ; cela permettrait de trancher rapidement la question.

Enfin, des datations que nous avons établies pour M. ROSET, hélas dans de très mauvaises conditions de prélèvement, que celui-ci avoue, si elles sont confirmées, feront passer l’âge du fer au Sud-Sahara du 5e siècle avant J.C. au 10e avant J.C. "massif du Termit".

DaK-145 = 2628 +/- 120 BP soit 678 BC

DaK-147 = 2924 +/- 120 BP soit 974 BC

DaK-148 = 1747 +/- 110 BP soit 203 après J.C.

Les faits ci-dessus indiquent que nous allons peut-être vers une remise en cause de l’âge du fer en Afrique noire. [29] "

 

 

Depuis lors, de nouvelles recherches ont été menées dans différentes régions et d’autres dates fournies.

 

En fait, dans l’ouest de la région même de la culture de Nok, à Taruga, des datations supplémentaires ont été obtenues, la plus ancienne remontant au 9e siècle BC [30]. Au nord de cette région, dans le district du massif de Termit, Niger oriental, l’abondance des vestiges d’une métallurgie ancienne du fer (fourneaux, scories, creusets, objets divers) permit à J. P. Roset et G. Quéchon de faire dater quatre échantillons de charbons au laboratoire de l’IFAN à Dakar (C.A. Diop), nous venons de le voir. Ils publièrent les résultats en 1974 dans les cahiers de l’ORSTOM [31]. La date la plus ancienne faisait remonter à 974 BC environ l’âge du fer dans le secteur ouest du massif de Termit [32]. Ce que d’aucuns jugèrent peu plausible. Mais à la suite de nouvelles fouilles effectuées par G. Quéchon, d’autres datations ont été fournies par deux laboratoires des Universités de Paris (J. Ch. Fontes et J. F. Saliège). De nouveau, on constate non seulement qu’elles confirment les précédentes, mais qu’elles situent l’Age du fer dans le 2e millénaire BC, avant 1350 [33]. De telles dates excluent, bien évidemment, la prétendue origine nord-africaine de la métallurgie du fer en Afrique subsaharienne occidentale et confirment la justesse du raisonnement de H. Lhote sur cette question.

 

Tout cela n’empêche malheureusement pas C. Coquery-Vidrovitch d’écrire encore en 1993 que la civilisation de Nok aurait appris la technologie du fer "à partir d’influences carthaginoises", par l’intermédiaire du Sahara central [34], énoncé plus confirmé qu’infirmé par la phrase suivante, à propos de la métallurgie de l’Afrique occidentale :

 

"les dates et le style des fours étant plus anciens que l’industrie du fer de Méroé, on en a conclu que la technologie était soit autochtone, soit, plus probablement, diffusée à partir de l’Afrique du Nord punique" [35]. (Souligné par nous).

 

En outre, dans le Journal des Africanistes (62, 2, 1992 : pp. 55-68), en association avec F. Paris, A. Person et J.F. Saliège, Gérard Quéchon écrit :

 

" … dans la région d’Egaro (Ouest de Termit), deux poteries provenant de sites qui ont livré des objets en fer, ont fourni des dates encore plus anciennes : 2520 et 1675 BC et même 2900-2300 BC d’autre part. Ces dates ont été obtenues dans de bonnes conditions de fiabilité, en laboratoire (Saliège, Lodyc, Univ. P. et M. Curie) comme sur le terrain (mission Paris et Quéchon, 1986)". (Souligné par nous).

 

" La probabilité que l’âge calibré soit situé dans cet intervalle de temps est de 95% (intervalle de confiance 2a). La table de calibration utilisée est celle de Klein et al. 1982"[36].

Certes les auteurs publient ces deux dates "avec toutes les réserves d’usage" et "en attendant confirmation par d’autres résultats", mais le rapprochement avec la date obtenue à Ndalane (Sénégal) s’impose (cf. ci-dessus publication C. A. Diop, in Notes africaines, n°152, octobre 1976, IFAN, Dakar), ainsi qu’un réexamen des couches inférieures de Nok et des sites environnants.

