Histoire de la population
de l'Afrique noire du néolithique au milieu du 20e
siècle.
Faits, méthodologie et
calculs.
Louise Marie
Diop-Maes
Article publié dans
ANKH n°2
Résumé
: Berceau de l'humanité, l'Afrique noire
a conservé un potentiel humain relativement important durant toute la
préhistoire. Les conditions naturelles sont comparables à celles de l'Asie
méridionale. Le peuplement s'est accru pendant l'Antiquité, particulièrement
dans la région du Nil Moyen. Du 8e au 17e
siècle, divers témoignages sur le nombre des habitants se recoupent entre eux et
sont progressivement confirmés par l'archéologie.
En
partant des résultats du recensement de 1948-1949, on peut estimer à quelque
125/130 millions la population de l'Afrique noire en 1930. Entre 1870 et 1930,
l'analyse des faits historiques montre que la population a diminué de plus du
tiers : vers 1850-1870, elle était donc de l'ordre de 200 millions.
Entre 1550 et 1850, les attaques portugaises et
marocaines puis les différentes traites additionnées ont produit des effets
analogues à ceux des guerres de Cent Ans et de Trente Ans en Europe. En
comparant l'habitat du 19e siècle à celui des 15e/16e siècles, on constate que
la population du 19e siècle est 3 ou 4 fois moindre. Il est donc plausible de
supposer que l'Afrique noire subsaharienne, vers 1500/1550, devait probablement
compter entre 600 et 800 millions d'habitants, soit 30 à 40 au km2.
Des simulations numériques effectuées à partir de
nombres connus d'esclaves exportés, confirment l'impossibilité des hypothèses de
4 à 5 habitants/km2 au 16e siècle, admises jusqu'à présent et
corroborent les chiffres ci-dessus indiqués.
Abstract
:
EVOLUTION OF THE BLACK AFRICA
POPULATION FROM NEOLITHIC TO THE MIDDLE OF THE 20th CENTURY—
During the entire period of
prehistory, Black Africa, the cradle of humanity, maintained a relatively large
population. The natural conditions are comparable to those of South Asia. Human
inhabitation increased during Antiquity, especially in the Middle Nile region.
From the 8th to the 17th century, various testimonies related to population
density are similar and have been progressively confirmed as accurate by
archaeological findings.From the results of the 1948-49 census, the population
of Black Africa in 1930 can be put at 125/130 million. An analysis of historical
facts shows that the population had decreased in population by more than one
third of its people between 1870 and 1930. We can thus infer that in 1850-1870,
the population of Sub-Saharan Africa was approximatively 200 million.
Between 1550 and 1850, the Portuguese and Moroccan
attacks afterwards the different slave trades added have produced effects
similar to those which the One Hundred Years War and the Thirty Years War had on
Europe. In comparing the settlements of the 19th century to those of the
15th/16th centuries, it appears that the population in the 19th century is the
three or the four times inferior. It is therefore plausible to assume that Black
Africa most likely had a population of between 600 and 800 million, around
1500/1550, that is to say, 30 to 40 inhabitants per km2.
Numerical simulations based on known numbers of
exported slaves refutes the previously accepted hypothesis of 4 to 5 inhabitants
per km2 during the 16th century, and confirms the above figures.

Le Grand-Zimbabwe
: L' "Ellipse" et les ruines voisines — Bâtiment en forme d'Ellipse ; Les
dimensions en sont les suivantes : longueur : 90 m, largeur : 65 m, hauteur et
épaisseur des murs : 9 m et 6 m
I.
Introduction
Cet
article rappelle les nombreuses données, très diverses, dont nous disposons
concernant l'évolution quantitative de la population de l'Afrique noire depuis
la préhistoire jusqu'aux premiers recensements coordonnés de 1948/1949*.
Après un bref exposé de nos connaissances sur
le peuplement de l'Afrique intertropicale sous la préhistoire et l'Antiquité,
puis quelques considérations relatives aux conditions naturelles, sont examinés
successivement :
- l'état du peuplement entre le 8e
et le 17e
siècle d'après les témoignages et l'archéologie,
- une méthode d'évaluation de la
population noire africaine aux 15e
/16e
siècles
- les raisonnements et calculs qui
corroborent cette évaluation.
II.
Archéologie préhistorique et population noire africaine sous l'Antiquité
Dans
l'état actuel des recherches, il apparaît que, non seulement les Homo erectus,
mais aussi les Homo sapiens sapiens sont très anciens (130 000 ans ou
plus) en Afrique orientale où le climat est particulièrement favorable à
l'organisme humain, sauf en cas de sécheresse. Lorsque les conditions
bio-climatiques l'ont permis, le sol a conservé une partie indéterminée des
ossements de la population qui vivait aux époques préhistoriques. Les fouilles
archéologiques en ont mis au jour un pourcentage probablement faible. Cependant,
la quantité de vestiges osseux découverts en Afrique orientale est considérable,
ce qui laisse présumer un peuplement relativement important pour l'époque dans
cette région. Le préhistorien belge F. VAN NOTEN constate que le paléolithique
supérieur y est présent depuis plus de 40 000 ans [1], c'est-à-dire
antérieurement à son apparition dans les autres régions de l'Afrique et du
monde. La continuité des industries lithiques en Afrique intertropicale avait
déjà été remarquée et soulignée par H. ALIMEN [2], ce qui indique une évolution
sur place. Les figurations rupestres sont datées de 35 000 BC en Tanzanie [3],
et de 28 000 BC en Namibie [4].
La progression des peuples noirs
africains à la fin du paléolithique supérieur et au néolithique est constatée
par les spécialistes. Selon F. WENDORF et R. SCHILD, l'orge était connue dans la
vallée du Nil, en Haute-Égypte et y faisait l'objet d'une pré-agriculture vers
14 000/12 000 BC [5]. Les bovins domestiques du Sahara oriental (sites de Nabta
Playa et de Kir Kiseiba, à l'ouest d'Abou Simbel) ont été datés de 10 000 à 9000
BP. F. WENDORF, A. CLOSE, A. GAUTIER, et R. SCHILD, en concluent qu'ils sont "légèrement
plus anciens que ceux de l'Eurasie" [6]. Le processus de domestication se
serait réalisé, en fait, dans la vallée du Nil, en Basse Nubie, au cours du 9e
millénaire BC, approximativement [7]. Bien qu'il pense que la domestication des
plantes et des animaux s'est accomplie de façon beaucoup plus lente et
progressive, A. MUZZOLINI n'en écrit pas moins :
"On constate qu'en Afrique aussi les
groupements humains sont devenus importants, et concentrent désormais leurs
activités sur des territoires limités... L'augmentation de population paraît une
évidence. Les sites atériens se comptent par dizaines, ceux de
l'épipaléolithique par centaines; quant aux sites néolithiques... on en
rencontre partout, par milliers certainement" [7].
C'est entre 8000 et 6000 BC que
s'est épanouie, selon J. E. SUTTON, une civilisation révélée par de nombreux
sites archéologiques, caractérisée par une grande consommation de poissons et de
mollusques et qui occupe une aire immense : hauts plateaux du sud du Kenya et du
nord de la Tanzanie, Rift Valley, Nil moyen, Tchad, Haut-Niger, hautes terres du
Sahara [8]. Les populations noires couvraient le Sahara jusqu'aux côtes de la
Méditerranée comme le prouvent les "Capsiens négroïdes" de Tunisie, les gravures
rupestres du Sahara, et les premières représentations des Libyens dans
l'iconographie égyptienne [9]. Elles occupaient aussi l'Égypte [10]. Vers 8000
BC, les outils polis commencent à apparaître dans le Nachikoufien, en Zambie
septentrionale [11]. La céramique est attestée vers 7500 BC dans le massif de
l'Aïr [12].
En Afrique occidentale, à la lisière forêt/savane,
notamment à Iwo Eleru (Nigéria), le passage à la production alimentaire débute
vers 4000 BC [13], à peine plus tard que le Néolithique de Khartoum (site de
Shaheinab).
La civilisation de Nok, également au Nigéria, a perduré de
3500 BC (?) à 200 AD [14], relayée semble-t-il par la civilisation d'Ifé.
Une céramique a été trouvée dans le
niveau inférieur de la grotte de Gamble (Gamble's cave, Elmenteita, à l'est du
lac Victoria-Nyanza), daté de 6000 BC environ [15]. Au sud-est de ce lac, deux
sites ont fourni une poterie datée de la fin du 4e et du début du 3e millénaire
[16]. D'abondants vestiges de poterie ont également été trouvés à l'ouest du lac
Malawi, dans les niveaux du Nachikoufien, à partir de 2000 bc, c'est-à-dire 2400
BC (date calibrée) [17]. C'est à cette même date que les boeufs et ovicaprinés
domestiques sont attestés à Karkarichinkat, au Mali [18].
D'après divers écrivains anciens,
les démographes M. REINHARD et A. ARMENGAUD ont estimé que la population de
l'Égypte ancienne a dû être de l'ordre de 7 à 8 millions d'habitants, ces
chiffres "ne marquant pas nécessairement le maximum atteint" (voir note 52,
op. cit. p. 23).
K. W. BUTZER (Early Hydraulic
Civilisation in Egypt, Chicago, 1976, tableau 4, p. 83), cité par D.
VALBELLE, propose 866 000 habitants à l'époque thinite, 1 614 000 sous l'Ancien
Empire, 1 966 000 au Moyen Empire et 2 887 000 au Nouvel Empire, chiffres fondés
sur l'appréciation des récoltes (D. VALBELLE, La vie dans l'Égypte ancienne,
Paris, PUF, 1989, p. 9). D. VALBELLE considère que ces évaluations sont
susceptibles d'être remises en question par une étude des chiffres fournis par
les textes égyptiens mêmes. En effet, si l'on admet que l'armée de métier à
l'apogée du Nouvel Empire représentait 0,2% de la population (cf. L. M.
