ANKH: Egyptologie et Civilisations Africaines
 Egyptologie, histoire de l'Afrique et sciences exactes
 Egyptology, Africa History and Sciences
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Histoire de la   population  de l'Afrique noire du néolithique au milieu du 20e siècle. Faits, méthodologie et calculs.

 

Louise Marie Diop-Maes

 

Article publié dans ANKH n°2

 

Résumé : Berceau de l'humanité, l'Afrique noire a conservé un potentiel humain relativement important durant toute la préhistoire. Les conditions naturelles sont comparables à celles de l'Asie méridionale. Le peuplement s'est accru pendant l'Antiquité, particulièrement dans la région du Nil Moyen. Du 8e au 17e siècle, divers témoignages sur le nombre des habitants se recoupent entre eux et sont progressivement confirmés par l'archéologie.

En partant des résultats du recensement de 1948-1949, on peut estimer à quelque 125/130 millions la population de l'Afrique noire en 1930. Entre 1870 et 1930, l'analyse des faits historiques montre que la population a diminué de plus du tiers : vers 1850-1870, elle était donc de l'ordre de 200 millions.

Entre 1550 et 1850, les attaques portugaises et marocaines puis les différentes traites additionnées ont produit des effets analogues à ceux des guerres de Cent Ans et de Trente Ans en Europe. En comparant l'habitat du 19e siècle à celui des 15e/16e siècles, on constate que la population du 19e siècle est 3 ou 4 fois moindre. Il est donc plausible de supposer que l'Afrique noire subsaharienne, vers 1500/1550, devait probablement compter entre 600 et 800 millions d'habitants, soit 30 à 40 au km2.

Des simulations numériques effectuées à partir de nombres connus d'esclaves exportés, confirment l'impossibilité des hypothèses de 4 à 5 habitants/km2 au 16e siècle, admises jusqu'à présent et corroborent les chiffres ci-dessus indiqués.

 

Abstract : EVOLUTION OF THE BLACK AFRICA POPULATION FROM NEOLITHIC TO THE MIDDLE OF THE 20th CENTURY During the entire period of prehistory, Black Africa, the cradle of humanity, maintained a relatively large population. The natural conditions are comparable to those of South Asia. Human inhabitation increased during Antiquity, especially in the Middle Nile region. From the 8th to the 17th century, various testimonies related to population density are similar and have been progressively confirmed as accurate by archaeological findings.From the results of the 1948-49 census, the population of Black Africa in 1930 can be put at 125/130 million. An analysis of historical facts shows that the population had decreased in population by more than one third of its people between 1870 and 1930. We can thus infer that in 1850-1870, the population of Sub-Saharan Africa was approximatively 200 million.

Between 1550 and 1850, the Portuguese and Moroccan attacks afterwards the different slave trades added have produced effects similar to those which the One Hundred Years War and the Thirty Years War had on Europe. In comparing the settlements of the 19th century to those of the 15th/16th centuries, it appears that the population in the 19th century is the three or the four times inferior. It is therefore plausible to assume that Black Africa most likely had a population of between 600 and 800 million, around 1500/1550, that is to say, 30 to 40 inhabitants per km2.

Numerical simulations based on known numbers of exported slaves refutes the previously accepted hypothesis of 4 to 5 inhabitants per km2 during the 16th century, and confirms the above figures.

 

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Le Grand-Zimbabwe : L' "Ellipse" et les ruines voisines — Bâtiment en forme d'Ellipse ; Les dimensions en sont les suivantes : longueur : 90 m, largeur : 65 m, hauteur et épaisseur des murs : 9 m et 6 m

 

 

I. Introduction

 

Cet article rappelle les nombreuses données, très diverses, dont nous disposons concernant l'évolution quantitative de la population de l'Afrique noire depuis la préhistoire jusqu'aux premiers recensements coordonnés de 1948/1949*.

 

Après un bref exposé de nos connaissances sur le peuplement de l'Afrique intertropicale sous la préhistoire et l'Antiquité, puis quelques considérations relatives aux conditions naturelles, sont examinés successivement :

 

- l'état du peuplement entre le 8e et le 17e siècle d'après les témoignages et l'archéologie,

- une méthode d'évaluation de la population noire africaine aux 15e /16e siècles

- les raisonnements et calculs qui corroborent cette évaluation.

 

 

II. Archéologie préhistorique et population noire africaine sous l'Antiquité

 

Dans l'état actuel des recherches, il apparaît que, non seulement les Homo erectus, mais aussi les Homo sapiens sapiens sont très anciens (130 000 ans ou plus) en Afrique orientale où le climat est particulièrement favorable à l'organisme humain, sauf en cas de sécheresse. Lorsque les conditions bio-climatiques l'ont permis, le sol a conservé une partie indéterminée des ossements de la population qui vivait aux époques préhistoriques. Les fouilles archéologiques en ont mis au jour un pourcentage probablement faible. Cependant, la quantité de vestiges osseux découverts en Afrique orientale est considérable, ce qui laisse présumer un peuplement relativement important pour l'époque dans cette région. Le préhistorien belge F. VAN NOTEN constate que le paléolithique supérieur y est présent depuis plus de 40 000 ans [1], c'est-à-dire antérieurement à son apparition dans les autres régions de l'Afrique et du monde. La continuité des industries lithiques en Afrique intertropicale avait déjà été remarquée et soulignée par H. ALIMEN [2], ce qui indique une évolution sur place. Les figurations rupestres sont datées de 35 000 BC en Tanzanie [3], et de 28 000 BC en Namibie [4].

 

La progression des peuples noirs africains à la fin du paléolithique supérieur et au néolithique est constatée par les spécialistes. Selon F. WENDORF et R. SCHILD, l'orge était connue dans la vallée du Nil, en Haute-Égypte et y faisait l'objet d'une pré-agriculture vers 14 000/12 000 BC [5]. Les bovins domestiques du Sahara oriental (sites de Nabta Playa et de Kir Kiseiba, à l'ouest d'Abou Simbel) ont été datés de 10 000 à 9000 BP. F. WENDORF, A. CLOSE, A. GAUTIER, et R. SCHILD, en concluent qu'ils sont "légèrement plus anciens que ceux de l'Eurasie" [6]. Le processus de domestication se serait réalisé, en fait, dans la vallée du Nil, en Basse Nubie, au cours du 9e millénaire BC, approximativement [7]. Bien qu'il pense que la domestication des plantes et des animaux s'est accomplie de façon beaucoup plus lente et progressive, A. MUZZOLINI n'en écrit pas moins :

"On constate qu'en Afrique aussi les groupements humains sont devenus importants, et concentrent désormais leurs activités sur des territoires limités... L'augmentation de population paraît une évidence. Les sites atériens se comptent par dizaines, ceux de l'épipaléolithique par centaines; quant aux sites néolithiques... on en rencontre partout, par milliers certainement" [7].

 

C'est entre 8000 et 6000 BC que s'est épanouie, selon J. E. SUTTON, une civilisation révélée par de nombreux sites archéologiques, caractérisée par une grande consommation de poissons et de mollusques et qui occupe une aire immense : hauts plateaux du sud du Kenya et du nord de la Tanzanie, Rift Valley, Nil moyen, Tchad, Haut-Niger, hautes terres du Sahara [8]. Les populations noires couvraient le Sahara jusqu'aux côtes de la Méditerranée comme le prouvent les "Capsiens négroïdes" de Tunisie, les gravures rupestres du Sahara, et les premières représentations des Libyens dans l'iconographie égyptienne [9]. Elles occupaient aussi l'Égypte [10]. Vers 8000 BC, les outils polis commencent à apparaître dans le Nachikoufien, en Zambie septentrionale [11]. La céramique est attestée vers 7500 BC dans le massif de l'Aïr [12].

En Afrique occidentale, à la lisière forêt/savane, notamment à Iwo Eleru (Nigéria), le passage à la production alimentaire débute vers 4000 BC [13], à peine plus tard que le Néolithique de Khartoum (site de Shaheinab).

 

La civilisation de Nok, également au Nigéria, a perduré de 3500 BC (?) à 200 AD [14], relayée semble-t-il par la civilisation d'Ifé.

 

Une céramique a été trouvée dans le niveau inférieur de la grotte de Gamble (Gamble's cave, Elmenteita, à l'est du lac Victoria-Nyanza), daté de 6000 BC environ [15]. Au sud-est de ce lac, deux sites ont fourni une poterie datée de la fin du 4e et du début du 3e millénaire [16]. D'abondants vestiges de poterie ont également été trouvés à l'ouest du lac Malawi, dans les niveaux du Nachikoufien, à partir de 2000 bc, c'est-à-dire 2400 BC (date calibrée) [17]. C'est à cette même date que les boeufs et ovicaprinés domestiques sont attestés à Karkarichinkat, au Mali [18].

 

D'après divers écrivains anciens, les démographes M. REINHARD et A. ARMENGAUD ont estimé que la population de l'Égypte ancienne a dû être de l'ordre de 7 à 8 millions d'habitants, ces chiffres "ne marquant pas nécessairement le maximum atteint" (voir note 52, op. cit. p. 23). K. W. BUTZER (Early Hydraulic Civilisation in Egypt, Chicago, 1976, tableau 4, p. 83), cité par D. VALBELLE, propose 866 000 habitants à l'époque thinite, 1 614 000 sous l'Ancien Empire, 1 966 000 au Moyen Empire et 2 887 000 au Nouvel Empire, chiffres fondés sur l'appréciation des récoltes (D. VALBELLE, La vie dans l'Égypte ancienne, Paris, PUF, 1989, p. 9). D. VALBELLE considère que ces évaluations sont susceptibles d'être remises en question par une étude des chiffres fournis par les textes égyptiens mêmes. En effet, si l'on admet que l'armée de métier à l'apogée du Nouvel Empire représentait 0,2% de la population (cf. L. M. DIOP-MAES, voir note 35, op. cit., pp. 784-786), celle-ci pouvait se chiffrer entre 9 et 10 millions. Mais en cas de cumul prolongé de mauvaises conditions (troubles, guerres, crues insuffisantes…) le nombre d'habitants pouvait être, à la fin, diminué de moitié. De la 1e cataracte du Nil jusqu'à la 6e, la vaste Nubie était relativement fort peuplée. Au Djebel Maya (ou Moya), à 260 km environ au sud/sud-est de Khartoum, H. ALIMEN signale une station néolithique qui contenait 1443 squelettes [19]. En 2680 BC, les Égyptiens rapportent qu'ils ont fait, en Basse Nubie, 11 000 prisonniers et qu'ils ont capturé 200 000 têtes de bétail [20]. Signalons, à titre de comparaison, qu'à la suite d'une bataille contre Ur, sous SARGON 1er, vers 2400/2300 BC, 5060 prisonniers auraient été dénombrés et que la population mésopotamienne a été estimée à 4 ou 5 millions d'habitants pour cette époque [52, p.25].

 

Au Moyen Empire, on mesure le volume de la population nubienne et la puissance du royaume de Koush à l'importance singulière des fortifications entretenues par les Égyptiens en Nubie pour tenir la population, protéger la navigation et défendre leur frontière méridionale. A l'époque de la domination Hyksos en Égypte, (17e siècle BC), le titulaire d'une tombe à Kerma, était accompagné de 200 à 300 personnes. Poterie fine, poignards de cuivre, bois travaillés et incrustés d'ivoire, chapeau de cuir orné de mica, trouvés dans cette tombe, témoignent de l'importance de l'artisanat [21].

 

Sous le Nouvel Empire égyptien, on relève en Nubie la présence d'un nombre considérable de scribes, de prêtres, de soldats et policiers, d'artisans égyptiens et nubiens. Les listes des tributs prélevés en Nubie montrent qu'il y avait non seulement des animaux et des grains, mais aussi des chasse-mouches, des boucliers, des lits, des fauteuils, donc des produits manufacturés, ce qui est très significatif puisque le nombre d'habitants est lié au degré de développement de l'activité économique. Ensuite, le royaume koushite devient très puissant et donne à l'Égypte sa XXVe dynastie (8/7e siècle BC). Des centres urbains s'y développent. Au 5e siècle, HÉRODOTE qualifiera Méroé de "grande cité", ce que les vestiges archéologiques ont confirmé [21]. Les auteurs du chapitre 11, tome 2, de l'Histoire générale de l'Afrique (UNESCO), A. HAKEM, I. HRBEK et J. VERCOUTTER, constatent, d'après le résultat des fouilles, que Méroé à son apogée a été une cité "énorme", dotée de tous les éléments liés à la vie urbaine (palais, thermes, temples, cimetières, etc., cf. p. 335)

Les importants centres urbains nubiens et l'habitat rural sont progressivement mis au jour par les archéologues [21], rendant inacceptables les faibles évaluations proposées par K. GRZYMSKY [22] (discussion in [36, p. 71 à 76]).