 

 

Figure 2 : Localisation des sites datés les plus anciens de l'âge du fer en Afrique

(entre 900 BC et 2900 BC).

Dans l’ouvrage, par ailleurs clair, précis et bien documenté de Marianne Cornevin, qui restitue habituellement l’historique des recherches, l’argumentation pertinente de H. Lhote (1952) est totalement passée sous silence ainsi d'ailleurs que l'article de C. A. DIOP, ci-dessus cité (1976) et le mien (1968). La suggestion d’une invention indépendante de la métallurgie du fer au sud du Sahara et la mise en doute de la "théorie carthaginoise" y sont présentées comme datant de 1985, avec un article de D. W. Phillipson dans African Archaeology ! (p. 119).

Dans sa contribution à Métallurgies Africaines [37], intitulée "Les métallurgies du cuivre et du fer autour d’Agadez...", D. Grebenart indique que l’Âge du fer ancien est représenté par une quarantaine de sites implantés au sud de la falaise de Tigidit (p. 114). "Il commence à partir de 500 BC environ et semble avoir eu une origine méridionale" (p. 110) (souligné par nous). Depuis, il a trouvé des dates plus anciennes (9e siècle).

Dans le Nord-Cameroun, A. Marliac a obtenu un Âge du fer à 700 BC, couche plancher [38]. Il faudrait pouvoir creuser plus profondément. Au Gabon, l’Âge du fer débute vers 600 BC [39], ou même peut-être plus tôt.

 

Dates calibrées

N° de labo

Date BP

av. et ap. JC

Sites

Associations

Beta 14834

Gif 7130

Gif 7774

Beta 15067

Beta 15063

2640 +/- 70

2400 +/- 50

2310 +/- 70

2260 +/- 120

2130 +/- 110

-961 / -559

-752 / -401

-736 / -203

-740 / -38

-390 / +72

Otoumbi 2a

Otoumbi 2a

Lopé 10

Otoumbi 5

Lopé 4

Four

Four

Four

Céramique, scories

Four

 

Tableau : Mesures radiométriques des stades néolithiques et Age du Fer Ancien de la moyenne vallée de l’Ogoué. Extrait de The African Archaeological Review, 10, 1992, Richard Oslisly et Bernard Peyrot, "L’arrivée des premiers métallurgistes sur l’Ogoué, Gabon".

 

 

"Au Gabon dans la moyenne vallée de l’Ogoué, dès ca 2600 BP, des fondeurs sont présents mais de manière ponctuelle et isolée sur les sites d’Otoumbi 2 (2 640 +/- 70 et 2 400 +/- 50 BP) et de Lopé 10 (2 310 +/- 70 BP) ; ils ne laissent curieusement aucun vestige de céramique (Oslisly 1992a). Plus tard des fondeurs apparaissent à Moanda dans le Haut Ogoué ca 2300 - 2100 BP (Schmidt et al. 1985), près d’Oyem ca 2280 BP (Clist 1989) et dans l’est du pays à Makokou ca 2150 BP (Peyrot et Oslisly 1987)".

 

Les auteurs indiquent également que :

 

"sur les rives de la moyenne vallée de l’Ogoué, c’est vers 2300 - 2200 BP que l’on assiste à une nette expansion des fondeurs de tradition Okandienne identifiée sur les sites d’Otoumbi 5 (2 260 +/- 120 BP) et Okanda 2 (2110 +/- 70 BP), qui vont largement dominer l’espace des enclaves savanicoles de la réserve de Lopé / Okanda (sites d’Okanda et Lindili) jusqu’à ca 1 900 - 1 800 BP".

 

Si nous nous portons en Afrique centre-orientale ou "interlacustre", les travaux de Marie Claude Van Grunderbeek, Émile Roche et Hugues DOUTRELEPONT y ont révélé "des traces très anciennes" de la métallurgie du fer [40]. Les dates obtenues au Burundi (ca 1 230 BC au site de Rwiyange I, ca 1 210 BC, au site de Mubuga V) sont mises en parallèle avec les datations se rapportant aux sites bordant le lac Victoria : ca 1470, ca 1250 et ca 1080 BC (à Katuruka, rive sud du lac). Autrement dit, c’est au 13e siècle BC et peut-être au 15e que l’Âge du fer est attesté dans cette région. D’où la conclusion des auteurs :

 

"Au vu de la grande ancienneté de certaines datations, les hypothèses émises quant à la diffusion de la technologie du fer en Afrique interlacustre mériteraient d’être reconsidérées".