DIOP-MAES, voir note 35, op. cit., pp. 784-786), celle-ci pouvait se
chiffrer entre 9 et 10 millions. Mais en cas de cumul prolongé de mauvaises
conditions (troubles, guerres, crues insuffisantes…) le nombre d'habitants
pouvait être, à la fin, diminué de moitié.
De la 1e cataracte du Nil
jusqu'à la 6e, la vaste Nubie était relativement fort peuplée. Au Djebel Maya
(ou Moya), à 260 km environ au sud/sud-est de Khartoum, H. ALIMEN signale une
station néolithique qui contenait 1443 squelettes [19].
En 2680 BC, les Égyptiens
rapportent qu'ils ont fait, en Basse Nubie, 11 000 prisonniers et qu'ils ont
capturé 200 000 têtes de bétail [20]. Signalons, à titre de comparaison, qu'à la
suite d'une bataille contre Ur, sous SARGON 1er, vers 2400/2300 BC, 5060
prisonniers auraient été dénombrés et que la population mésopotamienne a été
estimée à 4 ou 5 millions d'habitants pour cette époque [52, p.25].
Au Moyen Empire, on mesure le volume
de la population nubienne et la puissance du royaume de Koush à l'importance
singulière des fortifications entretenues par les Égyptiens en Nubie pour tenir
la population, protéger la navigation et défendre leur frontière méridionale. A
l'époque de la domination Hyksos en Égypte, (17e siècle BC), le titulaire d'une
tombe à Kerma, était accompagné de 200 à 300 personnes. Poterie fine, poignards
de cuivre, bois travaillés et incrustés d'ivoire, chapeau de cuir orné de mica,
trouvés dans cette tombe, témoignent de l'importance de l'artisanat [21].
Sous le Nouvel Empire égyptien, on
relève en Nubie la présence d'un nombre considérable de scribes, de prêtres, de
soldats et policiers, d'artisans égyptiens et nubiens. Les listes des tributs
prélevés en Nubie montrent qu'il y avait non seulement des animaux et des
grains, mais aussi des chasse-mouches, des boucliers, des lits, des fauteuils,
donc des produits manufacturés, ce qui est très significatif puisque le nombre
d'habitants est lié au degré de développement de l'activité économique. Ensuite,
le royaume koushite devient très puissant et donne à l'Égypte sa XXVe dynastie
(8/7e siècle BC). Des centres urbains s'y développent. Au 5e siècle, HÉRODOTE
qualifiera Méroé de "grande cité", ce que les vestiges archéologiques ont
confirmé [21]. Les auteurs du chapitre 11, tome 2, de l'Histoire générale de
l'Afrique (UNESCO), A. HAKEM, I. HRBEK et J. VERCOUTTER, constatent, d'après
le résultat des fouilles, que Méroé à son apogée a été une cité "énorme",
dotée de tous les éléments liés à la vie urbaine (palais, thermes, temples,
cimetières, etc., cf. p. 335)
Les importants centres urbains
nubiens et l'habitat rural sont progressivement mis au jour par les archéologues
[21], rendant inacceptables les faibles évaluations proposées par K. GRZYMSKY
[22] (discussion in [36, p. 71 à 76]).
Dans l'état actuel des datations,
les débuts de l'âge du fer en Afrique sont plus anciens qu'en pays Hittite. D.
GREBENART considère que la métallurgie du fer était associée à celle du cuivre
autour d'Agadès, cette dernière débutant à la fin du 3e millénaire et s'étant
bien développée entre 1730 et 1400 BC [23] ; au Ruanda-Burundi les premières
trace de fer remontent à 1470 BC [24].
F. VAN NOTEN indique que, dès l'âge
du fer ancien, il existait des réseaux d'échanges étendus [25], ce qui est
confirmé par les quatre expéditions du chef de caravane égyptien HERKOUF, au 24e
siècle avant J.C. [26], à destination du pays de Yam, que l'historien P. KALCK
situe au nord-est de la Centrafrique [27] . Ceci laisse supposer, en même temps,
que la savane nilo-tchadienne était aussi peuplée, comme le pense J. LECLANT
[28].
Il importe de rappeler que la Chine
n'a émergé du néolithique qu'au 18e siècle avant J.C. alors que la civilisation
prédynastique couvrait à la fois la Nubie et l'Égypte aux 5e et 4e millénaires.
Cela implique un décalage en ce qui concerne l'accroissement démographique. Il
est logique de penser que l'Afrique, au néolithique et durant l'Antiquité,
devait avoir un nombre total d'habitants plus élevé que celui de l'Europe et
même probablement supérieur à celui de l'Asie, contrairement aux chiffres
publiés par les démographes [29]. Ces derniers n'avaient pas connaissance de
l'ensemble des vestiges et documents archéologiques dont nous disposons
aujourd'hui, et leur vision a-historique de l'Afrique noire leur a fait croire
que la pathologie observée en 1900-1930 était une constante.
En Centrafrique, l'archéologue P.
VIDAL propose une densité de l'ordre de 1 habitant au km2 au milieu du 1er
millénaire BC, ou même plus tôt [30].
La cité de Djeno-Djenné, près de
l'actuelle Djenné (Mali), date du 3e siècle BC [31], comme les premières
agglomérations urbaines de l'Ethiopie. En Zambie méridionale, région de plateaux
fertiles, on a découvert de grands villages du premier âge du fer. D'autres
vestiges témoignent d'un développement économique important [32]. Il ressort de
l'exposé de D.W. PHILLIPSON que la construction en pierre était de pratique
courante dans la région de Zimbabwe dès le premier âge du fer, durant les "deux premiers tiers du premier millénaire" de notre ère.
III. Le milieu
intertropical africain et les hommes*
Malgré
ces données beaucoup pensent encore que le milieu naturel de l'Afrique
intertropicale est défavorable aux hommes. Parmi les causes possibles du faible
peuplement de l'Afrique subsaharienne constaté durant la période 1910-1960, une
multitude de facteurs naturels qui sont nettement défavorables à l'homme sont
invoqués : grande étendue de la forêt dense, et plus encore des semi-déserts,
irrégularité des pluies, extension des formations latéritiques et des sols
pauvres sur roches gréseuses, sableuses, granitiques..., les ravages que font,
parmi les hommes et les animaux, les nombreuses maladies, endémies, épidémies
caractéristiques des climats chauds, l'isolement dû à la barre et à la situation
géographique relativement excentrique, à quoi ils ajoutent naturellement les
guerres intestines et la traite des esclaves. Pour la période coloniale, l'on se
borne à citer quelques faits partiels et ponctuels bien connus, comme la chute
démographique du Gabon.
"Afrique, terre accablante", "Nature
grandiose mais inhumaine", tels sont les titres de paragraphes que l'on
trouvait, il y a quelque trente cinq ans, dans les manuels de géographie
destinés aux élèves français. Certains continuent de penser que ce n'est pas par
hasard si l'Afrique est encore la terre de prédilection de l'animisme et des
groupes tribaux.
Cependant, "rendre le milieu
naturel... seul, ou même principal responsable des ruines humaines qu'il recèle,
est une erreur", écrivait J. RICHARD-MOLARD (1951).D'ailleurs, des
historiens et sociologues s'interrogent selon les vues de TOYNBEE [33] : le défi
lancé par le milieu naturel intertropical africain doit-il être considéré comme
"insurmontable" (nature écrasante), ou au contraire comme trop "sécurisant",
c'est à dire insuffisamment stimulant.
Cette manière de poser le problème appelle des remarques
importantes : ou bien le milieu naturel est reconnu trop implacable pour être
dominé par une économie préindustrielle; dès lors, les structures sociales et
politiques sont étroitement "conditionnées" comme en régions polaires, et
l'on ne peut leur imputer la responsabilité de l'état de fait observé qui
incomberait entièrement au milieu naturel, comme le supposent de nombreux
géographes ; ou bien le milieu est trop clément, et toutes les données
naturelles défavorables énumérées par les géographes, même si elles existent, ce
qui n'est pas douteux, perdent leur sens ; les facteurs naturels favorables,
parfois jadis montés en épingle, mais aujourd'hui négligés, passent alors au
premier plan : des températures permettant de cultiver toute l'année, absence de
froid et ensoleillement puissant ; de l'eau inégalement répartie, certes, mais
assez abondante en moyenne, de nombreux cours d'eau, une végétation permanente
et souvent luxuriante, une relative profusion de graminées, de tubercules, de
fruits, d'oléagineux, de poissons, d'animaux divers... et de métaux (du reste
utilisés de longue date) ; mais, du même coup, ce sont les facteurs humains qui
passent au premier plan : les hommes, suffisamment pourvus, se seraient
dispensés des efforts conduisant aux systèmes d'organisation et de production
susceptibles d'accroître le nombre des habitants, toujours dans cette optique.
On oublie souvent que l'Asie méridionale présente un
milieu naturel analogue à celui de l'Afrique intertropicale. Or, l'Asie
méridionale nourrit, elle, une population nombreuse. Le Sud asiatique comprend
une très grande variété de sociétés et généralement de fortes densités moyennes,
mais très inégalement réparties. Alors, faudrait-il admettre que seul le
complexe, seule la rencontre milieu intertropical + sociétés noires assez
isolées, aboutit à des densités de population faibles en raison de la structure
et de l'organisation de ces sociétés ?
En fait, le monde sud-asiatique a vu éclore et s'épanouir
des civilisations élaborées à côté d'autres restées au stade tribal, comme dans
l'Afrique noire précoloniale : les Chenchus de l'Inde, les Veddas de l'île de
Ceylan, les Semang et les Sakais de Malaisie, et bien d'autres, avaient des
genres de vie typiquement rudimentaires. Il importe néanmoins d'examiner si les
pays de l'Asie des moussons ne seraient pas plus favorables à l'homme que ceux
de l'Afrique intertropicale.
Les pays tropicaux et équatoriaux
d'Asie présentent, comme l'Afrique noire, sur environ 20 millions de km2
dans les deux cas, une forte proportion de superficies impropres à l'agriculture
(une partie du Dekkan, de nombreuses chaînes de montagnes...), ou difficiles à
mettre en culture (jungle...), et des régions presque inhabitées (Bornéo...).