 

Dans l'état actuel des datations, les débuts de l'âge du fer en Afrique sont plus anciens qu'en pays Hittite. D. GREBENART considère que la métallurgie du fer était associée à celle du cuivre autour d'Agadès, cette dernière débutant à la fin du 3e millénaire et s'étant bien développée entre 1730 et 1400 BC [23] ; au Ruanda-Burundi les premières trace de fer remontent à 1470 BC [24].

 

F. VAN NOTEN indique que, dès l'âge du fer ancien, il existait des réseaux d'échanges étendus [25], ce qui est confirmé par les quatre expéditions du chef de caravane égyptien HERKOUF, au 24e siècle avant J.C. [26], à destination du pays de Yam, que l'historien P. KALCK situe au nord-est de la Centrafrique [27] . Ceci laisse supposer, en même temps, que la savane nilo-tchadienne était aussi peuplée, comme le pense J. LECLANT [28].

 

Il importe de rappeler que la Chine n'a émergé du néolithique qu'au 18e siècle avant J.C. alors que la civilisation prédynastique couvrait à la fois la Nubie et l'Égypte aux 5e et 4e millénaires. Cela implique un décalage en ce qui concerne l'accroissement démographique. Il est logique de penser que l'Afrique, au néolithique et durant l'Antiquité, devait avoir un nombre total d'habitants plus élevé que celui de l'Europe et même probablement supérieur à celui de l'Asie, contrairement aux chiffres publiés par les démographes [29]. Ces derniers n'avaient pas connaissance de l'ensemble des vestiges et documents archéologiques dont nous disposons aujourd'hui, et leur vision a-historique de l'Afrique noire leur a fait croire que la pathologie observée en 1900-1930 était une constante.

 

En Centrafrique, l'archéologue P. VIDAL propose une densité de l'ordre de 1 habitant au km2 au milieu du 1er millénaire BC, ou même plus tôt [30].

 

La cité de Djeno-Djenné, près de l'actuelle Djenné (Mali), date du 3e siècle BC [31], comme les premières agglomérations urbaines de l'Ethiopie. En Zambie méridionale, région de plateaux fertiles, on a découvert de grands villages du premier âge du fer. D'autres vestiges témoignent d'un développement économique important [32]. Il ressort de l'exposé de D.W. PHILLIPSON que la construction en pierre était de pratique courante dans la région de Zimbabwe dès le premier âge du fer, durant les "deux premiers tiers du premier millénaire" de notre ère.

 

III. Le milieu intertropical africain et les hommes*

 

Malgré ces données beaucoup pensent encore que le milieu naturel de l'Afrique intertropicale est défavorable aux hommes. Parmi les causes possibles du faible peuplement de l'Afrique subsaharienne constaté durant la période 1910-1960, une multitude de facteurs naturels qui sont nettement défavorables à l'homme sont invoqués : grande étendue de la forêt dense, et plus encore des semi-déserts, irrégularité des pluies, extension des formations latéritiques et des sols pauvres sur roches gréseuses, sableuses, granitiques..., les ravages que font, parmi les hommes et les animaux, les nombreuses maladies, endémies, épidémies caractéristiques des climats chauds, l'isolement dû à la barre et à la situation géographique relativement excentrique, à quoi ils ajoutent naturellement les guerres intestines et la traite des esclaves. Pour la période coloniale, l'on se borne à citer quelques faits partiels et ponctuels bien connus, comme la chute démographique du Gabon.

 

"Afrique, terre accablante", "Nature grandiose mais inhumaine", tels sont les titres de paragraphes que l'on trouvait, il y a quelque trente cinq ans, dans les manuels de géographie destinés aux élèves français. Certains continuent de penser que ce n'est pas par hasard si l'Afrique est encore la terre de prédilection de l'animisme et des groupes tribaux.

 

Cependant, "rendre le milieu naturel... seul, ou même principal responsable des ruines humaines qu'il recèle, est une erreur", écrivait J. RICHARD-MOLARD (1951).D'ailleurs, des historiens et sociologues s'interrogent selon les vues de TOYNBEE [33] : le défi lancé par le milieu naturel intertropical africain doit-il être considéré comme "insurmontable" (nature écrasante), ou au contraire comme trop "sécurisant", c'est à dire insuffisamment stimulant.

 

Cette manière de poser le problème appelle des remarques importantes : ou bien le milieu naturel est reconnu trop implacable pour être dominé par une économie préindustrielle; dès lors, les structures sociales et politiques sont étroitement "conditionnées" comme en régions polaires, et l'on ne peut leur imputer la responsabilité de l'état de fait observé qui incomberait entièrement au milieu naturel, comme le supposent de nombreux géographes ; ou bien le milieu est trop clément, et toutes les données naturelles défavorables énumérées par les géographes, même si elles existent, ce qui n'est pas douteux, perdent leur sens ; les facteurs naturels favorables, parfois jadis montés en épingle, mais aujourd'hui négligés, passent alors au premier plan : des températures permettant de cultiver toute l'année, absence de froid et ensoleillement puissant ; de l'eau inégalement répartie, certes, mais assez abondante en moyenne, de nombreux cours d'eau, une végétation permanente et souvent luxuriante, une relative profusion de graminées, de tubercules, de fruits, d'oléagineux, de poissons, d'animaux divers... et de métaux (du reste utilisés de longue date) ; mais, du même coup, ce sont les facteurs humains qui passent au premier plan : les hommes, suffisamment pourvus, se seraient dispensés des efforts conduisant aux systèmes d'organisation et de production susceptibles d'accroître le nombre des habitants, toujours dans cette optique.

 

On oublie souvent que l'Asie méridionale présente un milieu naturel analogue à celui de l'Afrique intertropicale. Or, l'Asie méridionale nourrit, elle, une population nombreuse. Le Sud asiatique comprend une très grande variété de sociétés et généralement de fortes densités moyennes, mais très inégalement réparties. Alors, faudrait-il admettre que seul le complexe, seule la rencontre milieu intertropical + sociétés noires assez isolées, aboutit à des densités de population faibles en raison de la structure et de l'organisation de ces sociétés ?

 

En fait, le monde sud-asiatique a vu éclore et s'épanouir des civilisations élaborées à côté d'autres restées au stade tribal, comme dans l'Afrique noire précoloniale : les Chenchus de l'Inde, les Veddas de l'île de Ceylan, les Semang et les Sakais de Malaisie, et bien d'autres, avaient des genres de vie typiquement rudimentaires. Il importe néanmoins d'examiner si les pays de l'Asie des moussons ne seraient pas plus favorables à l'homme que ceux de l'Afrique intertropicale.

 

Les pays tropicaux et équatoriaux d'Asie présentent, comme l'Afrique noire, sur environ 20 millions de km2 dans les deux cas, une forte proportion de superficies impropres à l'agriculture (une partie du Dekkan, de nombreuses chaînes de montagnes...), ou difficiles à mettre en culture (jungle...), et des régions presque inhabitées (Bornéo...). Sans doute les pays sud-asiatiques bénéficient-ils, grâce à leurs vallées et à leurs deltas, d'un pourcentage beaucoup plus élevé de sols fertiles (alluviaux surtout, car l'Afrique comprend aussi des étendues appréciables de sols volcaniques). Mais l'Afrique n'a pas de raz de marée, peu de cyclones, moins de séismes et moins de chaînes de montagnes très élevées ; maints endroits des hauts plateaux d'Afrique orientale et australe sont comparés à des paradis terrestres ; c'est dans ces régions que les premiers hommes sont apparus. Loin de lui être hostile, le milieu naturel qui fut son berceau convenait à l'humain non vêtu des origines. L'archéologie révèle que les sites néolithiques abondent en Afrique intertropicale, ainsi que nous venons de le voir.

 

 

IV. L'Afrique intertropicale du 8e au 17e siècle d'après les témoignages et l'archéologie

 

On peut se représenter la vie socio-économique et politico-administrative de l'Afrique noire durant cette période, à partir de l'étude des textes des voyageurs arabes, des écrivains soudanais (source interne), des récits des premiers navigateurs européens, et d'après les vestiges archéologiques (C. A. DIOP, [34], L. M. DIOP [35], [36], [37], [38], B. DAVIDSON [42], P. MERCIER [43], J. HURAULT [63], [77]... ainsi que les tomes III et IV de l'Histoire générale de l'Afrique publiée par l'UNESCO).

 

IV.1. Critique des sources

 

L'analyse critique préalable de divers textes d'époque décrivant "le pays des Noirs" a été faite par les historiens. Par exemple, M. MOLLAT [39] écrit au sujet des narrateurs :

 

"au premier rang d'entre eux, par la richesse et la qualité de ses informations vient CADAMOSTO (p.155) ... la vanité mise à part, CADAMOSTO vise à la sincérité et à l'objectivité (p. 56)... [il est] le plus exact des portraitistes (p. 178)... BATOUTAH, malgré son aversion pour les Noirs, reconnaît l'existence d'Etats et d'une vie urbaine d'ailleurs ancienne, par exemple au Mali (p. 214)... Ce brillant conteur supporte la confrontation avec certains témoignages irréfutables de la documentation et de l'archéologie. Malgré sa partialité fréquente, il se montre un observateur attentif... [il] appelle Gao, grande cité parmi les plus belles, les plus grandes et les plus riches du Soudan". Dans son histoire du Congo [40], M. SORET indique que DAPPER est "le compilateur type qui a lu tout ce qu'il était possible de lire à son époque" et que son "ouvrage peut être considéré comme la base de notre documentation"... Il ajoute que LABAT est plus complet que DAPPER, mais moins sûr que lui. Théodore MONOD note que les renseignements fournis par Joao RODRIGUEZ à Valentin FERNANDES sont souvent de première main, et que maints détails dont certains ont pu être vérifiés depuis, établissent la qualité de son témoignage ([46], texte introductif à la traduction). Nous pouvons constater avec l'ethnologue allemand FROBÉNIUS : "Ce qu'ont raconté ces anciens capitaines... les D'ELBÉE, les DES MARCHAIS, les PIGAFETTA et tous les autres, ce qu'ils ont raconté est vrai, on peut le contrôler" [41].

 

Des milliers de références ont été établies pour l'Histoire générale de l'Afrique publiée par l'UNESCO. Les sources ne sont donc pas rares, et leur fiabilité vient de leur confrontation, de leur analyse et de leur vérification par l'archéologie.

 

Par exemple, ce qu'on découvrit lors des fouilles de Koumbi-Saleh concordait avec la description de la capitale de l'empire de Ghana par EL BEKRI.

 

Pour Bénin, le nombre de rues énoncé par l'un correspond bien au nombre de quartiers indiqué par l'autre, le périmètre évalué par un troisième, à la longueur d'une rue principale donnée par le premier, le tout permettant de penser que le témoignage selon lequel le seul palais du roi abritait 10 000 à 15 000 personnes n'a rien d'exagéré.

 

Les circonstances du recensement des maisons de Gao, l'exactitude du chiffre, 7626, ne laissent guère place au doute quant à sa valeur. Les milliers d'embarcations abordées dans cette ville, sa comparaison avec Kano, le témoignage de Léon l'Africain confirment le grand nombre d'habitants de cette agglomération, d'ailleurs capitale d'un empire très vaste.