Contrairement aux théories soutenues par M. Guthrie et J.H. Greenberg (et généralement admises), F. Van Noten pense que la connaissance du travail du fer n’est pas liée à une "expansion Bantu", car :

"On constate, en comparant, dans les langues bantu, les termes en rapport avec la métallurgie, qu’il existe une grande diversité pour des termes importants du vocabulaire de la forge". [41]

"Cependant, poursuit-il, quelques reconstructions font penser à un usage du fer au niveau du proto-bantu, tels forges, marteau et soufflet... Enfin, d’autres termes de la métallurgie paraissent avoir une origine identique dans les langues bantu et non bantu... il est difficile d’admettre que, si les "Bantu" travaillaient le fer avant leur expansion, nous n’en trouvions pas de traces linguistiques évidentes".

 

"En l’absence d’écriture, l’archéologie ne permet pas d’établir de corrélations directes entre les documents de l’âge du fer et la notion linguistique de bantu"[42].

 

Th. Obenga [43] rappelle que maints peuples africains désignent le fer "par la même métaphore que les clans égyptiens" : métal du ciel. Ce qui repose, en même temps, la question de l’origine du fer en Égypte pharaonique et en Nubie, par rapport au fer de l’Afrique orientale, centrale et occidentale. A ce sujet, C.A. Diop écrivait :

 

"L’usage du fer de minerai, par opposition au fer météorique, est attesté en 2 600 avant J.C. en Égypte, par plusieurs spécimens de fer doux [44]; on n’a jamais tiré les conséquences de cette importante découverte. Or, la fonte est un alliage de fer et de carbone contenant environ 6 % de carbone ; c’est pour cela qu’elle est cassante. Le fer doux, ou pur, est théoriquement exempt de carbone, ce qui explique sa malléabilité. On passe de la fonte au fer doux par élimination progressive du carbone contenu dans l’alliage spécial qu’est la fonte ; au cours de cette opération de réduction du carbone, on passe par toutes les concentrations intermédiaires de carbone dans le fer, correspondant aux différentes variétés de fontes, puis d’acier : l’acier n’étant lui-même qu’un alliage de fer et de carbone contenant moins de 0,85 % de carbone" [45].

 

"Donc, qui a fabriqué du fer doux est passé par l’acier ; tel était le cas des Égyptiens des pyramides, tel est aussi le cas du forgeron de l’Afrique noire. Il importe de distinguer deux types de forgerons :

 

a) Celui qui produit la fonte à partir du haut fourneau et dont la tâche s’arrête là ; il est le producteur du fer noir : wen bu nuul (en walaf) [46]. C’est le forgeron métallurgiste.

b) Le forgeron affineur qui, par un réchauffage et un martelage appropriés de la fonte, réduit le carbone jusqu’au taux voulu correspondant au type d’acier ou de fer désiré ; son travail équivaut à celui réalisé dans un convertisseur Bessemer, où l’on réduit la fonte en acier. L’acier ne sort donc jamais d’un haut fourneau, ce serait trop beau ; il est l’œuvre du forgeron affineur.

 

"Ainsi, compte tenu du processus de fabrication, il serait absurde de dire que les Africains n’ont pas connu l’acier et qu’ils n’ont su fabriquer que du fer doux ; qui peut le plus peut le moins ; celui qui a fabriqué du fer doux aurait pu s’arrêter en cours de réduction pour obtenir de l’acier ; s’il a fabriqué du fer "dur" ou de l’acier doux, c’est que les usages domestiques l’exigeaient. La performance technique c’est donc bien plus la fabrication du fer pur que celle de l’acier : aujourd’hui, les spécialistes se perdent en conjectures devant les deux spécimens de fer pur (d’époques plus récentes que le fer des pyramides) trouvés en Inde et en Chine. Comment expliquer pour l’époque un tel pouvoir réducteur qui donne du fer absolument pur ?