Sans doute les pays sud-asiatiques bénéficient-ils, grâce à leurs vallées et à
leurs deltas, d'un pourcentage beaucoup plus élevé de sols fertiles (alluviaux
surtout, car l'Afrique comprend aussi des étendues appréciables de sols
volcaniques). Mais l'Afrique n'a pas de raz de marée, peu de cyclones, moins de
séismes et moins de chaînes de montagnes très élevées ; maints endroits des
hauts plateaux d'Afrique orientale et australe sont comparés à des paradis
terrestres ; c'est dans ces régions que les premiers hommes sont apparus. Loin
de lui être hostile, le milieu naturel qui fut son berceau convenait à l'humain
non vêtu des origines. L'archéologie révèle que les sites néolithiques abondent
en Afrique intertropicale, ainsi que nous venons de le voir.
IV. L'Afrique intertropicale du 8e
au 17e
siècle d'après les témoignages et l'archéologie
On
peut se représenter la vie socio-économique et politico-administrative de
l'Afrique noire durant cette période, à partir de l'étude des textes des
voyageurs arabes, des écrivains soudanais (source interne), des récits des
premiers navigateurs européens, et d'après les vestiges archéologiques (C. A.
DIOP, [34], L. M. DIOP [35], [36], [37], [38], B. DAVIDSON [42], P. MERCIER
[43], J. HURAULT [63], [77]... ainsi que les tomes III et IV de l'Histoire
générale de l'Afrique publiée par l'UNESCO).
IV.1. Critique des sources
L'analyse critique préalable de
divers textes d'époque décrivant "le pays des Noirs" a été faite par les
historiens. Par exemple, M. MOLLAT [39] écrit au sujet des narrateurs :
"au premier rang d'entre eux, par
la richesse et la qualité de ses informations vient CADAMOSTO
(p.155) ... la vanité mise à part, CADAMOSTO
vise à la sincérité et à l'objectivité (p. 56)... [il est] le plus exact des portraitistes
(p. 178)... BATOUTAH,
malgré son aversion pour les Noirs, reconnaît l'existence d'Etats et d'une vie
urbaine d'ailleurs ancienne, par exemple au Mali
(p. 214)... Ce brillant conteur supporte la
confrontation avec certains témoignages irréfutables de la documentation et de
l'archéologie. Malgré sa partialité fréquente, il se montre un observateur
attentif... [il] appelle Gao, grande cité parmi les plus belles, les plus
grandes et les plus riches du Soudan". Dans son histoire du Congo [40], M.
SORET indique que DAPPER est "le compilateur type qui a lu tout ce qu'il
était possible de lire à son époque" et que son "ouvrage peut être
considéré comme la base de notre documentation"... Il ajoute que LABAT est
plus complet que DAPPER, mais moins sûr que lui. Théodore MONOD note que les
renseignements fournis par Joao RODRIGUEZ à Valentin FERNANDES sont souvent de
première main, et que maints détails dont certains ont pu être vérifiés depuis,
établissent la qualité de son témoignage ([46], texte introductif à la
traduction). Nous pouvons constater avec l'ethnologue allemand FROBÉNIUS : "Ce
qu'ont raconté ces anciens capitaines... les
D'ELBÉE, les DES MARCHAIS, les PIGAFETTA
et tous les autres, ce qu'ils ont raconté est vrai, on peut le contrôler"
[41].
Des milliers de références ont été établies
pour l'Histoire générale de l'Afrique publiée par l'UNESCO. Les sources
ne sont donc pas rares, et leur fiabilité vient de leur confrontation, de leur
analyse et de leur vérification par l'archéologie.
Par exemple, ce qu'on découvrit lors
des fouilles de Koumbi-Saleh concordait avec la description de la capitale de
l'empire de Ghana par EL BEKRI.
Pour Bénin, le nombre de rues énoncé par l'un correspond
bien au nombre de quartiers indiqué par l'autre, le périmètre évalué par un
troisième, à la longueur d'une rue principale donnée par le premier, le tout
permettant de penser que le témoignage selon lequel le seul palais du roi
abritait 10 000 à 15 000 personnes n'a rien d'exagéré.
Les circonstances du recensement des maisons de Gao,
l'exactitude du chiffre, 7626, ne laissent guère place au doute quant à sa
valeur. Les milliers d'embarcations abordées dans cette ville, sa comparaison
avec Kano, le témoignage de Léon l'Africain confirment le grand nombre
d'habitants de cette agglomération, d'ailleurs capitale d'un empire très vaste.
Pour la région de Djenné, constatons
que S. K. et R. J. MAC
INTOSH [31] ont
procédé à une investigation archéologique par photographie aérienne complétée
par une prospection au sol et des datations. Une première Djenné remonte au 3e
siècle avant notre ère. La région est en pleine expansion depuis la fin du
premier millénaire après J. C., ce qui recoupe exactement ce que disait ES
SA'DI
dans le Tarikh es-Soudan, selon lequel la nouvelle Djenné fut fondée au 2e
siècle de l'Hégire. Les auteurs remarquent que cette expansion n'est pas due au
commerce transsaharien, mais bien au développement interne d'un réseau
commercial de plus en plus complexe. Ainsi se trouve confirmés par
l'archéologie la description que ES
SA'DI
donne du territoire entourant Djenné (plus de 7000 villages). Un rapprochement
s'établit aussi avec le témoignage de Léon l'Africain concernant Guber (Gobir ou
Gober) : dans cette ville, "il y a grand nombre de tissiers et cordonniers,
lesquels font des souliers à la mode... dont il s'en transporte en quantité à
Tombut et à Cago" (c'est-à-dire Tombouctou et Gao; p. 301-302). Or, Gober
est situé à près de 1000 km de la boucle du Niger. Cette phrase de Léon
l'Africain montre bien l'importance de l'artisanat, de la population et du
commerce intra-africain avant les attaques portugaises et marocaines. A
Engarouka, 6800 maisons en ruine sont là [42]. Dongola comptait 10 000 feux
selon Léon l'Africain. Remarquons, en outre, que si les navigateurs parlent d'un
million de guerriers en Angola (VAN
LINSCHOTEN, LOPEZ),
c'est de toute façon que cette armée avait paru extrêmement nombreuse aux
Européens qui l'avaient vue, même si nous ne pouvons prendre un tel chiffre au
pied de la lettre. P. MERCIER
note aussi dans l'introduction de son ouvrage [43] : "Les
premiers voyageurs parlent de peuples et de nations là où les derniers
voyageurs, avant la conquête coloniale, parleront de tribus et de peuplades. Les
premiers parlent avec sérieux et même avec respect des rois et de leur
puissance. Avec le 18e
siècle, l'irrespect commence à apparaître".
En fait, dès la fin du 17e
siècle, le changement d'attitude est déjà opéré; c'est ce que montre le récit du
Hollandais W. BOSMAN.Le
style de vie dans les paillotes a semblé médiocre ou misérable à divers témoins,
mais tous s'accordent sur l'abondance de la population, du ravitaillement, de la
production artisanale (textile, métallurgie...) — ce qui est confirmé par la
densité des vestiges de bas-fourneaux — , sauf dans un certain nombre de régions
que les auteurs de l'époque ont également désignées [44].
L'analyse de ces diverses sources
conduit à poser comme tout à fait vraisemblable l'hypothèse d'une population
fort nombreuse en Afrique noire aux 15e et 16e siècles. Des villes de 6000 à
7000 demeures importantes, sans compter les cases alentour et quantité de
villages de toutes tailles existaient dans la plupart des régions de l'Afrique
intertropicale : l'agriculture, l'artisanat et le commerce y prospéraient dans
le cadre de vastes Etats assez stables, et, comme l'a remarqué l'ethnologue
allemand FROBENIUS, ordonnés "jusque dans les moindres détails ",
contrairement à ce qu'on continue à croire généralement [41].
IV.2.
Quelques témoignages
CA DA MOSTO (1457) parle des Nègres
du Mali qui transportent le sel "par long espace de chemin avec un tel amas
de gens à pied qu'ils ressemblent à un exercite" (c'est à dire une armée).
Il ajoute plus loin : "... Je vous laisse à penser quelle multitude de
personnes est requise pour porter ce sel et combien est grand le nombre de ceux
qui en usent " [45].
V. FERNANDES rapporte, dans les
premières années du 16e siècle, le témoignage de Joao RODRIGUEZ : "Au peuple
gyloffo (woloff) s'ajoute ou confine une nation qui s'appelle Turucooes (Tekrour)...
Et c'est une énorme multitude."; "Dans la rivère de Gambia terminent les
gyloffos... ils ont un pays grand et très peuplé et ici le long de la côte comme
à l'intérieur, tout est peuplé de villages. Dans ces pays (Mandingues),
il y a beaucoup de lieux habités avec 5000, 10 000 habitants et plus" [46].
Selon DAPPER, on trouve au Bénin "une
infinité de villages" (p. 308) ; la province de Dingi est un grand pays
plein de bourgs et de villages (p. 323), le prince de Bamba commande à "quantité
de villages" (p. 342) ; le royaume de Ngola (Angola) comptait "huit
provinces principales dont chacune" était "divisée en plusieurs
seigneuries : Lovando en a 39, Ilamba 42, Massingan 12, Cambamda 60 et Embacco
tout autant" (p. 361), et, dans la province de Sinfo (nord de Lovando), on
trouve un village "presque de 3 lieues en 3 lieues" (p. 362) ; il s'y est
élevé "32 seigneuries" [44].
A partir du nombre de maisons,
d'écoles, d'élèves, de tailleurs mentionnés dans les chroniques soudanaises, il
a été possible de restituer un ordre de grandeur des populations de Tombouctou
et de Gao avant 1591 : 140 000 à 160 000 habitants [L. M. DIOP MAES, 37].