 

Pour la région de Djenné, constatons que S. K. et R. J. MAC INTOSH [31] ont procédé à une investigation archéologique par photographie aérienne complétée par une prospection au sol et des datations. Une première Djenné remonte au 3e siècle avant notre ère. La région est en pleine expansion depuis la fin du premier millénaire après J. C., ce qui recoupe exactement ce que disait ES SA'DI dans le Tarikh es-Soudan, selon lequel la nouvelle Djenné fut fondée au 2e siècle de l'Hégire. Les auteurs remarquent que cette expansion n'est pas due au commerce transsaharien, mais bien au développement interne d'un réseau commercial de plus en plus complexe. Ainsi se trouve confirmés par l'archéologie la description que ES SA'DI donne du territoire entourant Djenné (plus de 7000 villages). Un rapprochement s'établit aussi avec le témoignage de Léon l'Africain concernant Guber (Gobir ou Gober) : dans cette ville, "il y a grand nombre de tissiers et cordonniers, lesquels font des souliers à la mode... dont il s'en transporte en quantité à Tombut et à Cago" (c'est-à-dire Tombouctou et Gao; p. 301-302). Or, Gober est situé à près de 1000 km de la boucle du Niger. Cette phrase de Léon l'Africain montre bien l'importance de l'artisanat, de la population et du commerce intra-africain avant les attaques portugaises et marocaines. A Engarouka, 6800 maisons en ruine sont là [42]. Dongola comptait 10 000 feux selon Léon l'Africain. Remarquons, en outre, que si les navigateurs parlent d'un million de guerriers en Angola (VAN LINSCHOTEN, LOPEZ), c'est de toute façon que cette armée avait paru extrêmement nombreuse aux Européens qui l'avaient vue, même si nous ne pouvons prendre un tel chiffre au pied de la lettre. P. MERCIER note aussi dans l'introduction de son ouvrage [43] : "Les premiers voyageurs parlent de peuples et de nations là où les derniers voyageurs, avant la conquête coloniale, parleront de tribus et de peuplades. Les premiers parlent avec sérieux et même avec respect des rois et de leur puissance. Avec le 18e siècle, l'irrespect commence à apparaître". En fait, dès la fin du 17e siècle, le changement d'attitude est déjà opéré; c'est ce que montre le récit du Hollandais W. BOSMAN.Le style de vie dans les paillotes a semblé médiocre ou misérable à divers témoins, mais tous s'accordent sur l'abondance de la population, du ravitaillement, de la production artisanale (textile, métallurgie...) — ce qui est confirmé par la densité des vestiges de bas-fourneaux — , sauf dans un certain nombre de régions que les auteurs de l'époque ont également désignées [44].

 

L'analyse de ces diverses sources conduit à poser comme tout à fait vraisemblable l'hypothèse d'une population fort nombreuse en Afrique noire aux 15e et 16e siècles. Des villes de 6000 à 7000 demeures importantes, sans compter les cases alentour et quantité de villages de toutes tailles existaient dans la plupart des régions de l'Afrique intertropicale : l'agriculture, l'artisanat et le commerce y prospéraient dans le cadre de vastes Etats assez stables, et, comme l'a remarqué l'ethnologue allemand FROBENIUS, ordonnés "jusque dans les moindres détails ", contrairement à ce qu'on continue à croire généralement [41].

 

IV.2. Quelques témoignages

CA DA MOSTO (1457) parle des Nègres du Mali qui transportent le sel "par long espace de chemin avec un tel amas de gens à pied qu'ils ressemblent à un exercite" (c'est à dire une armée). Il ajoute plus loin : "... Je vous laisse à penser quelle multitude de personnes est requise pour porter ce sel et combien est grand le nombre de ceux qui en usent " [45].

 

V. FERNANDES rapporte, dans les premières années du 16e siècle, le témoignage de Joao RODRIGUEZ : "Au peuple gyloffo (woloff) s'ajoute ou confine une nation qui s'appelle Turucooes (Tekrour)... Et c'est une énorme multitude."; "Dans la rivère de Gambia terminent les gyloffos... ils ont un pays grand et très peuplé et ici le long de la côte comme à l'intérieur, tout est peuplé de villages. Dans ces pays (Mandingues), il y a beaucoup de lieux habités avec 5000, 10 000 habitants et plus" [46].

 

Selon DAPPER, on trouve au Bénin "une infinité de villages" (p. 308) ; la province de Dingi est un grand pays plein de bourgs et de villages (p. 323), le prince de Bamba commande à "quantité de villages" (p. 342) ; le royaume de Ngola (Angola) comptait "huit provinces principales dont chacune" était "divisée en plusieurs seigneuries : Lovando en a 39, Ilamba 42, Massingan 12, Cambamda 60 et Embacco tout autant" (p. 361), et, dans la province de Sinfo (nord de Lovando), on trouve un village "presque de 3 lieues en 3 lieues" (p. 362) ; il s'y est élevé "32 seigneuries" [44].

 

A partir du nombre de maisons, d'écoles, d'élèves, de tailleurs mentionnés dans les chroniques soudanaises, il a été possible de restituer un ordre de grandeur des populations de Tombouctou et de Gao avant 1591 : 140 000 à 160 000 habitants [L. M. DIOP MAES, 37].

En ce qui concerne Gao et Kano, il est possible de se faire une idée assez précise de leur importance numérique grâce à cette curieuse et très intéressante anecdote rapportée par KATI [Tarikh el-Fettach, trad. HOUDAS & DELAFOSSE, Paris, Maisonneuve, 1964] :

… "Des gens du Soudan [pays à l'est du Niger, donc haoussa] eurent une discussion avec des gens de Gao, les Soudanais disant que Kano était plus importante et plus grande que Gao … Frémissants d'impatience des jeunes gens de Tombouctou et quelques habitants de Gao intervinrent et, prenant du papier, de l'encre, des plumes, ils entrèrent dans la ville de Gao et se mirent à compter les pâtés de maison, en commençant par la première habitation à l'ouest de la ville, et à inscrire l'un après l'autre : "maison d'un tel, maison d'un tel", jusqu'à ce qu'ils fussent arrivés aux derniers bâtiments du côté de l'est. L'opération dura trois jours et l'on trouva 7626 maisons, sans compter les huttes construites en paille".

La scène se passe vers la fin du 16e siècle, sous le règne d'un fils de l'Askia DAOUD.

 

Dans Tableau géographique de l'Ouest africain au Moyen âge [Dakar, Mém. IFAN, n° 61], R. MAUNY propose 75 000 habitants pour Gao, chiffre qu'il juge "énorme", mais qu'il a été amené à envisager en rapprochant les 13 000 âmes dénombrées par BARTH à Tombouctou en 1854 pour "980 maisons et quelques centaines de paillotes", des 7626 maisons recensées par les Soudanais à Gao avant 1591 ; rapprochement extrêmement intéressant en effet : appliquons la "règle de trois" : nous trouvons 101161 et non 75 000 habitants !

La population de Gao devait d'ailleurs être largement supérieure à ces 100 000 personnes :

 

- parce que BARTH lui-même ajoute qu'à la saison du grand trafic (novembre-janvier), la population de Tombouctou passe de 18 000 à 23 000 habitants ["the floating population may amount … to 5 000 … to as many as 10 000" in Henri BARTH, Travel and Discoveries in North and Central Africa in the years 1849-1855, vol. IV, London, 1858, Longman, p. 482],

- parce qu'en période de paix et de prospérité, les banlieues en paillottes s'étendent et que le cœfficient d'occupation des habitations est peut-être aussi plus élevé.

 

Un témoin oculaire a raconté à KATI qu'il a dénombré dans Tombouctou 150 à 180 écoles où "l'on enseignait aux jeunes garçons à lire le Coran". Il faut donc présumer qu'il s'agissait de garçons de 6 à 15 ans environ. Une de ces écoles, visitée au hasard, comptait 123 élèves. En adoptant le chiffre moyen de 165 écoles, le nombre des élèves de 6 à 15 ans devait être approximativement de 165 x 120 = 19 800, disons de l'ordre de 18 000 à 20 000. A supposer que tous les jeunes garçons de la ville suivent cet enseignement — ce qui n'était certainement pas le cas — cette tranche de population, avec les filles, aurait compris de 36 000 à 40 000 enfants. Dans une population totale de type ancien , la pyramide des âges est à base large et la tranche des 0 à 6 ans à peu près égale à 63% ou 64% de celle des 6 à 15 ans, soit environ 24 000 petits enfants. En admettant que, s'agissant d'une population urbaine, les moins de 15 ans ne représentent que 36 ou 37% de la population au lieu de 39% en moyenne, nous obtenons la population de Tombouctou au 16e siècle par l'opération suivante : (24 000 + 38 000) x 100 / 36,5 = 170 000 habitants environ.

 

Le fait que, fin 15e siècle, des villes africaines étaient effectivement importantes, commence à être admis : dans L'état du Monde en 1492 (Ouvrage collectif, Paris, La Découverte, 1992, p. 332), le chiffre de 140 000 habitants est retenu pour Gao. Or, ainsi que le savent les spécialistes de la démographie historique, cela implique une population étoffée alentour. Bénin était encore plus peuplée. C'est le lieu de rappeler, à titre de comparaison, la population de quelques villes de l'Europe occidentale au 16e siècle :

 

Période Villes d'Europe Nombre d'habitants Villes d'Afrique noire Nombre d'habitants
en 1550 Lisbonne  65 000 Gao 140 000 à 190 000
en 1540 Venise 130 000 Tombouctou 140 000 à 170 000
en 1545 Londres  80 000 Bénin 125 000 à 250 000
fin 16e siècle Cologne 30 000    
fin 16e siècle Paris 200 000    

Population de villes d'Europe et d'Afrique noire au 16e siècle. Cf. [52, pp. 85 à 89] et [35, p. 798], Cf. [37] et [35, p. 788 à 801]

 

Dans toute l'Afrique orientale et australe on a découvert de nombreux vestiges d'établissements et de cités de pierre, de terrasses, de travaux d'irrigation, de puits, de routes et surtout de mines et de forges [42]. Sur la côte, les ruines des villes portuaires, envahies par la végétation, sont toujours visibles et le R.P. MATHEW montre qu'il s'agissait bien de villes noires africaines [46].

 

Le peuplement ne semble pas lacunaire sauf aux confins du désert au nord (Oualata), et dans le sud-ouest où DAPPER n'énumère qu'un demi-millier de familles, ainsi que dans quelques autres régions (les pays Tago et Majumba au Congo, les terres situées entre le royaume Sofala et le cap des Courants sur la côte orientale etc.) [44].

 

Soulignons que la thèse d'une population noire africaine antécoloniale nombreuse et active s'accorde parfaitement avec l'existence d'un dynamisme africain autochtone supposé par P. CURTIN dans une optique toute différente.

 

Les éléments passés en revue montrent que l'Afrique intertropicale était bien peuplée, mais comment chiffrer cette population ?

 

 

V. Méthode d'évaluation de la population de l'Afrique noire aux 15e/16e siècles

 

Contrairement à la thèse soutenue ici, les estimations généralement avancées pour la population de l'Afrique noire au 16e siècle sont de l'ordre de 75 à 95 millions, soit 4 à 5 habitants au km2 [83]. Elles se fondent, d'une part, sur la constatation qu'en 1949, l'Afrique subsaharienne comptait seulement 140 à 150 millions de Noirs africains, d'après le recensement, d'autre part, sur l'idée erronée que le tribalisme observé au 20e siècle s'était perpétué depuis la préhistoire, les empires et royaumes constitués pendant le Moyen Age européen ne l'ayant, croyait-on, que peu réduit. Cette vision ethnographique de l'Afrique noire est fausse. Il s'agit d'un émiettement postérieur au 16è siècle (cf. L. M. DIOP-MAES, Tyanaba n° 2, 1992). Enfin, il est admis indépendamment de toute étude, que l'Afrique devait avoir aux 16e et 17e siècles, une population représentant un cinquième de la population mondiale, elle-même évaluée à 500 millions d'habitants.

 

Comme nous l'avons indiqué dans l'introduction, la méthode que nous proposons pour évaluer la population de l'Afrique noire fin 15e/début 16e siècle, consiste à effectuer un calcul régressif en deux étapes, à partir des chiffres obtenus par les premiers recensements coordonnés de 1948/49, en tenant compte des éléments d'appréciation dont nous disposons :

 

- 1re étape : évaluation de la population de l'Afrique noire au 19e siècle par rapport aux chiffres approximatifs résultants des recensements de 1948/49, c'est-à-dire 140 à 150 millions après correction.

 

- 2e étape : évaluation de la population de l'Afrique noire avant la traite en utilisant les données relatives aux effets directs et indirects des différentes traites.

 

 

V.1. Recherche d'un ordre de grandeur de la population de l'Afrique noire au 19e siècle

 

Dans l'hypothèse habituellement admise de quelque 90 ou 95 millions d'habitants au milieu du 19e siècle, l'accroissement général de la population de l'Afrique noire de 1850 à 1948 aurait été de 50 à 60 millions soit de l'ordre de 60%.