"A quelle époque remonte cet Âge du fer en Afrique ?"

 

Les éléments réunis semblent devoir conduire dans un très proche avenir à remettre en question l’Âge du fer en Afrique noire.

 

La maîtrise de la métallurgie du fer par les Égyptiens 2600 BC est attestée ; à l’époque, ce fer ne pouvait pas provenir de l’Orient, l’Égypte n’ayant pas de minerai de fer, celui-ci ne pouvait venir que de la Nubie et du reste de l’Afrique Noire. Dès l’Ancien Empire, les Égyptiens avaient l’habitude d’installer dans ces régions, en Nubie et au pays de Koush, des factories pour traiter les matières premières extraites du sol sur place. Ainsi fabriquait-on des meubles de luxe au cœur de l’Afrique noire. Le même procédé a dû être employé pour le traitement du minerai de fer à une époque très ancienne qui reste à déterminer. Ce n’est que lorsque les recherches seront plus avancées que l’on saura, de l’Égypte ou de l’Afrique intérieure, qui a influencé l’autre. Cela donne, à nos yeux, un regain d’intérêt à quelques découvertes importantes, mais dont l’interprétation a été escamotée (Lepsius, Denkmäler aus Aegypten und Aethiopien, Dritte ABTEILUNG, BI 117)" [47].

 

En ce qui concerne la Nubie, il faut distinguer la région nord, entre la première et la quatrième cataracte, et la région située au sud de la cinquième cataracte. Dans la revue Meroïtic Studies, Meroïtica 6, S. 17-18, Berlin 1982, Peter L. Shinnie et François J. Kense (Calgary) ont publié un important article intitulé : "Meroïtic Iron Working", qui indique que des objets en fer datant de la 18e dynastie (1580-1320 BC), existaient sporadiquement en Égypte :

 

"They are not necessarily proof that iron was being smelted in Egypt and it may have come from western Asia in lingot form and have been forged into objects of use or ritual in Egypt",

 

notent-ils, sans imaginer qu'il pourrait aussi venir du Soudan central (Termit). En Nubie "a few iron objects were founds in royal tombs from at least the time of Taharqa" (p. 20), c’est à dire début 7e siècle BC (région de Napata, en aval de la quatrième cataracte). A Méroé (entre la cinquième et la sixième cataracte)

"The earliest fragment of slag from iron smelting was found in a level which carbon 14 dates suggest is to be dated somewhere in the late sixth century BC".

 

Mais la technique révélée par les vestiges des fourneaux et soufflets est différente de celle qui était pratiquée en Égypte. Sauf à trouver sur des sites non encore explorés, ou en profondeur, des vestiges plus anciens de la métallurgie du fer en Nubie, dans l’état actuel des recherches, Méroé ne peut plus être considérée comme un centre possible de diffusion du fer à travers l’Afrique, puisqu’en Afrique occidentale et en Afrique orientale interlacustre, la présence du fer est attestée entre le 13e et le 15e siècle BC, soit six à sept cents ans avant qu’elle ne le soit en Nubie, sans même évoquer les sites de Nok, Ndalane et les dates les plus anciennes du massif de Termit (3e millénaire BC). En fait, chaque région a des types particuliers de fourneaux et de soufflets (cf. annexe). Cependant, dans les premiers siècles de notre ère, ceux de Méroé sont, selon R. F. Tylecote (London), apparentés aux fourneaux romains [48]. Mais, lors d’une récente soutenance de thèse consacrée à des fourneaux centrafricains, il a été observé que les forgerons fondeurs modifiaient leurs fours et leurs procédés selon les nécessités et les circonstances (qualité et nature du minerai, usage auquel la matière à sortir du fourneau est destinée…). Dans ces conditions, il paraît difficile d’établir une typologie serrée des fourneaux. Parentés et différences changent alors de signification. Les critères de classification sont de ce fait très complexes.