En ce qui concerne Gao et Kano, il
est possible de se faire une idée assez précise de leur importance numérique
grâce à cette curieuse et très intéressante anecdote rapportée par KATI [Tarikh
el-Fettach, trad. HOUDAS & DELAFOSSE, Paris, Maisonneuve, 1964] :
… "Des gens du Soudan
[pays à l'est du Niger, donc haoussa] eurent une discussion avec des gens de
Gao, les Soudanais disant que Kano était plus importante et plus grande que Gao
… Frémissants d'impatience des jeunes gens de Tombouctou et quelques habitants
de Gao intervinrent et, prenant du papier, de l'encre, des plumes, ils entrèrent
dans la ville de Gao et se mirent à compter les pâtés de maison, en commençant
par la première habitation à l'ouest de la ville, et à inscrire l'un après
l'autre : "maison d'un tel, maison d'un tel", jusqu'à ce qu'ils fussent arrivés
aux derniers bâtiments du côté de l'est. L'opération dura trois jours et l'on
trouva 7626 maisons, sans compter les huttes construites en paille".
La scène se passe vers la fin du 16e
siècle, sous le règne d'un fils de l'Askia DAOUD.
Dans Tableau géographique de
l'Ouest africain au Moyen âge [Dakar, Mém. IFAN, n° 61], R. MAUNY
propose 75 000 habitants pour Gao, chiffre qu'il juge "énorme", mais qu'il a été
amené à envisager en rapprochant les 13 000 âmes dénombrées par BARTH à
Tombouctou en 1854 pour "980 maisons et quelques centaines de paillotes", des
7626 maisons recensées par les Soudanais à Gao avant 1591 ; rapprochement
extrêmement intéressant en effet : appliquons la "règle de trois" : nous
trouvons 101161 et non 75 000 habitants !
La population de Gao devait d'ailleurs être
largement supérieure à ces 100 000 personnes :
- parce que BARTH lui-même ajoute
qu'à la saison du grand trafic (novembre-janvier), la population de Tombouctou
passe de 18 000 à 23 000 habitants ["the floating population may amount … to
5 000 … to as many as 10 000" in Henri BARTH, Travel and
Discoveries in North and Central Africa in the years 1849-1855, vol. IV,
London, 1858, Longman, p. 482],
- parce qu'en période de paix et de
prospérité, les banlieues en paillottes s'étendent et que le cœfficient
d'occupation des habitations est peut-être aussi plus élevé.
Un témoin oculaire a raconté à KATI
qu'il a dénombré dans Tombouctou 150 à 180 écoles où "l'on enseignait aux
jeunes garçons à lire le Coran". Il faut donc présumer qu'il s'agissait de
garçons de 6 à 15 ans environ. Une de ces écoles, visitée au hasard, comptait
123 élèves. En adoptant le chiffre moyen de 165 écoles, le nombre des élèves de
6 à 15 ans devait être approximativement de 165 x 120 = 19 800, disons de
l'ordre de 18 000 à 20 000. A supposer que tous les jeunes garçons de la ville
suivent cet enseignement — ce qui n'était certainement pas le cas — cette
tranche de population, avec les filles, aurait compris de 36 000 à 40 000
enfants. Dans une population totale de type ancien , la pyramide des âges est à
base large et la tranche des 0 à 6 ans à peu près égale à 63% ou 64% de celle
des 6 à 15 ans, soit environ 24 000 petits enfants. En admettant que, s'agissant
d'une population urbaine, les moins de 15 ans ne représentent que 36 ou 37% de
la population au lieu de 39% en moyenne, nous obtenons la population de
Tombouctou au 16e siècle par l'opération suivante : (24 000 + 38 000) x 100 /
36,5 = 170 000 habitants environ.
Le fait que, fin 15e siècle, des
villes africaines étaient effectivement importantes, commence à être admis :
dans L'état du Monde en 1492 (Ouvrage collectif, Paris, La Découverte,
1992, p. 332), le chiffre de 140 000 habitants est retenu pour Gao. Or, ainsi
que le savent les spécialistes de la démographie historique, cela implique une
population étoffée alentour. Bénin était encore plus peuplée. C'est le lieu de
rappeler, à titre de comparaison, la population de quelques villes de l'Europe
occidentale au 16e siècle :
| Période |
Villes
d'Europe |
Nombre
d'habitants |
Villes
d'Afrique noire |
Nombre
d'habitants |
|
en 1550 |
Lisbonne |
65 000 |
Gao |
140 000 à 190 000 |
|
en 1540 |
Venise |
130 000 |
Tombouctou |
140 000 à 170 000 |
|
en 1545 |
Londres |
80 000 |
Bénin |
125 000 à 250 000 |
|
fin 16e siècle |
Cologne |
30 000 |
|
|
|
fin 16e siècle |
Paris |
200 000 |
|
|
Population de villes d'Europe et d'Afrique noire au 16e siècle.
Cf. [52, pp. 85 à 89] et [35, p. 798], Cf.
[37] et [35, p. 788 à 801]
Dans toute l'Afrique orientale et
australe on a découvert de nombreux vestiges d'établissements et de cités de
pierre, de terrasses, de travaux d'irrigation, de puits, de routes et surtout de
mines et de forges [42]. Sur la côte, les ruines des villes portuaires, envahies
par la végétation, sont toujours visibles et le R.P. MATHEW montre qu'il
s'agissait bien de villes noires africaines [46].
Le peuplement ne semble pas
lacunaire sauf aux confins du désert au nord (Oualata), et dans le sud-ouest où
DAPPER n'énumère qu'un demi-millier de familles, ainsi que dans quelques autres
régions (les pays Tago et Majumba au Congo, les terres situées entre le royaume
Sofala et le cap des Courants sur la côte orientale etc.) [44].
Soulignons que la thèse d'une
population noire africaine antécoloniale nombreuse et active s'accorde
parfaitement avec l'existence d'un dynamisme africain autochtone supposé par P.
CURTIN dans une optique toute différente.
Les éléments passés en revue montrent que
l'Afrique intertropicale était bien peuplée, mais comment chiffrer cette
population ?
V. Méthode d'évaluation de la
population de l'Afrique noire aux 15e/16e
siècles
Contrairement
à la thèse soutenue ici, les estimations généralement avancées pour la
population de l'Afrique noire au 16e siècle sont de l'ordre de 75 à 95 millions,
soit 4 à 5 habitants au km2 [83]. Elles se fondent, d'une part, sur la
constatation qu'en 1949, l'Afrique subsaharienne comptait seulement 140 à 150
millions de Noirs africains, d'après le recensement, d'autre part, sur l'idée
erronée que le tribalisme observé au 20e
siècle s'était perpétué depuis la préhistoire, les empires et royaumes
constitués pendant le Moyen Age européen ne l'ayant, croyait-on, que peu réduit.
Cette vision ethnographique de l'Afrique noire est fausse. Il s'agit d'un
émiettement postérieur au 16è siècle (cf. L. M. DIOP-MAES, Tyanaba n° 2,
1992). Enfin, il est admis indépendamment de toute étude, que l'Afrique devait
avoir aux 16e
et 17e
siècles, une population représentant un cinquième de la population mondiale,
elle-même évaluée à 500 millions d'habitants.
Comme nous l'avons indiqué
dans l'introduction, la méthode que nous proposons pour évaluer la population de
l'Afrique noire fin 15e/début
16e siècle,
consiste à effectuer un calcul régressif en deux étapes, à partir des chiffres
obtenus par les premiers recensements coordonnés de 1948/49, en tenant compte
des éléments d'appréciation dont nous disposons :
- 1re étape : évaluation de la
population de l'Afrique noire au 19e siècle par rapport aux chiffres
approximatifs résultants des recensements de 1948/49, c'est-à-dire 140 à 150
millions après correction.
- 2e étape : évaluation de la
population de l'Afrique noire avant la traite en utilisant les données relatives
aux effets directs et indirects des différentes traites.
V.1. Recherche d'un ordre de
grandeur de la population de l'Afrique noire au 19e siècle
Dans l'hypothèse habituellement
admise de quelque 90 ou 95 millions d'habitants au milieu du 19e siècle,
l'accroissement général de la population de l'Afrique noire de 1850 à 1948
aurait été de 50 à 60 millions soit de l'ordre de 60%.
Pour ma part, je pense qu'il y a eu en effet,
de 1930 à 1948, une croissance globale de la population de l'Afrique noire avec
un taux d'accroissement de 0,7 à 0,8 % par an [48]. Il apparaît qu'en revanche,
de 1880 à 1930, c'est une diminution importante qui s'est produite du fait de la
pénétration militaire (conquête de l'intérieur du continent) et d'une
exploitation coloniale très dure pendant les 25 à 30 premières années. C'est ce
qui ressort des éléments énumérés ci-après.
Il faut se rappeler que l'artillerie
européenne pulvérisait les "groupes compacts" de combattants armés de
fusils de traite, que les résistances jadis minimisées, se manifestèrent, dans
la plupart des régions, multiformes et souvent désespérées (défenses
suicidaires) ; migrations et guerres intra-africaines se précipitèrent dans le
plus grand désordre d'un bout à l'autre du continent, des carnages massifs
furent perpétrés par les uns et par les autres (Allemands, Anglais, Français,
Bœrs, RABAH, SÉNOUSSI, BANGASSOU, etc.) ; disettes et famines sévirent partout
où les cultures, les récoltes, les réserves alimentaires furent brulées,
abandonnées, perdues; en outre, comme les colonisateurs enrôlaient les Africains
de pays déjà vaincus pour conquérir les autres, il faut presque ajouter les
combattants tués des deux camps. Ensuite, ce furent des révoltes, un peu
partout, presque chaque année, jusqu'en 1920 et même au-delà, parfois jusqu'en
1930 [49]. Il était d'usage de les réprimer dans le sang et par l'incendie [50].