 

Pour ma part, je pense qu'il y a eu en effet, de 1930 à 1948, une croissance globale de la population de l'Afrique noire avec un taux d'accroissement de 0,7 à 0,8 % par an [48]. Il apparaît qu'en revanche, de 1880 à 1930, c'est une diminution importante qui s'est produite du fait de la pénétration militaire (conquête de l'intérieur du continent) et d'une exploitation coloniale très dure pendant les 25 à 30 premières années. C'est ce qui ressort des éléments énumérés ci-après.

 

Il faut se rappeler que l'artillerie européenne pulvérisait les "groupes compacts" de combattants armés de fusils de traite, que les résistances jadis minimisées, se manifestèrent, dans la plupart des régions, multiformes et souvent désespérées (défenses suicidaires) ; migrations et guerres intra-africaines se précipitèrent dans le plus grand désordre d'un bout à l'autre du continent, des carnages massifs furent perpétrés par les uns et par les autres (Allemands, Anglais, Français, Bœrs, RABAH, SÉNOUSSI, BANGASSOU, etc.) ; disettes et famines sévirent partout où les cultures, les récoltes, les réserves alimentaires furent brulées, abandonnées, perdues; en outre, comme les colonisateurs enrôlaient les Africains de pays déjà vaincus pour conquérir les autres, il faut presque ajouter les combattants tués des deux camps. Ensuite, ce furent des révoltes, un peu partout, presque chaque année, jusqu'en 1920 et même au-delà, parfois jusqu'en 1930 [49]. Il était d'usage de les réprimer dans le sang et par l'incendie [50]. Parallèlement, la première phase de l'exploitation coloniale se traduisit par les portages* et les pagayages indéfiniment exigés, des réquisitions et confiscations de toutes sortes, des impôts abusifs et amendes de guerre, divers travaux forcés pour les voies ferrées, pour les plantations et les récoltes destinées à l'exportation, pour les chantiers forestiers ; disettes et famines persistèrent, s'aggravèrent même en plusieurs points (Gabon, 1924-1927 ; sept régions lors de la crise 1920-1930 [33], [51], [56]). Les infrastructures sanitaires restèrent médiocres ou absentes jusque vers 1930 ; il faut ajouter à cela le départ massif de la population active masculine (jusqu'à 60 % des hommes de 15 à 45 ans) vers les mines, les chantiers, les villes et dans les armées des colonisateurs, ce qui provoqua une dislocation des familles villageoises. L'esclavage et les fameux "villages de liberté", véritables camps de misère, ne furent abolis que très progressivement à partir de 1905, en Afrique noire française. Rappelons encore que pour obtenir les porteurs indispensables et le versement des impôts, femmes et enfants furent pris en otage par dizaines, enfermés dans des cases et intentionnellement non nourris jusqu'à ce que les hommes se fussent présentés. Beaucoup de ces otages moururent ainsi sur place, dans le lieu de détention. "Entre l'expansion des maux importés et le recul des fièvres, des maladies intestinales, de la lèpre et du choléra " la balance demeure incertaine, notent M. REINHARD et A. ARMENGAUD [52]. Les mêmes auteurs rapportent la réflexion suivante : "l'Afrique noire a pu survivre à trois siècles de traite mais risque de succomber après un siècle de colonisation".

 

Pour tenter une évaluation du recul démographique engendré par l'accumulation des faits historiques mentionnés, il est possible de citer un certain nombre de chiffres :

 

- au Tchad, selon Annie LEBEUF (1959), l'agglomération de Logone Birni, en pays Kotoko, comptait 12 000 habitants lorsque NACHTIGAL y passa en 1872 et à peine un millier dans les années 1950. L'auteur précise que ce pays était alors "infiniment plus peuplé qu'aujourd'hui" ; "le moindre village comptait 3000 à 6000 âmes". Elle note de même que la capitale du Baguirmi serait passée de 25 000 habitants en 1850, d'après BARTH, à 10 000 en 1900 et un millier environ lorsqu'elle y était.

 

- au Soudan, selon K. J. KROTKI [53], la population serait passée de 9 millions d'habitants en 1882 à 2,165 millions en 1903.

 

- au Kenya, M. H. DAWSON considère que la population Kikuyu avait sensiblement diminué entre 1890 et 1925 [54].

 

- au Zaïre, selon Hannah ARENDT, s'appuyant sur plusieurs auteurs, les agents de LÉOPOLD II auraient fait diminuer la population de plus de moitié [55].

 

- en Tanzanie et en Namibie, les Allemands passent pour avoir supprimé quelque 120 000 Massi-Massi et Ngoni, 75% à 80% des Héréro (le fait a été confirmé), 50 % des autres Namibiens [56].

 

- le pays Massaï perdit 50% de sa population par suite d'une épidémie de variole à partir de 1897 (même source).

 

- dans l'ensemble Gabon, Congo, Oubangui-Chari, C. COQUERY-VIDROVITCH estime que la population a diminué d'un tiers, durant la première phase de la domination coloniale [57]. J. SURET-CANALE cite une circonscription où la population aurait été réduite de 40% entre 1908 et 1916 et une nouvelle fois de 40% de 1916 à 1924. Il mentionne également le témoignage d'un colon qui avait écrit qu'entre 1911 et 1921, la population des trois colonies aurait perdu 63% de ses effectifs [49]. Concernant un secteur du cercle de Gribingui, le chef de poste écrivait dans son rapport en 1902 : "Quelques mois encore... et ce ne sera plus qu'un désert semé de villages en ruine et de plantations abandonnées. Plus de vivres et de main-d'oeuvre, la région est perdue." [58]. Trois ans plus tôt, le capitaine JULIEN notait à propos d'une région proche de la Kotto : "On ne voyait que des vestiges de villages incendiés qui pouvaient compter jusqu'à un millier de cases... tout a été razzié et rasé par BANGASSOU.. Pas une maison debout pendant 25 km. Le mil arrivé à maturité a été coupé et emporté". La ville de Saïd Baldas, en pays Kreich, avait plus de 5000 habitants en 1901. Elle fut détruite de fond en comble par SÉNOUSSI en 1902 [59]. Le R. P. DAIGRE (1947) raconte qu'on imposait même le travail de nuit pour la récolte du caoutchouc, que les récolteurs affamés et épuisés tombaient comme des mouches, et que les Banda mouraient par milliers de l'œdème des camps de concentration (pp. 113-116, cité par SURET-CANALE [49] qui constate que ces conditions, ajoutées à la séparation forcée des hommes et des femmes, rendaient la procréation elle-même impossible). Quant aux chantiers, les démographes M. REINHARD et A. ARMENGAUD ont noté qu'ils ont "vidé des régions entières : telle la construction du Congo-Océan qui exigea de 1920 à 1940 de 20 000 à 30 000 travailleurs". Il en fallut autant dans la région côtière du Gabon pour les exploitations forestières où la mortalité était très forte : 17% de l'effectif en un seul mois à Oyem en 1922. "Comme ils n'engageaient en général que des hommes de 20 à 40 ans, une grande partie de la population mâle en âge de procréer fut perdue" (1961, p. 477). Au total une surmortalité extrêmement élevée durant un demi-siècle, presque sans répit. Anne RETEL-LAURENTIN souligne en outre les forts pourcentages d'infécondité dus aux maladies vénériennes importées notamment chez les Nzakara [60], [61].

 

- en Afrique australe, on sait par ailleurs que les Anglais et les Bœrs menèrent des guerres meurtrières contre les Bantous et les Hottentots.

 

- en Afrique occidentale, A. DEMAISON estimait à 30 000 le nombre de morts en huit mois, lors des conflits avec EL-HADJ OMAR (cité par Oumar BA [62]). Cet auteur signale que la bataille de Diaty au Sénégal fit beaucoup de victimes. Sikasso comptait 40 000 habitants : après bombardement avec des obus, "tout fut pris ou tué" (témoin cité par VIGNÉ D'OCTON et SURET-CANALE). Le passage de la colonne VOULET-CHANOINE se signala par de multiples pendaisons et des monceaux de cadavres. Le soulèvement général des Ashantis fut écrasé par les Anglais qui saccagèrent également Bénin et réduisirent les révoltes Temne et Mende en Sierra-Leone. Seize villages Dogon furent pris un à un à grand renfort d'artillerie, les villages Coniagui, brûlés, en A.O.F., où se révoltèrent également les Abé, les Kissi, les Toma, les Somba, les Bobo, les Baoulé, les Gouro, les Dan, les Lobi, les Bété...

 

- au Cameroun, J. HURAULT signale que l'invasion peule en Adamaoua réduisit la population dans de très fortes proportions et que "l'enceinte de la ville de Banyo, construite vers 1880, correspond à une population dix fois supérieure à la population recensée en 1954" [63].

L'accroissement de population dans plusieurs sites refuges ou épargnés, avec les conditions de vie et d'hygiène que l'on sait, ne pouvait compenser toutes les coupes sombres. Il s'en faut de beaucoup.

 

Tout ce qui vient d'être répertorié conduit à penser qu'en moyenne, en incluant les effets tragiques de la continuation de la traite orientale jusqu'au début du 20e siècle, l'Afrique noire a dû perdre plus d'un tiers de ses habitants entre 1880 et 1930.

 

Pour avoir un ordre de grandeur de la population de l'Afrique noire vers 1850/1870, il faut donc retrancher d'abord du chiffre retenu en 1948/1949, l'accroissement démographique enregistré entre 1930 et 1948 : on trouve environ 127 millions d'habitants en 1930. En accord avec ce qui précède, ces 127 millions représentent moins des 2/3 du chiffre approximatif de la population de l'Afrique noire vers 1850/1870. On obtient ainsi un ordre de grandeur de cette population : 200 millions d'habitants en Afrique noire vers 1860.

 

V.2. Recherche d'un ordre de grandeur de la population de l'Afrique noire au 16e siècle

 

Que s'est-il passé entre le 16e et le milieu du 19e siècle ?

 

V.2.1. Observations diverses

Au colloque international d'Haïti (1978) [64] puis à celui de Nantes (1985) [65], les chercheurs se sont efforcés d'analyser les effets des différentes traites des esclaves, particulièrement en Afrique noire même. Selon les dernières mises au point qui se rapprochent des chiffres antérieurement proposés par J. D. FAGE, une trentaine de millions d'individus, au moins, ont quitté l'Afrique noire de 1550 à 1900, soit par l'Atlantique (pour plus de la moitié), soit par le Sahara, la mer Rouge et l'océan Indien

Mais ces pertes sont loin de représenter l'ensemble des effets démographiques sur le grand triangle subsaharien. Avant même l'installation de la traite sur une grande échelle, les attaques portugaises puis marocaines (1591), provoquèrent beaucoup de morts et de destructions. On l'oublie trop souvent. Les riches villes de la côte orientale, dont les vestiges sont toujours visibles, ont été détruites, la Mozambique et la Zambézie, ruinées, ainsi que le Kongo, l'Angola et, par ailleurs, la boucle du Niger. Les anciens royaumes et empires se disloquèrent.

Dans les décennies qui suivirent, "le contexte économique de la traite a largement déterminé l'éclosion des conflits intérieurs et des guerres civiles, la multiplication des pillages sur les populations paysannes". C'est ce qu'ont observé C. BECKER et V. MARTIN en Sénégambie [66]. La traite fut en même temps la cause de nombreux mouvements de population qui n'allèrent pas sans heurts.

Pendant quelque trois siècles, par la force des choses, la plupart des royaumes, réduits à la dimension de principautés, accumulèrent des prisonniers de guerre-esclaves, à échanger contre des armes à feu et certains produits européens ou arabes. Au Congo, au Dahomey, au Sénégal, certains rois essayèrent de s'opposer à l'exportation des esclaves, en vain [67]. Le système fut le plus fort. Le pourcentage d'esclaves dans la population devint énorme (plus de la moitié). Or, "le taux de natalité d'une population servile est souvent bas" [68], [69]. Les esclaves étaient répartis entre les marchés, les captiveries, des villages/réserves d'esclaves relevant du prince et enfin, les notables et les particuliers.

C. BECKER constate en Sénégambie le dépeuplement des zones frontalières entre les royaumes; ces zones sont reconquises par la brousse ou la forêt "alors qu'elles représentaient des secteurs densément peuplés" [70].