 

Nous ne savons toujours pas où la métallurgie du fer a débuté en Afrique. Mais sa technique a pu se répandre de proche en proche, sans déplacement massif de peuples.

 

S. Lwanga-Lunyiigo (Ouganda), co-auteur du chapitre 6 du vol. III de l’Histoire générale de l’Afrique (Unesco 1990), expose son opinion en ces termes (pp. 186-187) :

 

"En appuyant mes conclusions sur des preuves archéologiques, j’ai récemment émis l’hypothèse que les populations de langues bantu occupaient depuis des temps très anciens une large bande de territoire allant de la région des Grands Lacs d’Afrique orientale au littoral atlantique du Zaïre, et que leur prétendue migration depuis l’Afrique occidentale vers l’Afrique centrale, orientale et méridionale n’avait jamais eu lieu.

 

Les faits connus indiquent que des peuples de type physique négroïde occupaient l’Afrique subsaharienne depuis l’Âge de pierre moyen et que les populations de langues bantu descendent de cette souche négroïde. Il se peut que les langues bantu se soient développées sous l’effet de l’interaction de diverses collectivités noires primitives, se faisant des emprunts mutuels qui ont abouti à l’apparition de nouvelles langues bantu à partir de ces amalgames linguistiques variés. Cela n’élimine pas, assurément, le facteur génétique tendant à démontrer l’origine unique des populations de langues connexes, mais on doit souligner que le facteur génétique avancé par les linguistes pour expliquer l’origine ou les origines des Bantu n’est en aucune façon exclusif.

Les vestiges archéologiques témoignent de la présence en Afrique subsaharienne de plusieurs zones d’établissements noirs primitifs… En Afrique de l’Ouest, la preuve la plus ancienne de la présence noire vient d’Iwo Eleru au Nigéria occidental, où a été exhumé un crâne "proto-noir" remontant au début du 10e millénaire (–9250) avant l’ère chrétienne...".

 

Je partage ce raisonnement. Il est d’ailleurs corroboré par les considérations linguistiques de F. Van Noten et de Th. Obenga, exposées ci-dessus.

 

En Zambie, le fer est présent au moins au début de l’ère chrétienne. En Afrique du Sud (rive méridionale du Limpopo) la métallurgie du fer est attestée au 3e siècle AD.

 

La présence même de cette industrie du fer qui se développe, en Afrique subsaharienne, parallèlement à celle de la pierre et des autres métaux (cuivre, or, étain, bronze,...) implique, notons-le au passage, une population relativement nombreuse. Le commerce existait déjà en Afrique noire à cette haute époque (cf. les expéditions du chef de caravane égyptien Herkouf, déjà mentionnées à la fin de la IVe dynastie, vers 2400 BC). De plus, "un certain nombre d’objets trouvés en fouilles montrent que, dès l’Âge du fer ancien, il existait de vastes réseaux d’échange" [49]. F. Van Noten observe que ce commerce devait être "principalement limité" aux zones proches des grands fleuves, car les sites éloignés des axes fluviaux ou de la région interlacustre fournissent fort peu d’objets importés.

 

 

3. Conclusion

Depuis une trentaine d'années, plusieurs dates particulièrement importantes ont été acquises qui permettent de préciser très notablement l'ancienneté de la métallurgie du fer en Afrique noire. Le point de nos connaissances sur le début de l'Âge du fer en Afrique se présente comme suit :

1. Une métallurgie du fer certaine entre le 13e et le 15e siècle BC

- d'une part dans la région du massif de Termit (entre le lac Tchad et l'Aïr)

- d'autre part, à l'ouest du lac Victoria-Nyanza et sur sa rive sud.