Parallèlement, la première phase de l'exploitation coloniale se traduisit par
les portages* et les pagayages indéfiniment exigés, des réquisitions et
confiscations de toutes sortes, des impôts abusifs et amendes de guerre, divers
travaux forcés pour les voies ferrées, pour les plantations et les récoltes
destinées à l'exportation, pour les chantiers forestiers ; disettes et famines
persistèrent, s'aggravèrent même en plusieurs points (Gabon, 1924-1927 ; sept
régions lors de la crise 1920-1930 [33], [51], [56]). Les infrastructures
sanitaires restèrent médiocres ou absentes jusque vers 1930 ; il faut ajouter à
cela le départ massif de la population active masculine (jusqu'à 60 % des hommes
de 15 à 45 ans) vers les mines, les chantiers, les villes et dans les armées des
colonisateurs, ce qui provoqua une dislocation des familles villageoises.
L'esclavage et les fameux "villages de liberté", véritables camps de
misère, ne furent abolis que très progressivement à partir de 1905, en Afrique
noire française. Rappelons encore que pour obtenir les porteurs indispensables
et le versement des impôts, femmes et enfants furent pris en otage par dizaines,
enfermés dans des cases et intentionnellement non nourris jusqu'à ce que les
hommes se fussent présentés. Beaucoup de ces otages moururent ainsi sur place,
dans le lieu de détention. "Entre l'expansion des maux importés et le recul
des fièvres, des maladies intestinales, de la lèpre et du choléra " la
balance demeure incertaine, notent M. REINHARD et A. ARMENGAUD [52]. Les mêmes
auteurs rapportent la réflexion suivante : "l'Afrique noire a pu survivre à
trois siècles de traite mais risque de succomber après un siècle de colonisation".
Pour tenter une évaluation du recul
démographique engendré par l'accumulation des faits historiques mentionnés, il
est possible de citer un certain nombre de chiffres :
- au Tchad, selon Annie LEBEUF
(1959), l'agglomération de Logone Birni, en pays Kotoko, comptait 12 000
habitants lorsque NACHTIGAL y passa en 1872 et à peine un millier dans les
années 1950. L'auteur précise que ce pays était alors "infiniment plus peuplé
qu'aujourd'hui" ; "le moindre village comptait 3000 à 6000 âmes".
Elle note de même que la capitale du Baguirmi serait passée de 25 000 habitants
en 1850, d'après BARTH, à 10 000 en 1900 et un millier environ lorsqu'elle y
était.
- au Soudan, selon K. J. KROTKI
[53], la population serait passée de 9 millions d'habitants en 1882
à 2,165 millions en 1903.
- au Kenya, M. H. DAWSON considère
que la population Kikuyu avait sensiblement diminué entre 1890 et 1925 [54].
- au Zaïre, selon Hannah ARENDT,
s'appuyant sur plusieurs auteurs, les agents de LÉOPOLD II auraient fait
diminuer la population de plus de moitié [55].
- en Tanzanie et en Namibie, les Allemands passent pour
avoir supprimé quelque 120 000 Massi-Massi et Ngoni, 75% à 80% des Héréro (le
fait a été confirmé), 50 % des autres Namibiens [56].
- le pays Massaï perdit 50% de sa population par suite
d'une épidémie de variole à partir de 1897 (même source).
- dans l'ensemble Gabon, Congo,
Oubangui-Chari, C. COQUERY-VIDROVITCH
estime que la population a diminué d'un tiers, durant la première phase de la
domination coloniale [57]. J. SURET-CANALE cite une circonscription où la
population aurait été réduite de 40% entre 1908 et 1916 et une nouvelle fois de
40% de 1916 à 1924. Il mentionne également le témoignage d'un colon qui avait
écrit qu'entre 1911 et 1921, la population des trois colonies aurait perdu 63%
de ses effectifs [49]. Concernant un secteur du cercle de Gribingui, le chef de
poste écrivait dans son rapport en 1902 : "Quelques mois encore... et ce ne
sera plus qu'un désert semé de villages en ruine et de plantations abandonnées.
Plus de vivres et de main-d'oeuvre, la région est perdue." [58]. Trois ans
plus tôt, le capitaine JULIEN notait à propos d'une région proche de la Kotto :
"On ne voyait que des vestiges de villages incendiés qui pouvaient compter
jusqu'à un millier de cases... tout a été razzié et rasé par BANGASSOU..
Pas une maison debout pendant 25 km. Le mil arrivé à maturité a été coupé et
emporté". La ville de Saïd Baldas, en
pays Kreich, avait plus de 5000 habitants en 1901. Elle fut détruite de fond en
comble par SÉNOUSSI en 1902 [59]. Le R. P. DAIGRE (1947) raconte qu'on imposait
même le travail de nuit pour la récolte du caoutchouc, que les récolteurs
affamés et épuisés tombaient comme des mouches, et que les Banda mouraient par
milliers de l'œdème des camps de concentration (pp. 113-116, cité par
SURET-CANALE [49] qui constate que ces conditions, ajoutées à la séparation
forcée des hommes et des femmes, rendaient la procréation elle-même impossible).
Quant aux chantiers, les démographes M. REINHARD et A. ARMENGAUD ont noté qu'ils
ont "vidé des régions entières : telle la construction du Congo-Océan qui
exigea de 1920 à 1940 de 20 000 à 30 000 travailleurs". Il en fallut autant
dans la région côtière du Gabon pour les exploitations forestières où la
mortalité était très forte : 17% de l'effectif en un seul mois à Oyem en 1922. "Comme
ils n'engageaient en général que des hommes de 20 à 40 ans, une grande partie de
la population mâle en âge de procréer fut perdue" (1961, p. 477). Au total
une surmortalité extrêmement élevée durant un demi-siècle, presque sans répit.
Anne RETEL-LAURENTIN
souligne en outre les forts pourcentages d'infécondité dus aux maladies
vénériennes importées notamment chez les Nzakara [60], [61].
- en Afrique australe, on sait par ailleurs
que les Anglais et les Bœrs menèrent des guerres meurtrières contre les Bantous
et les Hottentots.
- en Afrique occidentale, A.
DEMAISON estimait à 30 000 le nombre de morts en huit mois, lors des conflits
avec EL-HADJ OMAR (cité par Oumar BA [62]). Cet auteur signale que la bataille
de Diaty au Sénégal fit beaucoup de victimes. Sikasso comptait 40 000 habitants
: après bombardement avec des obus, "tout fut pris ou tué" (témoin cité
par VIGNÉ D'OCTON et SURET-CANALE). Le passage de la colonne VOULET-CHANOINE se
signala par de multiples pendaisons et des monceaux de cadavres. Le soulèvement
général des Ashantis fut écrasé par les Anglais qui saccagèrent également Bénin
et réduisirent les révoltes Temne et Mende en Sierra-Leone. Seize villages Dogon
furent pris un à un à grand renfort d'artillerie, les villages Coniagui, brûlés,
en A.O.F., où se révoltèrent également les Abé, les Kissi, les Toma, les Somba,
les Bobo, les Baoulé, les Gouro, les Dan, les Lobi, les Bété...
- au Cameroun, J. HURAULT signale
que l'invasion peule en Adamaoua réduisit la population dans de très fortes
proportions et que "l'enceinte de la ville de Banyo, construite vers 1880,
correspond à une population dix fois supérieure à la population recensée en 1954"
[63].
L'accroissement de population dans plusieurs
sites refuges ou épargnés, avec les conditions de vie et d'hygiène que l'on
sait, ne pouvait compenser toutes les coupes sombres. Il s'en faut de beaucoup.
Tout ce qui vient d'être répertorié
conduit à penser qu'en moyenne, en incluant les effets tragiques de la
continuation de la traite orientale jusqu'au début du 20e siècle, l'Afrique
noire a dû perdre plus d'un tiers de ses habitants entre 1880 et 1930.
Pour avoir un ordre de grandeur de la
population de l'Afrique noire vers 1850/1870, il faut donc retrancher d'abord du
chiffre retenu en 1948/1949, l'accroissement démographique enregistré
entre 1930 et 1948 : on trouve environ 127 millions d'habitants en 1930. En
accord avec ce qui précède, ces 127 millions représentent moins des 2/3 du
chiffre approximatif de la population de l'Afrique noire vers 1850/1870. On
obtient ainsi un ordre de grandeur de cette population : 200 millions
d'habitants en Afrique noire vers 1860.
V.2. Recherche d'un ordre de
grandeur de la population de l'Afrique noire au 16e siècle
Que s'est-il passé entre le 16e et
le milieu du 19e siècle ?
V.2.1.
Observations diverses
Au colloque international d'Haïti
(1978) [64] puis à celui de Nantes (1985) [65], les chercheurs se sont efforcés
d'analyser les effets des différentes traites des esclaves, particulièrement en
Afrique noire même. Selon les dernières mises au point qui se rapprochent des
chiffres antérieurement proposés par J. D. FAGE, une trentaine de millions
d'individus, au moins, ont quitté l'Afrique noire de 1550 à 1900, soit par
l'Atlantique (pour plus de la moitié), soit par le Sahara, la mer Rouge et
l'océan Indien
Mais ces pertes sont loin de représenter
l'ensemble des effets démographiques sur le grand triangle subsaharien. Avant
même l'installation de la traite sur une grande échelle, les attaques
portugaises puis marocaines (1591), provoquèrent beaucoup de morts et de
destructions. On l'oublie trop souvent. Les riches villes de la côte orientale,
dont les vestiges sont toujours visibles, ont été détruites, la Mozambique et la
Zambézie, ruinées, ainsi que le Kongo, l'Angola et, par ailleurs, la boucle du
Niger. Les anciens royaumes et empires se disloquèrent.
Dans les décennies qui suivirent, "le
contexte économique de la traite a largement déterminé l'éclosion des conflits
intérieurs et des guerres civiles, la multiplication des pillages sur les
populations paysannes". C'est ce qu'ont observé C. BECKER et V. MARTIN en
Sénégambie [66]. La traite fut en même temps la cause de nombreux mouvements de
population qui n'allèrent pas sans heurts.