On observe des phénomènes analogues dans la plupart des régions : (Fuuta Jallon, Bénin, Oyo, Dahomey (cf. communications de B. BARRY et celle de J. E. INIKORI au colloque de Nantes). Au Kongo et en Angola ce fut bien pis. W. G. L. RANDLES rapporte, d'après les archives portugaises, que des milliers de combattants furent tués et d'innombrables esclaves capturés en Angola directement par les Portugais. La population de l'intérieur avait "gravement diminué" à cause des guerres intestines, des razzias pour capturer les esclaves et des effets de la variole, selon les termes même de Manuel FERNANDES (1670). La région d'Ambacca avait perdu en 1782, les 2/3 de ses habitants [82].

Il y eut évidement, formation de nouvelles villes portuaires le long de la côte Atlantique, mais, à certaines distances variables alentour et surtout à l'intérieur, dépeuplement de régions entières où, comme l'a souligné R. MAUNY [71], des bandes armées pillaient, brûlaient, volaient continuellement, "emmenant vers la captivité tous ceux qu'ils pouvaient prendre". Les cultures, écrit-il, étaient abandonnées, la famine s'installait à demeure. "L'on assista à une effroyable régression de la civilisation nègre... le guerrier devenant désormais le seul maître. La pax maliana n'était plus qu'un souvenir de l'âge d'or du Soudan". Les villages se perchent sur des hauteurs faciles à défendre mais défavorables à l'agriculture, l'artisanat autochtone s'étiole ainsi que le commerce inter-régional des produits indigènes (dont nous avons des preuves qu'il était auparavant très actif).

 

V.2.2. Comparaison significative *

Dans une étude intitulée Conditions écologiques et traite des esclaves en Sénégambie"[72], C. BECKER souligne qu'au 18e siècle, les crises de subsistance se multiplient, de nouveaux problèmes sanitaires apparaissent, et les épidémies - comme celles de la fièvre jaune - tendent à devenir endémiques.

 

Voici l'extrait d'une lettre de R. C. GEOFFROY de VILLENEUVE, médecin, collaborateur du chevalier de BOUFFLERS au Sénégal à la veille de la Révolution, citée par F. THÉSÉE [73] :

"On voit dans l'île de Biffeche nombre de villages dépeuplés, et il n'y en a pas moins dans le Oualo. Il n'y a pas de crique ni de recoin qui n'ait été ravagé. Presque tous les villages ont été troublés et alarmés par ces voleurs d'hommes. Ces infortunés habitants ne savent que devenir. Le seigneur de Biffeche ni le roi du Oualo n'ont le pouvoir de les protéger car le premier est tributaire du second, et celui-ci dépend des Mores. Dans le temps des semailles et de la moisson, ils sont obligés de se tenir dans leurs villages, à portée de leurs terres pour les travaux de culture et pour assurer leur récolte. Ils ont alors quelque abri et un moyen de se cacher grâce à la hauteur des herbes aux approches de la moisson. Mais après cette époque, ils n'ont aucun espoir de se cacher, à moins de se loger auprès des forêts+. C'est pourquoi les habitants de ces contrées se joignent alors deux ou trois villages en un seul pour pouvoir résister aux incursions des Mores. Venue la saison de semer et de recueillir, ils retournent à leurs terres, mais ils y vivent dans un état continuel d'inquiétude et de crainte. On ne saurait décrire tous les ravages horribles que font les Mores... "

 

Que l'on compare avec la description de la France rurale pendant la guerre de Cent Ans.

 

"Les calamités qui secouent jusque dans ses fondements la paysannerie... sont en réalité d'origines variées et de natures diverses. Elles ne sont pas pour autant indépendantes les unes des autres. Les soldats, tout comme les marchands, propagent les épidémies... La sous-alimentation et la malnutrition, fruits d'une série de récoltes perdues ou déficitaires, créent un terrain favorable au progrès et à la dissémination géographique et sociale des maladies contagieuses. Donc, plus que d'une collection de facteurs juxtaposés qui opéraient pour leur propre compte, il s'agit d'un écheveau touffu d'interactions complexes qu'il n'est pas toujours aisé de démêler" [74].

 

Tout comme la peste en France, diverses maladies "s'installent" (choléra, dysenteries...), "se signalent ici ou là" ou "se déploient en grandes vagues", deviennent endémiques, "détraquent par à coups successifs la mécanique fragile de l'économie" (id. p. 44)... "se réveillent au cours d'une disette" (p. 47), "s'acharnent sur les enfants, d'où, vingt ans plus tard, des classes creuses... La répétition des coupes sombres, l'action différentielle sur les tranches d'âge débouche sur une irrémédiable décadence des peuplements, renforcée par l'immigration"(id)..."comme la peste, les campagnes militaires procèdent par vagues... les provinces sont inégalement touchées"(p. 48)..."La simple menace du retour des troupes, même s'il ne se produit pas, suffit à paralyser l'activité"(p. 50)... "A la fois conséquence et cause des difficultés, le brigandage prolifère"(p. 54)..."Les paysans recourent à un vieux refuge, la forêt+. Ils s'y cachent. De là ils surveillent le déplacement des troupes armées... La nourriture, si précaire soit-elle, n'est jamais totalement absente des sous-bois; quand elle vient à manquer, un coup de main sur les soldats isolés ou sur un voyageur solitaire peut y remédier au prix d'un meurtre parfois" (p. 70).

 

C'est aussi à peu de choses près ce que raconte Mungo PARK (1795/1797), avec un élément supplémentaire : la caravane d'esclaves.

 

De sa relation de voyage se dégage un tableau qui s'oppose point par point à celui que traçaient les voyageurs arabes du 10e au 16e siècles et les premiers navigateurs*. Pas plus que pendant la guerre de Cent Ans, une "poussée nataliste" ne pouvait "compenser" les pertes cumulées, d'autant que les razzias se pratiquaient avec les armes de la guerre de Trente Ans, puis celles du 18e siècle.

 

P. KALCK montre que la traite atlantique atteignait aussi le territoire centrafricain et que c'est à tort qu'on cherche à minimiser les ravages de la traite atlantique en prétendant que les esclaves vendus ne pouvaient provenir que du proche hinterland de la côte. Il ressort de plusieurs relations des 16e et 17e siècles et de diverses constatations, que des esclaves venus des confins de la Nubie ou du Tchad étaient conduits au Congo ou sur les rivages guinéens en raison du "commerce de tribu à tribu, articulé sur la vente des hommes" [75]. Le même auteur cite le lettré tunisien, EL TOUNSY, qui voyagea dans le nord-est du territoire centrafricain de 1803 à 1813 : 80 razzias fondaient sur cette région chaque année, les captifs mouraient "par milliers sur le chemin de la servitude". Il donne l'exemple d'un lot de 20 esclaves dont 2 ou 3 seulement parvinrent à Darfour, et observe que "de nombreuses épidémies se déclaraient dans les colonies". Semblables expéditions décimaient les Sar.

 

J. E. G. SUTTON signale une ville du Ghana (actuel) qui comptait jadis 77 rues; "it was reduced to nothing in 1679 (plus or minus two years" [79].

 

Cependant, les auteurs de l'histoire rurale de la France poursuivent : "Tout départ d'habitants, même partiel, s'accompagne d'une sous-exploitation des terres" (p. 71). "Mal entretenues, les terres voient simplement tomber en flèche leur rendement de 50% ou plus" (p. 72).

 

Enfin, ils concluent par une estimation globale de la dépopulation de la France pendant cette période, en ces termes :

"La comparaison des feux, des feux réels dits 'allumants' (et non des feux fiscaux)... demeure source d'évaluation : grâce à elle, on peut cerner l'ampleur de la catastrophe. Malgré le taux d'incertitude qui concerne le nombre de personnes par foyer ainsi que les fluctuations de ce nombre... Du début du 14e siècle au milieu du 15esiècle, le nombre de feux diminue de moitié, proportion allègrement franchie dans les régions les plus touchées... La dépopulation rurale, mouvement d'ensemble, se décompose donc en une bigarrure d'évolutions régionales, et même locales, qui sont d'amplitude variable et de chronologie différente" (pp. 72, 74, 75).

 

Les incertitudes et les disparités régionales n'interdisent donc pas de proposer un ordre de grandeur de la diminution de la population dans son ensemble : "de moitié au moins" pour la population de la France entre 1340 et 1450. De combien la population de l'Afrique noire a-t-elle diminué de 1550 à 1850 ?

 

V.2.3. Données chiffrées et méthode d'évaluation

 

La méthode d'évaluation préconisée est identique à celle que G. DUBY a utilisée pour mesurer les effets démographiques de la guerre de Cent Ans en France : comparer le nombre de feux réels avant et après la période considérée. Le réseau des villes et des villages reflète l'état de l'économie.

 

Au 16e siècle, les grandes villes comme Gao, Tombouctou, Kano, comptaient approximativement 140 000 à 170 000 habitants. Au 19e siècle, Tombouctou n'a plus que 13 000 à 23 000 habitants, selon les témoignages de BARTH et de LENZ (moyenne 18 000). Mais les plus grandes agglomérations du 19e siècle atteignaient trente à quarante mille habitants (Ségou). CLAPPERTON, en 1824, attribue à Kano exactement la même fourchette. Le rapport moyen de la population urbaine entre le 16e siècle et le 19e siècle à prendre en considération est donc 150 000 : 35 000 = 4,29 et non 150 000 : 18 000. De même pour les villages, Valentim FERNANDES (fin 15e siècle/début 16e siècle) nous dit que, dans l'empire du Mali, ils atteignaient souvent "5000, 10 000 habitants et plus", alors que les plus grands villages que rencontre René CAILLÉ (1824-1828) en comptent à peine 1000. En Afrique occidentale, la population aurait donc été environ quatre fois plus nombreuse au 16e siècle qu'elle ne le fut au 19e. Encore n'est-il même pas tenu compte, dans cette estimation, du fait que le nombre des agglomérations a aussi diminué au cours de la même période [cf. ci-dessus J. E. G. SUTTON [79a].

 

Enfin, d'après les textes des deux époques différentes, il apparaît que le nombre de combattants que pouvait rassembler un prince était aussi beaucoup plus élevé au 16e siècle qu'au 19e siècle. Le rapport est également de l'ordre de 4 ou 5 pour 1.

 

Le rapport approximatif de 4 à 1, observé en Afrique occidentale, est-il représentatif de la diminution de l'ensemble de la population de l'Afrique noire entre le 16e siècle et le 19e siècle?

Du cap des Palmes au sud de l'Angola, les pertes furent plus élevées. Gwato, le port de Bénin, comptait 2000 feux lors de l'arrivée des Portugais et n'en avait plus que 20 à 30 quand y vinrent les premiers explorateurs du 19e siècle [79b]. Les divers témoignages indiquent que le Congo et l'Angola étaient bien peuplés au début du 16e siècle. L'étude de RANDLES montre comment, en Angola, cette population nombreuse avait été réduite à moins de 200 000 selon un recensement effectué par les Portugais en 1819 [82].

 

En revanche, au Tchad, en pays Kotoko, nous venons de le voir, les villages que NACHTIGAL trouve sur sa route comptent 3000 à 6000 âmes en 1872. En 1850, le Baguirmi est encore fort peuplé, selon le témoignage de BARTH. Et, d'après CLAPPERTON, au début du 19e siècle, la capitale du Bornou réunissait jusqu'à une centaine de milliers de personnes à la saison du grand marché des céréales et des légumes [35]. Ces régions seront décimées à partir de 1890. Le Soudan commence à se dépeupler à partir de 1820, après sa conquête par Méhemet ALI. K. J. KROTKI note que pour "BAKER, circulant entre Berber et Khartoum en 1862, les villages autrefois peuplés, avaient entièrement disparu, la population était partie, l'irrigation avait cessé" [53]. Dès le début du 16e siècle, les côtes de l'Afrique orientale furent ruinées par les Portugais, ainsi qu'une partie de la Zambézie. Il faudrait chercher des données numériques sur cette région. Pour l'Afrique australe, on connait les guerres contre les "Cafres", les entreprises de TCHAKA à la charnière du 18e et du 19e siècle, la bousculade de peuples provoquée par le déplacement des Bœrs dès la première moitié du 19e siècle, et les descriptions de LIVINGSTONE (1840/1864).