Cette métallurgie est donc très antérieure au fer carthaginois, voire plus ancienne que le fer hittite ;

2. Des échantillons de fer doux, non météorique, datent, en Égypte, de 2600 BC environ (époque des pyramides), alors que l'on ne trouve pas de mines de fer en Égypte ;

 

3. Une probabilité de métallurgie du fer se situant entre 3000 et 2000 BC existe

a - dans la région du massif de Termit (Niger)

b - dans la région de Kaolack (Ndalane) au Sénégal

c - dans la région de Nok (Nigéria) ;

4. Une industrie du fer est attestée à Taruga au 9e siècle BC (région de Nok) ;

 

5. Vers 700-600 BC, le fer est également traité d'une part au Cameroun et au Gabon, d'autre part dans la région du Nil moyen (Nubie). Il l'est aussi près d'Agadès (bordure sud) à quelque 300 km à l'ouest du massif de Termit. Des fouilles plus approfondies sont espérées dans ces différents sites ;

 

6. Des réseaux d'échanges étendus existaient au 3e millénaire BC (rappelons sur ce point les quatre expéditions conduites par l'Égyptien Herkouf au 24e siècle BC) — ce qui rend possible un commerce du fer entre les différentes régions de l'Afrique. Les modes de désignation du fer sont apparentés dans les langues soudanaises et bantoues et en égyptien ancien. Le fer a pu arriver en Égypte à partir du Soudan occidental et central par l'Ennedi où une attestation ancienne de lances a été remarquée par P. HUARD (cf. ci-dessus). On ne peut donc formuler aucune conclusion sûre à cet égard actuellement. Seule la multiplication des fouilles et des datations permettra d'en savoir plus, quoique la vitesse de disparition du fer sous les climats chauds et humides empêche probablement de découvrir exactement ce qu'il en a été dans bien des cas. Cependant, les vestiges de poteries associées, de fourneaux et de tuyères, datables par la thermoluminescence, devraient fournir prochainement une nouvelle moisson de dates significatives. Il faudrait notamment dater les mines de Telenugar (Tchad) et entreprendre des investigations dans la région du Fertit (nord-est de la République Centrafricaine).

Puisse cette conclusion susciter des vocations, des mécénats et l'organisation de nouvelles campagnes de fouilles.

 

 

Annexe : Datation par le Carbone 14 (14C)

 

Deux phénomènes principaux sont à la base de cette méthode qui est, de loin, la plus utilisée :

1 - Le Carbone 14 contenu dans l'atmosphère est absorbé par les organismes vivants ;

 

2 - Après leur mort, la radioactivité du Carbone 14 qu'ils ont fixé de leur vivant, commence à décroître de façon régulière et mesurable.

 

La radioactivité du Carbone 14 diminue de moitié en 5730 ans ± 40 ans. On dit que sa période de demi-désintégration est de 5730 ans ± 40 ans. La limite utile des mesures est habituellement de l'ordre de 40 000 ans mais atteint 60 000 ans si les installations sont très perfectionnées. Cependant, la concentration en Carbone 14 dans les organismes, durant leur vie, a varié avec l'intensité des rayons cosmiques. On observe donc des irrégularités par rapport à la chronologie absolue, surtout entre 2500 et 1500 avant J.-C. D'où la nécessité d'utiliser la dendrochronologie pour corriger les écarts et calibrer les dates obtenues par le radiocarbone. Des tables de correction ont été établies, faciles à utiliser. Elles ont été contrôlées et affinées grâce au magnétisme thermorémanent et aux différences saisonnières dans les feuillets sédimentaires (varves) déposés dans les lacs périglaciaires.

 

Le résultat des mesures est aussi affecté par les fluctuations statistiques, comme dans toutes les mesures de radioactivité, car les impulsions (ou désintégrations) émises par l'échantillon sont distribuées au hasard du temps. Le résultat fourni est donc une moyenne assortie des écarts évalués par des calculs standardisés.

 

Conventionnellement, les dates sont d'abord données "Before Present" (BP), c'est-à-dire avant l'année 1950, prise au départ comme année de référence. Selon le nombre obtenu, ces dates sont donc soit "Before Christ" (BC, avant J.-C.), soit AD, anno domini, c'est-à-dire des années du seigneur, autrement dit, de notre ère. Les publications britanniques notent en lettres minuscules les dates non corrigées : b.p., b.c., a.d., et réservent les majuscules pour les dates corrigées. Mais les conventions internationales s'en tiennent aux majuscules pour les dates non corrigées. Il faut alors utiliser les tables de calibration 1, et savoir que les dates brutes, dites "conventionnelles", sont basées sur l'ancienne estimation de la période de demi-désintégration de Carbone 14 (demi-vie) : 5568 ± 30 ans, au lieu de 5730 ans ± 40 ans, de sorte que la date brute doit être multipliée par 1.03. Ces dates sont généralement publiées dans la revue Radiocarbon, éditée par The American Journal of Science, (Yale University, New Haven, Connecticut, USA). Mais certains laboratoires négligent aujourd'hui d'envoyer leurs listes récentes, ce qui est regrettable.