Pendant quelque trois siècles, par la force
des choses, la plupart des royaumes, réduits à la dimension de principautés,
accumulèrent des prisonniers de guerre-esclaves, à échanger contre des armes à
feu et certains produits européens ou arabes. Au Congo, au Dahomey, au Sénégal,
certains rois essayèrent de s'opposer à l'exportation des esclaves, en vain
[67]. Le système fut le plus fort. Le pourcentage d'esclaves dans la population
devint énorme (plus de la moitié). Or, "le taux de natalité d'une population
servile est souvent bas" [68], [69]. Les esclaves étaient répartis entre les
marchés, les captiveries, des villages/réserves d'esclaves relevant du prince et
enfin, les notables et les particuliers.
C. BECKER constate en Sénégambie le
dépeuplement des zones frontalières entre les royaumes; ces zones sont
reconquises par la brousse ou la forêt "alors qu'elles représentaient des
secteurs densément peuplés" [70].
On observe des phénomènes analogues
dans la plupart des régions : (Fuuta Jallon, Bénin, Oyo, Dahomey (cf.
communications de B. BARRY et celle de J. E. INIKORI au colloque de Nantes). Au
Kongo et en Angola ce fut bien pis. W. G. L. RANDLES rapporte, d'après les
archives portugaises, que des milliers de combattants furent tués et
d'innombrables esclaves capturés en Angola directement par les Portugais. La
population de l'intérieur avait "gravement diminué" à cause des guerres
intestines, des razzias pour capturer les esclaves et des effets de la variole,
selon les termes même de Manuel FERNANDES (1670). La région d'Ambacca avait perdu en 1782, les 2/3 de ses habitants [82].
Il y eut évidement, formation de
nouvelles villes portuaires le long de la côte Atlantique, mais, à certaines
distances variables alentour et surtout à l'intérieur, dépeuplement de régions
entières où, comme l'a souligné R. MAUNY [71], des bandes armées pillaient,
brûlaient, volaient continuellement, "emmenant vers la captivité tous ceux
qu'ils pouvaient prendre". Les cultures, écrit-il, étaient abandonnées, la
famine s'installait à demeure. "L'on assista à une effroyable régression de
la civilisation nègre... le guerrier devenant désormais le seul maître. La pax maliana n'était plus qu'un souvenir de l'âge d'or du Soudan". Les
villages se perchent sur des hauteurs faciles à défendre mais défavorables à
l'agriculture, l'artisanat autochtone s'étiole ainsi que le commerce
inter-régional des produits indigènes (dont nous avons des preuves qu'il était
auparavant très actif).
V.2.2. Comparaison significative *
Dans une étude intitulée
Conditions écologiques et traite des esclaves en Sénégambie"[72], C. BECKER
souligne qu'au 18e siècle, les crises de subsistance se multiplient, de nouveaux
problèmes sanitaires apparaissent, et les épidémies - comme celles de la fièvre
jaune - tendent à devenir endémiques.
Voici l'extrait d'une lettre de R.
C. GEOFFROY de VILLENEUVE, médecin, collaborateur du chevalier de BOUFFLERS au
Sénégal à la veille de la Révolution, citée par F. THÉSÉE [73] :
"On voit dans l'île de Biffeche
nombre de villages dépeuplés, et il n'y en a pas moins dans le Oualo. Il n'y a
pas de crique ni de recoin qui n'ait été ravagé. Presque tous les villages ont
été troublés et alarmés par ces voleurs d'hommes. Ces infortunés habitants ne
savent que devenir. Le seigneur de Biffeche ni le roi du Oualo n'ont le pouvoir
de les protéger car le premier est tributaire du second, et celui-ci dépend des
Mores. Dans le temps des semailles et de la moisson, ils sont obligés de se
tenir dans leurs villages, à portée de leurs terres pour les travaux de culture
et pour assurer leur récolte. Ils ont alors quelque abri et un moyen de se
cacher grâce à la hauteur des herbes aux approches de la moisson. Mais après
cette époque, ils n'ont aucun espoir de se cacher, à moins de se loger auprès
des forêts+. C'est pourquoi les habitants de ces contrées se joignent
alors deux ou trois villages en un seul pour pouvoir résister aux incursions des
Mores. Venue la saison de semer et de recueillir, ils retournent à leurs terres,
mais ils y vivent dans un état continuel d'inquiétude et de crainte. On ne
saurait décrire tous les ravages horribles que font les Mores... "
Que l'on compare avec la description de la France rurale
pendant la guerre de Cent Ans.
"Les calamités qui secouent jusque dans ses fondements
la paysannerie... sont en réalité d'origines variées et de natures diverses.
Elles ne sont pas pour autant indépendantes les unes des autres. Les soldats,
tout comme les marchands, propagent les épidémies... La sous-alimentation et la
malnutrition, fruits d'une série de récoltes perdues ou déficitaires, créent un
terrain favorable au progrès et à la dissémination géographique et sociale des
maladies contagieuses. Donc, plus que d'une collection de facteurs juxtaposés
qui opéraient pour leur propre compte, il s'agit d'un écheveau touffu
d'interactions complexes qu'il n'est pas toujours aisé de démêler" [74].
Tout comme la peste en France,
diverses maladies "s'installent" (choléra, dysenteries...), "se
signalent ici ou là" ou "se déploient en grandes vagues", deviennent
endémiques, "détraquent par à coups successifs la mécanique fragile de
l'économie" (id. p. 44)... "se réveillent au cours d'une disette" (p.
47), "s'acharnent sur les enfants, d'où, vingt ans plus tard, des classes
creuses... La répétition des coupes sombres, l'action différentielle sur les
tranches d'âge débouche sur une irrémédiable décadence des peuplements,
renforcée par l'immigration"(id)..."comme la peste, les campagnes
militaires procèdent par vagues... les provinces sont inégalement touchées"(p.
48)..."La simple menace du retour des troupes, même s'il ne se produit pas,
suffit à paralyser l'activité"(p. 50)... "A la fois conséquence et cause
des difficultés, le brigandage prolifère"(p. 54)..."Les paysans
recourent à un vieux refuge, la forêt+. Ils s'y cachent. De là ils
surveillent le déplacement des troupes armées... La nourriture, si précaire
soit-elle, n'est jamais totalement absente des sous-bois; quand elle vient à
manquer, un coup de main sur les soldats isolés ou sur un voyageur solitaire
peut y remédier au prix d'un meurtre parfois" (p. 70).
C'est aussi à peu de choses près ce
que raconte Mungo PARK (1795/1797), avec un élément supplémentaire : la
caravane d'esclaves.
De sa relation de voyage se dégage
un tableau qui s'oppose point par point à celui que traçaient les voyageurs
arabes du 10e au 16e siècles et les premiers navigateurs*. Pas plus que pendant
la guerre de Cent Ans, une "poussée nataliste" ne pouvait "compenser" les pertes
cumulées, d'autant que les razzias se pratiquaient avec les armes de la guerre
de Trente Ans, puis celles du 18e siècle.
P. KALCK montre que la traite
atlantique atteignait aussi le territoire centrafricain et que c'est à tort
qu'on cherche à minimiser les ravages de la traite atlantique en prétendant que
les esclaves vendus ne pouvaient provenir que du proche hinterland de la côte.
Il ressort de plusieurs relations des 16e et 17e siècles et de diverses
constatations, que des esclaves venus des confins de la Nubie ou du Tchad
étaient conduits au Congo ou sur les rivages guinéens en raison du "commerce de
tribu à tribu, articulé sur la vente des hommes" [75]. Le même auteur cite le
lettré tunisien, EL TOUNSY, qui voyagea dans le nord-est du territoire
centrafricain de 1803 à 1813 : 80 razzias fondaient sur cette région chaque
année, les captifs mouraient "par milliers sur le chemin de la servitude".
Il donne l'exemple d'un lot de 20 esclaves dont 2 ou 3 seulement parvinrent à
Darfour, et observe que "de nombreuses épidémies se déclaraient dans les
colonies". Semblables expéditions décimaient les Sar.
J. E. G. SUTTON signale une ville du
Ghana (actuel) qui comptait jadis 77 rues; "it was reduced to nothing in 1679
(plus or minus two years" [79].
Cependant, les auteurs de l'histoire rurale de la France
poursuivent : "Tout départ d'habitants, même partiel, s'accompagne d'une
sous-exploitation des terres" (p. 71). "Mal entretenues, les terres
voient simplement tomber en flèche leur rendement de 50% ou plus" (p. 72).
Enfin, ils concluent par une estimation globale de la
dépopulation de la France pendant cette période, en ces termes :
"La comparaison des feux, des
feux réels dits 'allumants' (et non des feux fiscaux)... demeure source
d'évaluation : grâce à elle, on peut cerner l'ampleur de la catastrophe. Malgré
le taux d'incertitude qui concerne le nombre de personnes par foyer ainsi que
les fluctuations de ce nombre... Du début du 14e
siècle au milieu du 15esiècle, le nombre de feux diminue de moitié, proportion
allègrement franchie dans les régions les plus touchées... La dépopulation
rurale, mouvement d'ensemble, se décompose donc en une bigarrure d'évolutions
régionales, et même locales, qui sont d'amplitude variable et de chronologie
différente" (pp. 72, 74,
75).
Les incertitudes et les disparités régionales
n'interdisent donc pas de proposer un ordre de grandeur de la diminution de la
population dans son ensemble : "de moitié au moins" pour la population de
la France entre 1340 et 1450. De combien la population de l'Afrique noire
a-t-elle diminué de 1550 à 1850 ?
V.2.3. Données chiffrées et méthode d'évaluation
La méthode d'évaluation préconisée
est identique à celle que G. DUBY a utilisée pour mesurer les effets
démographiques de la guerre de Cent Ans en France : comparer le nombre de feux
réels avant et après la période considérée. Le réseau des villes et des villages
reflète l'état de l'économie.