 

Il apparaît que, dans l'ensemble, les proportions relevées en Afrique occidentale peuvent être représentatives de la diminution moyenne de la population globale de l'Afrique noire du 16e au milieu du 19e siècle. Toutefois, en raison des chiffres indiqués par BARTH et par NACHTIGAL au Tchad et au Baguirmi, ainsi que de la permanence probable de peuplements assez denses dans certaines régions des hauts plateaux de l'Afrique orientale, surtout dans la première moitié du 19e siècle, il est plus prudent de proposer une fourchette : il paraît raisonnable de considérer que la population de l'Afrique noire, au 16e siècle, était trois ou quatre fois plus nombreuse qu'elle ne le sera au milieu du 19e siècle.

 

Autrement dit, puisque nous avons retenu l'ordre de grandeur de 200 millions d'habitants vers 1860 (cf. ci-dessus § V.1.), le volume de la population de l'Afrique noire au 16e siècle se situerait entre 600 et 800 millions d'habitants, soit une densité moyenne de l'ordre de 30 à 40 au km2. Insistons sur le fait que la plupart des régions de l'Afrique noire ont connu, pendant plus de deux siècles, une situation analogue à celle de la France pendant la guerre de Cent Ans avec les armes de la guerre de Trente Ans*, sans répi

Ces densités concordent avec les recherches archéologiques.

 

Dans une région comme le Yatenga, région disputée entre le Mali et le Songhaï d'une part, le Mossi d'autre part, donc zone d'insécurité et d'instabilité relatives, sur un échantillon de 1862 km2, la population ancienne a été estimée par J. Y. MARCHAL, à 26 560 habitants, soit une densité moyenne de 14,3 au km2. Encore faut-il remarquer que cette moyenne est abaissée par la faible densité, 4,8, d'un seul des quinze ensembles spatiaux étudiés; toutes les autres densités se situent entre 8,4 et 25,4 sur 1770 km2 [76]. De même, dans sa communication aux Entretiens de Mahler, en octobre 1985 à Paris, J. HURAULT a montré que dans l'Adamaoua, au Cameroun, avant l'arrivée des Foulbé, les densités de population, faibles dans une seule région (plaine de Gashaka) se chiffraient, dans les cinq autres, entre 10 et 250 au km2, selon les conditions bioclimatiques. Il a montré comment l'irruption d'un peuple nomade peut produire l'effondrement démographique des sédentaires [77]. Il évalue approximativement à 30 habitants au km2, la densité moyenne au 15e siècle, dans la zone de l'Adamaoua qu'il a étudiée. Il estime que les plus petits villages comptaient quelque 900 personnes, et les plus grands 25 000 [78]. Rappelons à nouveau qu'à Engarouka, les 6800 maisons en ruine sont directement visibles, et que les cases se construisent et disparaissent facilement.

 

VI. Quelques simulations numérique

 

VI.1. Densité de population en pays côtiers et leur hinterland de 1700 à 1800

 

Dans sa communication au colloque d'Edimbourg, J. THORNTON (University of Zambia) propose un modèle, discutable certes, mais qui a le grand mérite de préciser, dans 7 régions côtières, les densités minimales nécessaires pour alimenter les exportations d'esclaves, notamment en 1700 et en 1750 [80].

Il apparie une aire de l'hinterland avec la portion de côte correspondante, en exploitant de nombreuses sources de renseignements qui lui permettent de calculer le nombre d'esclaves retirés d'une région par km2. Il estime que les facteurs limitatifs de l'accroissement démographique, engendrés par les circonstances, ont ramené l'accroissement démographique annuel à 0,2%. En utilisant les données sur les groupes d'âges exportés et les pourcentages respectifs d'hommes et de femmes exportés, il calcule que pour 1000 esclaves exportés, il faut une population de 368 000 habitants au moment où il ont été exportés*. Il en déduit les densités moyennes minimales dans les régions considérées au 18e siècle. Nous extrayons de ses deux tableaux (p. 710 et 711) les chiffres significatifs pour notre étude, c'est-à-dire ceux qui correspondent aux plus forts effectifs exportés. On obtient le tableau suivant :

Région

 Superficie

milliers km2

Esclaves/an

milliers

Population minimale

milliers

Densité  minimale

habitants/km2

Senegal

1700/1750

1750/1800

245,2

3,5

1280,8

5,2

Guinea

1700/1750

1750/1800

 

200,4

 

 6,4

 

2 362

 

11,7

Windward Coast

1700/1750

1750/1800

96

3,9

1 435,2

14,9

Gold Coast

1700/1750

1750/1800

121,2

10,3

3 790,4

31,2

Slave Coast

1700/1750

1750/1800

148,4

15,3

5 630,4

37,1

Bight of Biafra

1700/1750

1750/1800

 

122,4

 

13,5

 

4 968

 

Angola

1700/1750

1750/1800

 

736,2

 

32,9

 

12 107,8

 

16,5

Tableau 1 : Population et densités minimales en 1700 ou 1750 dans 7 régions côtières de l'Afrique noire et leur hinterland, d'après les calculs de J. THORNTON, Department of History, University of Zambia (1981).

 

Même si je ne partage pas tous les présupposés de J. THORNTON, et si la conclusion qu'il en tire est seulement que l'on peut considérer comme réparés, en somme assez rapidemment, les dommages démographiques provoqués par la traite, son modèle est instructif et significatif. Il montre, en fait, que les densités de population sur de vastes régions d'Afrique noire devaient être comprises entre 11,7 et 40,6 au minimum vers 1700-1750, confortant ainsi les évaluations proposées plus haut. La faible densité du Sénégal (5,2) signifie seulement que le nombre d'esclaves exportés durant la période considérée était nettement moindre que dans la zone comprise entre la Guinée et l'Angola.

 

VI.2. L'Angola au 16e siècle

 

Avec un calcul effectué d'après les données fournies par W. G. RANDLES, on détermine les populations minimales de l'Angola au 16e siècle de la façon suivante :

 

le taux moyen d'accroissement proposé par C. CLARK et J. N. BIRABEN pour la population de l'Afrique noire du 11e au 16e siècles est 0,14%. Celui que je propose dans ma thèse [36] est 0,35% de 1300 à 1500. W. G. L. RANDLES nous dit que de 1575 à 1819, une moyenne de 12 300 esclaves par an furent embarqués à Luanda, et qu'en 1819, les Portugais ont recensé 198 415 habitants en Angola [82].

 

A partir de ces données, on peut calculer la population de l'Angola en 1575 pour différentes valeurs du taux d'accroissement annuel moyen de la population (noté a ci-dessous) en appliquant la relation suivante :

 

P(t) = b + ( P(to) - b ) ( 1 + a )(t- to)          (1)

où :

 

P(t) : population au temps t (exprimé en années)

P(to) : population au temps to antérieur au temps t (exprimé en années)

a : taux d'accroissement annuel moyen de la population

b =  nombre d'esclaves partis annuellement /   taux d'accroissement annuel

 

Cette expression mathématique fournit la population, P(t), à un instant t quelconque, connaissant la population , P(to), à un temps antérieur to, le taux d'accroissement annuel moyen, a, de la population et le prélèvement annuel moyen d'esclaves dans cette population. Inversement, si l'on connaît P(t) au temps t on peut en déduire P(to) en utilisant cette même relation (1).

 

On cherche donc, dans le cas de l'Angola, la population P(to) dans le cas de figure défini ci-après :

 

to =1575, t=1819, t - to = 244 ans et P(t) = 198 415, nombre moyen d'esclaves annuellement exportés = 12 300.

P(to) est calculé pour deux valeurs du taux d'accroissement annuel moyen positif respectivement a = 0,15% et a = 0,35%, dans cinq cas qui font varier de 0 à 4 le nombre de morts pour un esclave ayant quitté vivant l'Angola. On obtient le tableau suivant :

 

a

  0 pour 1    1 pour 1    2 pour 1 3 pour 1 4 pour 1
0,15 % 2 647 700 5 157 700 7 667 700 10 647 700 12 688 000
0,35 % 2 100 500 4 116 200 6 132 200 8 148 100 10 164 000

Tableau 2 : Population de l'Angola en 1575 calculée dans dix hypothèses *.

 

W. G. L. RANDLES précise bien que ce sont là les chiffres officiels qui ne tiennent pas compte de la fraude, soulignons-le. Le nombre d'esclaves embarqués a donc dépassé ce chiffre annuel moyen de 12 300. Dans la réalité, les choses se sont passées différemment. Dès la fin du 16e siècle, les Portugais avaient mené des guerres extrêmement meurtrières qui avaient déjà éliminé brusquement une part importante de la population. Guerres intestines, razzias, épidémies de variole, fuite des habitants occupèrent le 17e siècle. Au 18e siècle, le nombre moyen d'exportés baissa, et les esclaves furent amenés de l'intérieur, du royaume Lunda

Mais l'intérêt de ce tableau est de montrer le nombre minimal d'habitants qu'il faut compter au 16è siècle, dans la région, pour alimenter une exportation annuelle régulière moyenne de 12 300 esclaves. Quand on sait que ce nombre est inférieur au chiffre réel et que les faits historiques connus permettent d'affirmer que, dans ce pays, le nombre de morts et disparus fut probablement plus élevé que 4 pour 1, on peut mesurer l'importance de la population que l'on devrait rationnellement attribuer à l'Angola au 16e siècle et constater que les témoins oculaires de l'époque ne se sont pas trompés et qu'ils n'ont pas menti.

 

La population proposée par M. SORET pour le territoire du Congo Brazzaville avant la traite est de 500 000 habitants. Si on prélève 15 000 personnes par an, cette population est réduite à 0 au bout de 39,5 ans, avec un taux d'accroissement positif de 0,14%; l'anéantissement intervient en 58,6 ans avec un taux d'accroissement positif de 0,35%. Pour compenser de telles pertes, il faudrait des taux d'accroissement de l'ordre de ceux que connaît aujourd'hui l'Afrique (entre 2,5 et 3%).

Ces calculs mettent clairement en évidence le caractère irréaliste du chiffre de 500 000 habitants indiué par M. SORET pour cette région

 

VI.3. Cas de l'ensemble de l'Afrique noire

Si l'on considère le chiffre le plus bas retenu ici, pour la population de l'Afrique noire au 16e siècle, c'est-à-dire 600 millions et qu'on le compare aux 200 millions obtenus pour le milieu du 19e siècle, la différence est de 400 millions, correspondant à environ 30 millions d'esclaves exportés. Cela signifie 13 individus perdus tant par les effets indirects (insécurité, maladies...) que par les effets directs de la traite, pour un captif parti vivant, et que le taux de diminution de la population se chiffre, en moyenne, à 0,36% par an. Si élevés qu'aient été les taux de natalité, ils ne pouvaient compenser les pertes directes ajoutées à une surmortalité permanente et aux manques à naître

Le calcul permet de voir combien est sous-estimée l'hypothèse d'une population de 95 millions évaluée vers 1730 en Afrique noire. Supposons qu'il n'y ait eu que 4 disparus pour un esclave exporté, que le taux d'accroissement soit resté positif, en moyenne 0,14% (taux adopté par C. CLARK et J. N. BIRABEN pour la période du 11e au 16e siècle), et que 140 000 esclaves par an (toutes traites additionnées) aient été exportés jusqu'en 1830. A cette date, il ne resterait plus que 34 millions d'habitants [on applique la même relation (1) avec : a = 0,14%, to=1730, P(to) = 95 millions, effectifs annuellement soustraits : 140 000 + (140 000 x 4)].

D'autre part, si l'on suppose comme C. CLARK et J. N. BIRABEN que la population de l'Afrique noire était de l'ordre de 90 millions au 19e siècle [83], on est obligé d'admettre une population beaucoup plus élevée au début du 18e siècle, date à laquelle elle avait déjà décliné par rapport au 16e siècle, par suite des actions portugaises et marocaines, de l'introduction des armes à feu et de l'accroissement de la traite pendant tout le 17e siècle.

 

VII. Conclusion

Compte tenu de tout ce qui précède, il paraît raisonnable de retenir les ordres de grandeur rassemblés dans le tableau 3 et sur la figure 1 pour décrire l'évolution de la population de l'Afrique noire du 3e millénaire BC à 1948/1949.