 

Les dates concernant l'Afrique sont souvent publiées par les inventeurs des échantillons et des chercheurs dans les diverses revues consacrées à l'Afrique. Par convention internationale, toute date radiocarbone brute est précédée du sigle servant à désigner le laboratoire qui a effectué la datation, et ce sigle est suivi du n° d'ordre, dans ce laboratoire, de la dite date, c'est-à-dire de l'échantillon ; par exemple Gif- 5469, Dak-148.

 

Notes

 

1. Ainsi que l'indique, par exemple, le récent ouvrage de T. SHAW, B. SINCLAIR, B.W. ANDAH, A. OKPOPO, "Archaeology of Africa, Food, Metal and Towns", dont le chapitre 17, rédigé par Augustin HOLL, s'intitule "The Transition from Late Stone Age to Iron Age in the Sudan-Sahelian Zone : a case study from the Peri-chadian Plain".

2. H. LHOTE, "La connaissance du fer en Afrique occidentale", in Encyclopédie mensuelle d'Outre Mer, 25 septembre 1952, pp. 269-272.

3. Cf. L. M. DIOP, "Métallurgie traditionnelle et Age du fer en Afrique", in Bulletin de l’IFAN, t. XXX, série B, 1968, n° 1, pp. 10-38.

4. et quelques dixièmes, en fait (fouilles postérieures).

5. MAUNY, "Histoire de métaux en Afrique occidentale", in Bulletin de l’IFAN, t. XIV, 1952, p. 578.

6. MAUNY, Encyclopédie d'Outremer, avril 1953, fasc. 32, p. 110 (fin de l'article).

7. Mauny, Bulletin de l'IFAN, t. XIV, 1952, p. 578.

8. Par exemple Aoudaghost (en Mauritanie) sous l'empire de Ghana au 10e siècle ; Teghazza gouvernée par le Mondzo (fonctionnaire songhaï) du temps de l'Askia Mohammed, au 16e siècle.

9. Cités longuement par P. Huard, Bulletin de l’IFAN, juillet - octobre 1964 (p. 376 en particulier).

10. Bulletin de l’IFAN, juillet - octobre 1964, série B, p. 297 à 397 : "Nouvelle contribution à l'étude du fer au Sahara et au Tchad".

11. Id., p. 371 : "parce que l'aire des sagaies, groupées dans la même main s'étend jusqu'au Nil dans les temps modernes, d'autre part parce que le dictionnaire touareg du P. de Foucauld contient le terme eskekès pour désigner une petite javeline particulière aux Teda. Il aurait fallu que l'introduction présumée de l'arme libyco-berbère ait abouti à une transformation assez marquée pour appeler la création d'un terme nouveau par ses initiateurs".

12. Id., p. 335.

13. Id. , p. 349 et 350.

14. Id., p. 356.

15. P. HUARD, op. cit., p. 390.

16. On sait que la civilisation yoruba présente des analogies, presque des similitudes saisissantes, avec la civilisation égyptienne pharaonique.

17. L.M. Diop, Bulletin de l’IFAN, t. XXX, B, 1968, n° 1, p. 31.

18. B. Davidson, op. cit., 1962, p. 146.

19. p. 386 du Bulletin de l’IFAN, juillet-octobre 1964.

20. A History of the Sudan from Earliest Times to 1821, by A. J. Arkell, 1955, Londres, chap. III, p. 46.

21. Communication in Actes du Quatrième Congrès Panafricain de Préhistoire et d'Étude du Quaternaire, section III, Tervuren, Belgique, 1962, pp. 381-387.