Au 16e siècle, les grandes villes
comme Gao, Tombouctou, Kano, comptaient approximativement 140 000 à 170 000
habitants. Au 19e siècle, Tombouctou n'a plus que 13 000 à 23 000 habitants,
selon les témoignages de BARTH et de LENZ (moyenne 18 000). Mais les plus
grandes agglomérations du 19e siècle atteignaient trente à quarante mille
habitants (Ségou). CLAPPERTON, en 1824, attribue à Kano exactement la même
fourchette. Le rapport moyen de la population urbaine entre le 16e siècle et le
19e siècle à prendre en considération est donc 150 000 : 35 000 = 4,29 et non
150 000 : 18 000. De même pour les villages, Valentim FERNANDES (fin 15e
siècle/début 16e siècle) nous dit que, dans l'empire du Mali, ils atteignaient
souvent "5000, 10 000 habitants et plus", alors que les plus grands
villages que rencontre René CAILLÉ (1824-1828) en comptent à peine 1000. En
Afrique occidentale, la population aurait donc été environ quatre fois plus
nombreuse au 16e siècle qu'elle ne le fut au 19e. Encore n'est-il même pas tenu
compte, dans cette estimation, du fait que le nombre des agglomérations a aussi
diminué au cours de la même période [cf. ci-dessus J. E. G. SUTTON [79a].
Enfin, d'après les textes des deux
époques différentes, il apparaît que le nombre de combattants que pouvait
rassembler un prince était aussi beaucoup plus élevé au 16e siècle qu'au 19e
siècle. Le rapport est également de l'ordre de 4 ou 5 pour 1.
Le rapport approximatif de 4 à 1,
observé en Afrique occidentale, est-il représentatif de la diminution de
l'ensemble de la population de l'Afrique noire entre le 16e siècle et le 19e
siècle?
Du cap des Palmes au sud de
l'Angola, les pertes furent plus élevées. Gwato, le port de Bénin, comptait 2000
feux lors de l'arrivée des Portugais et n'en avait plus que 20 à 30 quand y
vinrent les premiers explorateurs du 19e siècle [79b]. Les divers témoignages
indiquent que le Congo et l'Angola étaient bien peuplés au début du 16e siècle.
L'étude de RANDLES montre comment, en Angola, cette population nombreuse avait
été réduite à moins de 200 000 selon un recensement effectué par les Portugais
en 1819 [82].
En revanche, au Tchad, en pays
Kotoko, nous venons de le voir, les villages que NACHTIGAL
trouve sur sa route comptent 3000 à 6000 âmes en 1872. En 1850, le Baguirmi est
encore fort peuplé, selon le témoignage de BARTH. Et, d'après CLAPPERTON, au
début du 19e siècle, la capitale du Bornou réunissait jusqu'à une centaine de
milliers de personnes à la saison du grand marché des céréales et des légumes
[35]. Ces régions seront décimées à partir de 1890. Le Soudan commence à se
dépeupler à partir de 1820, après sa conquête par Méhemet ALI. K. J. KROTKI note
que pour "BAKER, circulant entre
Berber et Khartoum en 1862, les villages autrefois peuplés, avaient entièrement
disparu, la population était partie, l'irrigation avait cessé"
[53]. Dès le début du 16e siècle, les côtes de l'Afrique orientale furent
ruinées par les Portugais, ainsi qu'une partie de la Zambézie. Il faudrait
chercher des données numériques sur cette région. Pour l'Afrique australe, on
connait les guerres contre les "Cafres", les entreprises de TCHAKA à la
charnière du 18e et du 19e siècle, la bousculade de peuples provoquée par le
déplacement des Bœrs dès la première moitié du 19e siècle, et les descriptions
de LIVINGSTONE
(1840/1864).
Il apparaît que, dans l'ensemble,
les proportions relevées en Afrique occidentale peuvent être représentatives de
la diminution moyenne de la population globale de l'Afrique noire du 16e au
milieu du 19e siècle. Toutefois, en raison des chiffres indiqués par BARTH et
par NACHTIGAL au Tchad et au Baguirmi, ainsi que de la permanence probable de
peuplements assez denses dans certaines régions des hauts plateaux de l'Afrique
orientale, surtout dans la première moitié du 19e siècle, il est plus prudent de
proposer une fourchette : il paraît raisonnable de considérer que la population
de l'Afrique noire, au 16e siècle, était trois ou quatre fois plus nombreuse
qu'elle ne le sera au milieu du 19e siècle.
Autrement dit, puisque nous avons
retenu l'ordre de grandeur de 200 millions d'habitants vers 1860 (cf. ci-dessus
§ V.1.), le volume de la population de l'Afrique noire au 16e
siècle se situerait entre 600 et 800 millions d'habitants, soit une densité
moyenne de l'ordre de 30 à 40 au km2.
Insistons sur le fait que la plupart des régions de l'Afrique noire ont connu,
pendant plus de deux siècles, une situation analogue à celle de la France
pendant la guerre de Cent Ans avec les armes de la guerre de Trente Ans*,
sans répi
Ces densités concordent avec les recherches
archéologiques.
Dans une région comme le Yatenga,
région disputée entre le Mali et le Songhaï d'une part, le Mossi d'autre part,
donc zone d'insécurité et d'instabilité relatives, sur un échantillon de 1862
km2, la population ancienne a été estimée par J. Y. MARCHAL, à 26 560 habitants,
soit une densité moyenne de 14,3 au km2. Encore faut-il remarquer que cette
moyenne est abaissée par la faible densité, 4,8, d'un seul des quinze ensembles
spatiaux étudiés; toutes les autres densités se situent entre 8,4 et 25,4 sur
1770 km2 [76]. De même, dans sa communication aux Entretiens de Mahler, en
octobre 1985 à Paris, J. HURAULT a montré que dans l'Adamaoua, au Cameroun,
avant l'arrivée des Foulbé, les densités de population, faibles dans une seule
région (plaine de Gashaka) se chiffraient, dans les cinq autres, entre 10 et 250 au km2, selon les conditions bioclimatiques. Il a montré comment
l'irruption d'un peuple nomade peut produire l'effondrement démographique des
sédentaires [77]. Il évalue approximativement à 30 habitants au km2, la
densité moyenne au 15e siècle, dans la zone de l'Adamaoua qu'il a étudiée. Il
estime que les plus petits villages comptaient quelque 900 personnes, et les
plus grands 25 000 [78]. Rappelons à nouveau qu'à Engarouka, les 6800 maisons en
ruine sont directement visibles, et que les cases se construisent et
disparaissent facilement.
VI. Quelques simulations numérique
VI.1. Densité de population en pays côtiers et leur
hinterland de 1700 à 1800
Dans
sa communication au colloque d'Edimbourg, J. THORNTON
(University of Zambia) propose un modèle, discutable certes, mais qui a le grand
mérite de préciser, dans 7 régions côtières, les densités minimales nécessaires
pour alimenter les exportations d'esclaves, notamment en 1700 et en 1750 [80].
Il apparie une aire de l'hinterland
avec la portion de côte correspondante, en exploitant de nombreuses sources de
renseignements qui lui permettent de calculer le nombre d'esclaves retirés d'une
région par km2. Il estime que les facteurs limitatifs de l'accroissement
démographique, engendrés par les circonstances, ont ramené l'accroissement
démographique annuel à 0,2%. En utilisant les données sur les groupes d'âges
exportés et les pourcentages respectifs d'hommes et de femmes exportés, il
calcule que pour 1000 esclaves exportés, il faut une population de 368 000
habitants au moment où il ont été exportés*. Il en déduit les densités moyennes
minimales dans les régions considérées au 18e siècle. Nous extrayons de ses deux
tableaux (p. 710 et 711) les chiffres significatifs pour notre étude,
c'est-à-dire ceux qui correspondent aux plus forts effectifs exportés. On
obtient le tableau suivant :
|
Région
|
Superficie
milliers km2 |
Esclaves/an
milliers
|
Population minimale
milliers
|
Densité minimale
habitants/km2 |
|
Senegal
1700/1750
1750/1800 |
245,2 |
3,5 |
1280,8 |
5,2 |
|
Guinea
1700/1750
1750/1800 |
200,4 |
6,4 |
2 362 |
11,7 |
|
Windward Coast
1700/1750
1750/1800 |
96 |
3,9 |
1 435,2 |
14,9 |
|
Gold Coast
1700/1750
1750/1800 |
121,2 |
10,3 |
3 790,4 |
31,2 |
|
Slave Coast
1700/1750
1750/1800 |
148,4 |
15,3 |
5 630,4 |
37,1 |
|
Bight of Biafra
1700/1750
1750/1800 |
122,4 |
13,5 |
4 968 |
|
|
Angola
1700/1750
1750/1800 |
736,2 |
32,9 |
12 107,8 |
16,5 |
Tableau 1 :
Population et densités minimales en 1700 ou 1750 dans 7 régions
côtières de l'Afrique noire et leur hinterland, d'après les calculs de J. THORNTON,
Department of History, University of Zambia (1981).
Même si je ne partage pas tous les
présupposés de J. THORNTON, et si la conclusion qu'il en tire est seulement que
l'on peut considérer comme réparés, en somme assez rapidemment, les dommages
démographiques provoqués par la traite, son modèle est instructif et
significatif. Il montre, en fait, que les densités de population sur de vastes
régions d'Afrique noire devaient être comprises entre 11,7 et 40,6 au minimum
vers 1700-1750, confortant ainsi les évaluations proposées plus haut. La
faible densité du Sénégal (5,2) signifie seulement que le nombre d'esclaves
exportés durant la période considérée était nettement moindre que dans la zone
comprise entre la Guinée et l'Angola.
VI.2. L'Angola au 16e siècle
Avec un calcul effectué d'après les
données fournies par W. G. RANDLES, on détermine les populations minimales de
l'Angola au 16e siècle de la façon suivante :
le taux moyen d'accroissement
proposé par C. CLARK et J. N. BIRABEN pour la population de l'Afrique noire du
11e au 16e siècles est 0,14%. Celui que je propose dans ma thèse [36] est 0,35%
de 1300 à 1500. W. G. L. RANDLES nous dit que de 1575 à 1819, une moyenne de 12
300 esclaves par an furent embarqués à Luanda, et qu'en 1819, les Portugais ont
recensé 198 415 habitants en Angola [82].