Pour l'Afrique noire, les spécialistes de la démographie historique ont négligé de prendre en considération les textes des différentes époques (sources externes diverses arabes et européennes, sources internes, c'est-à-dire les chroniques autochtones, les unes recoupant les autres), alors que Jacques HOUDAILLE écrit [86] dans la revue Population (1985, n° 6, p. 996) "la lecture de la littérature ancienne fournit des renseignements précieux. On peut grâce à elle, estimer la population de l'Inde depuis 3000 ans avant J.-C."

De plus, les résultats des fouilles archéologiques effectuées en Afrique noire restituent peu à peu les empreintes du tissu socio-économique qui s'y était constitué avant que la dislocation politique consécutive aux attaques portugaises et arabes, et l'emploi des armes à feu, l'intensification des guerres et des razzias pendant quelque trois siècles ne provoquent des disettes, des famines, des maladies, des déplacements de peuples, une régression irrémédiable des savoirs, le recours à l'auto-subsistance locale, à quoi s'ajoute la ponction continue et numériquement élevée des éléments les plus dynamiques de la population par les différentes traites, puis par la conquête européenne et l'exploitation coloniale directe.

 

Les découvertes déjà réalisées ont prouvé que l'on s'était trompé sur l'ancienneté et l'importance du peuplement de l'Afrique noire [84]. Mais il est nécessaire de multiplier les fouilles archéologiques dans le plus grand nombre possible de régions afin de vérifier la thèse posée ici d'une population de 600 à 800 millions d'habitants, fin 15e/début 16e siècle, représentant une moyenne de trente à quarante habitants au km2.

 

Rappelons que la courbe de l'évolution de la population de l'Afrique noire, reconstituée dans cette thèse, a toujours été présentée comme "très approximative", seulement "indicative" et représentative de "l'allure générale" des variations du volume de la population noire africaine (cf. Population, n° 6, INED, 1985). Il ne peut s'agir en effet que d'ordres de grandeurs et non de chiffres précis. De nouvelles découvertes archivistiques et/ou archéologiques peuvent les modifier dans un sens ou dans l'autre. Mais on peut dès à présent affirmer que la taille et le nombre des habitats connus d'une part, les effectifs d'esclaves exportés déjà répertoriés, d'autre part, ainsi que l'évidence des effets multiples des traites et pillages, rendent caduques les faibles évaluations admises jusqu'à maintenant.

 

Selon notre thèse, la population actuelle n'aurait pas encore tout à fait rejoint les chiffres correspondant à l'époque où le cultivateur et l'artisan autochtones exploitaient le milieu intertropical dans le cadre d'une économie intra-africaine, caractérisée par une "concentration naine" (ateliers réunissant 50 à 100 tailleurs) [34], [35], [36], [85].

Malheureusement, le repeuplement se fait dans de mauvaises conditions économiques, politiques et sociales, et de façon très déséquilibrée, alors que jadis, le territoire était parsemé de réseaux de villages et villes moyennes. En outre, l'Afrique tropicale sèche s'étend aux dépens de l'Afrique pluvieuse généralement plus favorisée

Cependant, la connaissance du passé démographique et économique de l'Afrique noire antécoloniale permet de mieux comprendre la situation présente et surtout de mieux élaborer la construction du développement et de l'avenir dans le cadre de la société dite "post-industrielle" qui commence à se constituer.

 

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· La ville de Bénin : Gravure publiée à Amsterdam, en 1686, dans la "Description de l'Afrique" de DAPPER (Cf. K. Onwonwu DIKE, "Dès le Moyen Age existait en Nigéria un royaume prestigieux : Bénin", in Le Courrier de l'UNESCO, octobre 1959, pp. 12-19.

L'Éthiopie et la Nubie (actuel Soudan) ont de nombreux monuments plus ou moins conservés ou exhumés. En Afrique orientale et australe, des milliers de vestiges de murs et de mines ont été découverts (cf. JASPAN, "La culture noire en Afrique du Sud avant la conquête européenne", in Science and Society, Vol. XIX, n° 3, 1955 ; Basil DAVIDSON [42]) et plus spécialement, entre Zambèze et Limpopo, les ruines cyclopéennes de Zimbabwe, ainsi que celles des villes portuaires qui s'échelonnent le long de la côte de l'océan Indien et qui ont été étudiées par le R. P. G. MATHEW. En Afrique occidentale, chaque ville possédait une ou plusieurs mosquées de style typiquement soudanais, et la capitale d'empire, un palais. En pays Yoruba, FROBENIUS a décrit le palais de l'Oni d'Ifé : "une pompeuse construction faite d'authentiques briques émaillées … ". Quant au palais du roi du Bénin, qui a tant impressionné le Hollandais, il comportait de nombreux appartements pour les ministres et de belles galeries "aussi larges que celles de la bourse d'Amsterdam", "soutenues par des piliers de bois revêtus de plaques de bronze rivées ensemble, ou de cuivre rouge, où sont dépeintes leurs victoires" … "La salle d'audience était grande … avec un vaste impluvium central soutenu par une centaine de piliers" … Et il y avait autant de palais que de rois ayant régné.

 

A titre de comparaison, rappelons que l'Inde, en 1500, n'était pas celle d'aujourd'hui ! BABER, petit-fils deTIMOUR le BOITEUX, "s'étonne de l'instabilité des villes et des villages qui naissent et meurent soudain" et remarque que, dans la région de Malabar, " les campagnards vont généralement nus" [52, p. 115]. Beaucoup de monuments ont été construits après cette date. Dans L'état du Monde en 1492 (Éditions La Découverte, Paris, 1992), Marc GABORIAU note que "aucune ville indienne n'a la monumentalité d'de la capitale khmère d'Angkor", que les villes indiennes sont alors "en expansion", que les ports, "actifs sur toutes ls côtes, ne donnent généralement pas de très grandes villes, sauf au Gujarat et au Bengale". "Les grandes agglomérations sont de villes princières et autres villes administratives de l'intérieur"… L'auteur cite "Bidar, capitale des sultans Bahmani du Deccan"… Or, c'est une "cité murée de 4 km de circonférence"… Rappelons que Bénin était entourée d'un rempart de 30 km et pouvait compter plus de 200 000 habitants, comme la capitale du Bengale au début du 16e siècle (p. 78). Geneviève BOUCHON indique (p. 81) que les vestiges de Vijayanagar (ville du centre du Deccan) montrent que "d'anciens groupes de bâtiments alternent avec des zones agricoles", le tout occupant "plus de trente km2" ; cela correspond à un diamètre de quelque 6 km. La principale rue de Bénin en mesurait 7.

 

On attribue une population d'environ 150 millions d'âmes, pour cette époque, à la péninsule indienne, laquelle est environ 4,6 fois moins étendue que l'Afrique noire. Si l'on multiplie 150 millions par 4,6, on trouve justement un ordre de grandeur de 700 millions. Mais l'Inde, elle, a continué sur sa lancée pendant les trois siècles où l'Afrique noire se vidait et se ruinait toujours plus profondément.

 

 

Notes et références

[1] VAN NOTEN F., in Histoire générale de l'Afrique, I, Méthodologie et Préhistoire, Paris, Jeune Afrique/UNESCO, 1980, p. 593 et 595

[2] ALIMEN H., Préhistoire de l'Afrique, Paris, Boubée,1955, (2e éd. 1966)

[3] LEAKEY R., La naissance de l'homme, Paris, Éditions du Fanal, 1981

[4] CLARK D. J., "Préhistoire de l'Afrique Australe", in Histoire générale de l'Afrique, I, Chap. 20, Paris, Jeune Afrique/UNESCO, 1980, p. 558.

[5] WENDORF F. et SCHILD R., Prehistory of the Nile Valley, Academic Press, New-York, 1976, (404 p.) ;"Use of Barley in the Egyptian Late Paleolithic", in Science, n° 4413, 1979, pp. 1341-1347.

[6] WENDORF F., CLOSE A., GAUTIER A. et SCHILD R., "Les débuts du pastoralisme en Égypte", in La Recherche, vol. 21, n° 220, avril 1990, pp. 436-445.

[7] MUZZOLINI A., "La néolithisation du nord de l'Afrique et ses causes", in Neolithisations, Archeological Series, n° 5, BAR International Series 516, 1989, p. 170.

[8] SUTTON J.E.G., "Préhistoire de l'Afrique Orientale", in Histoire générale de l'Afrique, I, Chap. 19, Paris, Jeune Afrique/UNESCO, 1980, pp. 517-524.

[9] DESANGES J., "Les Protoberbères", in Histoire générale de l'Afrique, II, Chap. 17, Paris, Jeune Afrique/UNESCO, 1980, pp. 455, 459 et 461; cf. également : SALL B., "Des influences éthiopiennes sur l'Europe méridionnale", in Ankh, n° 1, Paris, 1992, pp. 51-58.

[10] ALIMEN H., op. cit., note 2, pp. 129-157. La civilisation néolithique et prédynastique est commune à l'Égypte et à la Nubie. Sur le caractère négro-africain de la civilisation égypto-nubienne, voir principalement C. A. DIOP, Nations nègres et Culture, 1954, Antériorité des civilisations nègres, 1967, Civilisation ou Barbarie, 1981, Paris, Présence Africaine.

[11] VAN NOTEN F., op. cit., note 1, p. 676.

[12] ROSET J. P., FAIRHALL A. W., in La Recherche, n° 148, oct. 1983, p. 1248.

[13] WAI ANDAH B., "L' Afrique de l'ouest avant le 7e siècle, in Histoire générale de l 'Afrique, II, Chap. 24, Paris, Jeune Afrique/UNESCO, 1980.

[14] DAVIDSON B., L'Afrique avant les Blancs, Paris, PUF, 1962, p. 56.

DIOP C. A., "Vers une remise en question de l'Age du Fer en Afrique", in Notes Africaines, n° 152, 1976, Dakar, IFAN.

[15] SUTTON J.E.G., "Préhistoire de l'Afrique Orientale", in Histoire générale de l'Afrique, I, Chap. 19, Paris, Jeune Afrique/UNESCO, 1980, p. 522

[16] COLLETT D. P. et ROBERTSHAW P. T., in Azania, XV, 1980, pp. 133-145.

[17] VAN NOTEN F., op. cit., voir note 6.

[18] MUZZOLINI A. , op. cit., voir note 5, p. 165.

[19] ALIMEN H., op. cit., voir note 2.

[20] ADAM S. et VERCOUTTER J.,"La Nubie trait d'union entre l'Afrique Centrale et la Méditerranée", in Histoire générale de l'Afrique, II, Chap. 8, Paris, Jeune Afrique/UNESCO, 1980, p. 249)

[21] Histoire générale de l'Afrique, II, Chap. 8 et 11, Paris, Jeune Afrique/UNESCO, 1980, pp. 254, 273, 334, 335. GEUS F., "Archéologie du Nil Moyen", vol. 1, 1986, vol. 2, 1987, Université de Lille.

[22] GRZYMSKY K.,"The Population Size of the Meroïtic Kingdom : An Estimation", in African Historical Demography, University of Edinburgh, 1981, pp. 259-274

[23] "Les métallurgies du Cuivre et du Fer autour d'Agadez (Niger) des origines au début de la période médiévale. Vues générales", pp.109 à 126., in N. ECHARD, Métall. afric., Paris, société des africanistes, 1983.

[24] DIOP C. A., "Vers une remise en question de l'âge du fer en Afrique", Notes africaines, 1976, Dakar, IFAN, n° 152, pp. 93-95. Le même échantillon provenant de N'Dalane (Sénégal) a été daté indépendamment, d'abord par C. A.DIOP, au Laboratoire du Radiocarbone de l'Université de Dakar, ensuite par G. DELIBRIAS, au Laboratoire de Gif-sur-Yvette en France, et a donné le même résultat :

échantillon Dak. 110. Résultat: 2861 ± 137 BC

échantillon Gif 2508. Résultat: 2829 ± 115 BC

 

M. C. VAN GRUNDERBEEK, ROCHE E., DOUTRELEPONT H., 1983, "Métallurgie ancienne au Rwanda et au Burundi", in Journées de Paléométallurgie", Actes du Colloque de Compiègne, 22-23 février 1983, pp. 407-423, et, "Le premier âge du fer au Rwanda et au Burundi, archéologie et environnement" ; à Buhaya (Lac Victoria), la plus ancienne date obtenue est 1470 BC (J. des Afr. 52, 1-2) Paris.