22. L. M. Diop, "Métallurgie traditionnelle et âge du fer en Afrique", in Bulletin de l’IFAN, tome XXX, série B, n°1, 1968, pp. 36-37.

23. J.M. Essomba, L’Archéologie au Cameroun, Karthala, 1992.

24. Communication de J. Devisse, p. 27. Voir aussi, 1993, Augustin Holl, in The Archaeology of Africa, Food, Metals and Towns, T. Shaw, P. Sinclair, B. Andah and A. Okpopo, ed. Routledge, London.

25. in Histoire Générale de l’Afrique, vol. 2, p. 676.

26. Revue d’Archéométrie, Université de Rennes : GMPCA, 1984, p. 112

27. W. Fagg, Merveilles de l’art nigérien, Paris, éditions du Chêne, 1963, p. 13.

28. en 1976

29. C.A. Diop, "L’usage du fer en Afrique", in Notes africaines, n° 152, IFAN, Dakar, octobre 1976, pp. 94-95.

30. Cf. Vallées du Niger, ouvrage collectif, Paris, édition de la Réunion des Musées Nationaux, 1993, p. 73, 2e colonne et p. 337, 1ère colonne, d’après Bernard Fagg, 1969, "Recent work in West Africa : New light on the Nok culture", World Archaeology, n° 1, pp. 41-50.

31. Cahiers de l’ORSTOM, vol. XI de la série sciences humaines, n° 1, pp. 85-104.

32. Cf. C.A. Diop, Bulletin de l’IFAN, t. XXXIX, série B, n° 3, 1977, p. 466 et t. XXXXIII, 1981, n° 1 et 2, p. 11.

33. G. Quéchon, Communication au colloque de Maghnia (Algérie), "La fin du néolithique et les débuts de la métallurgie dans le massif de Termit (Niger)", à paraître, cité par M. Cornevin, 1993, et dans l'ouvrage collectif Vallées du Niger, Musées Nationaux de France, 1993, p. 73. Ce colloque tenu en décembre 1988 et dont on attend la publication des Actes, traitait de l’homme et de l’environnement depuis 100 000 ans en Afrique du Nord et au Sahara. Je remercie vivement G. Quéchon d’avoir bien voulu me faire parvenir le texte de sa communication.

34. Histoire des villes d’Afrique noire des origines à la colonisation, Albin Michel, 1993, p. 53.

35. Id., p. 61.

36. F. PARIS, A. PERSON, G. QUÉCHON, J. F. SALIÈGE, "Les débuts de la métallurgie au Niger septentrional, Aïr, Azawagh, Ighazer, Termit", in Journal des Africanistes, 62, 2 1992, pp. 55-68.

37. N. Echard, Mémoires de la Société des Africanistes, n°9, 1983, Paris.

38. A. Marliac, L’Age du fer au Cameroun septentrional, 1988, a et b, Paris, ORSTOM, et thèse.

39. Cf. le tableau des mesures radiométriques effectuées.

40. "L’Age du fer ancien au Rwanda et au Burundi. Archéologie et environnement", in Journal des Africanistes, 52, 1982, p. 54.

41. Hist. Gén. de l’Afrique, Unesco, vol. 2, p. 689.

42. Id., p. 688.

43. L’Afrique dans l’Antiquité, Présence Africaine, 1973, p. 34.

44. C. A. Diop (1973), "La métallurgie du fer sous l'ancien Empire égyptien", Bulletin de l’IFAN, tome XXXV, série B, n° 3, pp. 532-547.

45. C. A. Diop, Notes africaines, n° 152, octobre 1976, Dakar, IFAN, pp. 93-95.

46. En égyptien ancien : bia kem = fer noir, "métal noir".

47. C. A. Diop, 1976, id.

48. "Metal Working at Meroe, Sudan", in Meroïtic Studies, Meroitica 6, S. 29-42, Berlin 1982 et discussion pp. 43-49, spécialement pp. 44 et 45.

49. F. Van Noten, Histoire générale de l’Afrique, Paris, UNESCO, tome 2, p. 690.

 

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