On savait déjà que le fer nubien est antérieur au fer hittite (cf. Th. OBENGA, L'Afrique dans l'antiquité, Paris, Présence Africaine, 1973). Rappelons que les âges les plus anciens obtenus à Nok (3500 et 2000 BC) n'ont jamais été réfutés avec des arguments convaincants (cf. coupe du site et commentaire, C. A. DIOP, in Notes Africaines, Dakar, IFAN, 1976, n° 152, pp 93-95).

La date des objets en fer trouvés dans une couche du Nachikoufien, postérieure à 2000 BC, reste à préciser. Au site de Mufulwe, plus à l'ouest, en Zambie, une poterie du premier âge du fer a été datée du 3e siècle BC (cf. P. ROBERT SHAW in Journal of African History, 25, 1984, GB, pp. 388-389).

[25] VAN NOTEN F., op. cit., voir note 6, p. 690

[26] et [27] KALCK P., Histoire de la République centrafricaine des origines préhistoriques à nos jours, Paris, éd. Berger-Levrault,1974.

[28] LECLANT J., in Histoire générale de l'Afrique, II, Paris, Jeune Afrique/UNESCO, 1980, p. 304).

[29] DURAND J. D., Historical Estimates of World Population - An Evaluation, Philadelphie, Population Studies Center 1974, p. 9, tabl. II, MAC EVEDY C., A. JONES, Atlas of world population history, Harmonds worth, Milddlesex, England Penguin Books, 1978, BIRABEN J. N., "Essai sur l'évolution du nombre des hommes", Paris, Population, 1979, n°1, p. 15).

[30] VIDAL P., "Archéologie du terrain centrafricain : une approche réaliste de l'histoire précoloniale et ancienne, Ebauche d'une synthèse.", in Recherches Centrafricaines, Table ronde, Etudes et documents n°18, Aix-en-Provence, 1984, pp. 5-45. Et communication in L'archéologie au Cameroun, par ESSOMBA J. M., Colloque international de Yaoundé, 6-9 janvier 1986, Paris, Karthala, 1992, pp. 133-178.

[31] MAC INTOSH S. K. et R. J. , "Prehistoric investigations at Djenné, Mali", in British Archaeol. Report, Inter. Ser. 89, Oxford, GB, 1980.

[32] PHILLIPSON D.W.,"Les débuts de l'Age du Fer en Afrique méridionale", in Histoire générale de l'Afrique, II, Chap. 27, Paris, Jeune Afrique /UNESCO, 1980, pp. 735-749, plus spécialement pp. 735, 739, 748).

[33] COQUERY-VIDROVITCH C. et MONIOT H., L'Afrique noire de 1800 à nos jours, Paris, PUF, 1974.

[34] DIOP C. A., L'Afrique noire précoloniale, Paris, Présence Africaine, 1960, (2e édition 1987).

[35] DIOP L. M., "Le sous-peuplement de L'Afrique noire", in Bulletin de l'IFAN, 1978, n°4, tome 40, série B, p.718-862.

[36] DIOP L. M., Recherches sur la population de l'Afrique noire, thèse de doctorat d'État, Université de Paris I, Sorbonne, 1983, 1e partie.

[37] DIOP L. M., "Essai d'évaluation de la population de l'Afrique noire aux 15e siècle et 16e siècles", dans la revue Population, 1985, 6, Paris, INED, p. 855-885.

[38] DIOP L. M., "Réponse au commentaire critique de J. N. BIRABEN", in Africa Zamani, Revue d'Histoire Africaine, n° 18-19, Université de Yaoundé,1987, p 50-56.

[39] MOLLAT M., Les explorateurs du 13e au 16esiècles, Paris, J. -C. Lattès, 1984.

[40] SORET M., Histoire du Congo, Berger-Levrault, 1978, p. 37.

[41] FROBENIUS L., Histoire de la civilisation africaine, traduit de l'allemand, Paris, 1952, Gallimard.

[42] DAVIDSON B., L'Afrique avant les Blancs, Paris, 1962, PUF, p. 204. Voir aussi JASPAN M. A. in Science and Society, Vol. XIX, n° 3 et Histoire générale de l'Afrique (UNESCO).

[43] MERCIER P., Civilisations du Bénin, Société continentale d'éditions modernes, Paris, 1962.

[44] DAPPER O., Description de l'Afrique (traduit du flamand), Amsterdam, Z. Wolfgang & al., 1686.

[45] CA DA MOSTO A. , Relation des Voyages à la côte occidentale d'Afrique, traduction Ch. SCHEFFER, Paris, Leroux, 1895.

[46] FERNANDES V., Description de la côte occidentale d'Afrique, traduction MONOD et al., 1951, Bissau, Centro de Estudo de Guiné Portuguèsa, mém. n°11.

[47] R. P. MATHEW G., "L'Océan Indien baigne des villes mortes", in Le Courrier de l'UNESCO, Octobre 1959.

[48] DIOP L. M., Bulletin de l'IFAN, 1978, n°4, p. 769, op. cit., note 35.

[49] SURET-CANALE J., L'Ère coloniale, Éditions sociales, 1964, notamment pp. 182 à 194 et p. 28

[50] Général MANGIN, Souvenirs d'Afrique (Lettres et carnets de route), Paris, Denoël et Steel, 1936, Livre I, cité par SURET-CANALE J, Afrique Noire, l'Ere coloniale, Paris, Éditions sociales, 1962, p. 4

[51] COQUERY-VIDROVITCH C., Le Congo au temps des Grandes Compagnies, 1899-1930, Paris-La Haye, Mouton, 1972, pp.494 à 503

[52] REINHARD M. et ARMENGAUD A., Histoire Générale de la population mondiale, Paris, Montchrestien 1961, pp. 365-366 et p.476).

[53] KROTKI K. J., "La population au Soudan au 19e siècle et au début du 20e, in Annales de démographie historique, Paris, 1979, pp. 165 à 193, Tableau II spécialement.

[54] DAWSON M. H. , "Disease and Population Decline of the Kikuyu of Kenya, 1890- 1925", African Historical Demography, 1981, University of Edinburgh, pp. 121 à 135.

[55] ARENDT H., L'impérialisme, 1982, Fayard, pp. 111-112.

[56] COQUERY-VIDROVITCH C. et MONIOT, L'Afrique noire de 1800 à nos jours, PUF, nlle coll. Clio, 1974. pp. 156 à 212.

[57] COQUERY-VIDROVITCH C. , in African Historical Demography, vol. I, University of Edinburgh, 1977, pp. 331 à 351

[58] Cité par P. KALCK, Histoire de la République Centrafricaine des origines à nos jours, 1974, p. 181.

[59] Idem, 1974, p. 176 et sq.

[60] RETEL-LAURENTIN A., Infécondité en Afrique noire, maladies et conséquences sociales, Masson, Paris, 1974

[61] RETEL-LAURENTIN A., Un pays à la dérive, une société en régression, le Nzakara, Paris, J. P. Delarge, 1979.

[62] BA O., "La pénétration française au Cayor", Dakar, recueil n°2, tome 1 des documents inédits, Dakar, 1976.

[63] HURAULT J., "Eleveurs et cultivateurs des hauts plateaux du Cameroun. La population du Lamid et de Banyo", in Population, Paris 1969, INED, n°5.

[64] Actes publiés par l'UNESCO, Etudes et Documents pour l'Histoire Générale de l'Afrique, 1979, 1985.

[65] Actes publiés sous le titre De la traite à l'esclavage, CRHMA et Société Française d'Histoire d'Outre Mer, Paris, 1988.

[66] BECKER C. et MARTIN V., La Traite des Noirs par l'Atlantique, 1976, Paris, Société Française d'Histoire d'Outre Mer et Geuthner, p. 283.

[67] DAVIDSON B., Mère Afrique, Paris, PUF, 1965, pp.217 et sq.

[68] RENAULT F. et DAGET S., Les Traites négrières, Karthala, 1985.

[69] MEILLASSOUX Cl. éd., L'Esclavage en Afrique précoloniale, Paris, Maspéro, 1975.

[70] BECKER C., " De la traite à l'esclavage", Paris, 1988, CRH du monde Atlantique et Société Française d'Histoire d'Outre Mer, communication au colloque de Nantes, Actes, Tome 2, pp. 71-110.

[71] MAUNY R., Les siècles obscurs de l'Afrique, Fayard, 1970, pp. 238-239 et p. 246.

[72] BECKER C., "Conditions écologiques et traite des esclaves en Sénégambie", African Economic History, 14, 1985, pp. 161-216.

[73] F. THÉSÉE, Actes du colloque de Nantes, tome I, 1988, p. 223 à 245 (voir note 64).

[74] DUBY G. et WALLON A. , Histoire de la France rurale, Seuil, 1975, p. 41.

[75] KALCK P., Histoire de la République centrafricaine. Paris, Berger-Levrault, 1974

[76] MARCHAL J. Y., "Vestiges d'occupation ancienne au Yatenga (Haute Volta). Une reconnaissance du pays Kigba", in Cahiers d'Histoire Africaine, ORSTOM, série sciences humaines, Vol. 15, 1978, n°4, pp. 449-4

[77] HURAULT J., "Les anciens peuplements des cultivateurs de l'Adamaoua Occidental, Méthodologie d'une approche spatiale ", Cahiers d'Histoire Africaine ORSTOM, série sciences humaines, Vol. 22, 1978, n°1, pp. 115-145.

[78] Communication personnelle.[79a] SUTTON J. E. G., African Historical Demography, vol. II, 1981, Edinburgh, p. 635 ; la communication de J. E. INKORI va dans le même sens (p. 283 à 31

[79 b] PACHECO PEREIRA Duarte (vers 1506-1508), Esmeraldo de Situ Orbis, Côte Occidentale d'Afrique, du Sud Marocain au Gabon, trad. R. MAUNY, Bissau 1956, Centro Estudos da Guiné Portuguesa, n° 19, p.135 et 190, note 276

[80] THORNTON J., in African Historical Demography, Volume II, Proceedings of Seminar held in the Centre of African Studies, University of Edinburgh, 24-25 April 1981.

[81] THORNTON J., "The demographic effect of the slave trade on Western Africa 1500- 1850", in African Historical Demography, II, University of Edinburgh, 1981, p. 691- 720

[82] RANDLES W. G. L., " De la traite à la colonisation. Les Portugais en Angola", in Annales Économies, Sociétés, Civilisations, Paris, mars-avril 1969, p. 289 à 305.

[83] DURAND J. D., Historical Estimates of World Population — An Evaluation, Philadelphie, Population Studies Center , 1974, p. 9, tableau I (où il cite les chiffres proposés par C. CLARK, pp. 49 à 53 et tableau II), et C. Mac EVEDY et R. JONES, proposent 30 à 60 millions en 1500, 50 à 80 en 1750, 88 à 120 en 1900. C. CLARK (in J. D. DURAND, p. 9) et J. N. BIRABEN (78-79 millions en 1500, 94/95 millions en 1750 et 95 millions en 1900), tableau 1, référence op. cit. note [29]).

[84] L'archéologie au Cameroun, par ESSOMBA J. M., Colloque international de Yaoundé, 6-9 janvier 1986, Paris, Karthala, 1992 ; DIOP-MAES L. M.,"Introduction générale au Séminaire Méga-Tchad, Datations et chronologie dans le bassin du lac Tchad", Bondy, ORSTOM, 1989, à paraître ; BECKER C., DIOUF M., M'BODJ M., "Les sources démographiques de l'histoire de la sénégambie", in Annales de démographie historique, Société de démographie historique, Paris, p. 15-25, 1987.

[85] DIOP C. A., op. cit., note 34, Chapitre 6.

[86] HOUDAILLE J., "Compte rendu du congrès général de l' UIESP", Paris, in Population, 1985, n°6, p. 996.

 

 

Préhistoire et protohistoire : Scènes de chasse et d'affrontement qui témoignent de l'aire d'extension des populations noires dans l'ensemble du continent africain :

  - dans la Vallée du Nil (Cf. WINKLER H.J.), Rock Drawings of Southern Upper Egypt, London, The Egypt Exploration Society, 1938, p. XXIV, n°

· - au Tassili N'Ajjer (Cf. LHOTE H., A la découverte des fresques du Tassili, Paris, Arthaud, 1958, n° 42)

¸ - en Afrique australe (Cf. J. E. PARKINGTON, "L'Afrique méridionale : chasseurs et cueilleurs", in Histoire générale de l'Afrique, Paris, UNESCO, tome 2, p. 708).

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