A partir de ces données, on peut
calculer la population de l'Angola en 1575 pour différentes valeurs du taux
d'accroissement annuel moyen de la population (noté a ci-dessous) en
appliquant la relation suivante
:
P(t) = b + ( P(to) - b ) ( 1 + a )(t-
to)
(1)
où :
P(t) : population au temps
t (exprimé en années)
P(to) : population au temps to
antérieur au temps t (exprimé en années)
a : taux d'accroissement annuel moyen de la population
b = nombre d'esclaves partis annuellement / taux
d'accroissement annuel
Cette expression mathématique
fournit la population, P(t), à un instant t quelconque, connaissant la
population , P(to), à un temps antérieur to, le taux d'accroissement annuel
moyen, a, de la population et le prélèvement annuel moyen d'esclaves dans cette
population. Inversement, si l'on connaît P(t) au temps t on peut en déduire
P(to) en utilisant cette même relation (1).
On cherche donc, dans le cas de
l'Angola, la population P(to) dans le cas de figure défini ci-après
:
to =1575, t=1819, t - to = 244 ans
et P(t) = 198 415, nombre moyen d'esclaves annuellement exportés = 12 300.
P(to) est calculé pour deux valeurs
du taux d'accroissement annuel moyen positif respectivement a = 0,15% et a =
0,35%, dans cinq cas qui font varier de 0 à 4 le nombre de morts pour un esclave
ayant quitté vivant l'Angola. On obtient le tableau suivant :
|
a
|
0 pour 1
|
1 pour 1
|
2 pour 1 |
3 pour 1 |
4 pour 1 |
|
0,15 % |
2 647 700 |
5 157 700 |
7 667 700 |
10 647 700 |
12 688 000 |
|
0,35 % |
2 100 500 |
4 116 200 |
6 132 200 |
8 148 100 |
10 164 000 |
Tableau 2 :
Population de l'Angola en 1575 calculée dans dix hypothèses *.
W. G. L. RANDLES précise bien que ce
sont là les chiffres officiels qui ne tiennent pas compte de la fraude,
soulignons-le. Le nombre d'esclaves embarqués a donc dépassé ce chiffre annuel
moyen de 12 300. Dans la réalité, les choses se sont passées différemment. Dès
la fin du 16e siècle, les Portugais avaient mené des guerres extrêmement
meurtrières qui avaient déjà éliminé brusquement une part importante de la
population. Guerres intestines, razzias, épidémies de variole, fuite des
habitants occupèrent le 17e siècle. Au 18e siècle, le nombre moyen d'exportés
baissa, et les esclaves furent amenés de l'intérieur, du royaume Lunda
Mais l'intérêt de ce tableau est de
montrer le nombre minimal d'habitants qu'il faut compter au 16è siècle, dans la
région, pour alimenter une exportation annuelle régulière moyenne de 12 300
esclaves. Quand on sait que ce nombre est inférieur au chiffre réel et que les
faits historiques connus permettent d'affirmer que, dans ce pays, le nombre de
morts et disparus fut probablement plus élevé que 4 pour 1, on peut mesurer
l'importance de la population que l'on devrait rationnellement attribuer à
l'Angola au 16e siècle et constater que les témoins oculaires de l'époque ne se
sont pas trompés et qu'ils n'ont pas menti.
La population proposée par M. SORET
pour le territoire du Congo Brazzaville avant la traite est de 500 000
habitants. Si on prélève 15 000 personnes par an, cette population est réduite à
0 au bout de 39,5 ans, avec un taux d'accroissement positif de 0,14%;
l'anéantissement intervient en 58,6 ans avec un taux d'accroissement positif de
0,35%. Pour compenser de telles pertes, il faudrait des taux d'accroissement de
l'ordre de ceux que connaît aujourd'hui l'Afrique (entre 2,5 et 3%).
Ces calculs mettent clairement en
évidence le caractère irréaliste du chiffre de 500 000 habitants indiué par M.
SORET pour cette région
VI.3. Cas de l'ensemble de l'Afrique noire
Si l'on considère le chiffre le plus
bas retenu ici, pour la population de l'Afrique noire au 16e siècle,
c'est-à-dire 600 millions et qu'on le compare aux 200 millions obtenus pour le
milieu du 19e siècle, la différence est de 400 millions, correspondant à environ
30 millions d'esclaves exportés. Cela signifie 13 individus perdus tant par les
effets indirects (insécurité, maladies...) que par les effets directs de
la traite, pour un captif parti vivant, et que le taux de diminution de
la population se chiffre, en moyenne, à 0,36% par an. Si élevés qu'aient été les
taux de natalité, ils ne pouvaient compenser les pertes directes ajoutées à une
surmortalité permanente et aux manques à naître
Le calcul permet de voir combien est
sous-estimée l'hypothèse d'une population de 95 millions évaluée vers 1730 en
Afrique noire. Supposons qu'il n'y ait eu que 4 disparus pour un esclave
exporté, que le taux d'accroissement soit resté positif, en moyenne 0,14% (taux
adopté par C. CLARK et J. N. BIRABEN pour la période du 11e au 16e siècle), et
que 140 000 esclaves par an (toutes traites additionnées) aient été exportés
jusqu'en 1830. A cette date, il ne resterait plus que 34 millions d'habitants
[on applique la même relation (1) avec : a = 0,14%, to=1730, P(to) = 95
millions, effectifs annuellement soustraits : 140 000 + (140 000 x 4)].
D'autre part, si l'on suppose comme
C. CLARK et J. N. BIRABEN que la population de l'Afrique noire était de l'ordre
de 90 millions au 19e siècle [83], on est obligé d'admettre une population
beaucoup plus élevée au début du 18e siècle, date à laquelle elle avait déjà
décliné par rapport au 16e siècle, par suite des actions portugaises et
marocaines, de l'introduction des armes à feu et de l'accroissement de la traite
pendant tout le 17e siècle.
VII. Conclusion
Compte
tenu de tout ce qui précède, il paraît raisonnable de retenir les ordres de
grandeur rassemblés dans le tableau 3 et sur la figure 1 pour décrire
l'évolution de la population de l'Afrique noire du 3e millénaire BC à 1948/1949.
Pour l'Afrique noire, les
spécialistes de la démographie historique ont négligé de prendre en
considération les textes des différentes époques (sources externes diverses
arabes et européennes, sources internes, c'est-à-dire les chroniques
autochtones, les unes recoupant les autres), alors que Jacques HOUDAILLE écrit
[86] dans la revue Population (1985, n° 6, p. 996) "la lecture de la
littérature ancienne fournit des renseignements précieux. On peut grâce à elle,
estimer la population de l'Inde depuis 3000 ans avant J.-C."
De plus, les résultats des fouilles archéologiques
effectuées en Afrique noire restituent peu à peu les empreintes du tissu
socio-économique qui s'y était constitué avant que la dislocation politique
consécutive aux attaques portugaises et arabes, et l'emploi des armes à feu,
l'intensification des guerres et des razzias pendant quelque trois siècles ne
provoquent des disettes, des famines, des maladies, des déplacements de peuples,
une régression irrémédiable des savoirs, le recours à l'auto-subsistance locale,
à quoi s'ajoute la ponction continue et numériquement élevée des éléments les
plus dynamiques de la population par les différentes traites, puis par la
conquête européenne et l'exploitation coloniale directe.
Les découvertes déjà réalisées ont
prouvé que l'on s'était trompé sur l'ancienneté et l'importance du peuplement de
l'Afrique noire [84]. Mais il est nécessaire de multiplier les fouilles
archéologiques dans le plus grand nombre possible de régions afin de vérifier la
thèse posée ici d'une population de 600 à 800 millions d'habitants, fin
15e/début 16e siècle, représentant une moyenne de trente à quarante habitants au
km2.
Rappelons que la courbe de l'évolution de la population de
l'Afrique noire, reconstituée dans cette thèse, a toujours été présentée comme
"très approximative", seulement "indicative" et représentative de "l'allure
générale" des variations du volume de la population noire africaine (cf. Population, n° 6, INED, 1985). Il ne peut s'agir en effet que d'ordres de
grandeurs et non de chiffres précis. De nouvelles découvertes archivistiques
et/ou archéologiques peuvent les modifier dans un sens ou dans l'autre. Mais on
peut dès à présent affirmer que la taille et le nombre des habitats connus d'une
part, les effectifs d'esclaves exportés déjà répertoriés, d'autre part, ainsi
que l'évidence des effets multiples des traites et pillages, rendent caduques
les faibles évaluations admises jusqu'à maintenant.
Selon notre thèse, la population actuelle n'aurait pas
encore tout à fait rejoint les chiffres correspondant à l'époque où le
cultivateur et l'artisan autochtones exploitaient le milieu intertropical dans
le cadre d'une économie intra-africaine, caractérisée par une "concentration
naine" (ateliers réunissant 50 à 100 tailleurs) [34], [35], [36], [85].
Malheureusement, le repeuplement se fait dans de mauvaises
conditions économiques, politiques et sociales, et de façon très déséquilibrée,
alors que jadis, le territoire était parsemé de réseaux de villages et villes
moyennes. En outre, l'Afrique tropicale sèche s'étend aux dépens de l'Afrique
pluvieuse généralement plus favorisée
Cependant, la connaissance du passé démographique et
économique de l'Afrique noire antécoloniale permet de mieux comprendre la
situation présente et surtout de mieux élaborer la construction du développement
et de l'avenir dans le cadre de la société dite "post-industrielle" qui commence
à se constituer.

· La ville de Bénin
: Gravure publiée à Amsterdam, en 1686, dans la "Description de l'Afrique"
de DAPPER (Cf. K. Onwonwu DIKE, "Dès le Moyen Age existait en Nigéria un
royaume prestigieux : Bénin", in Le Courrier de l'UNESCO,
octobre 1959, pp. 12-19.
L'Éthiopie et la Nubie (actuel Soudan) ont de nombreux
monuments plus ou moins conservés ou exhumés. En Afrique orientale et australe,
des milliers de vestiges de murs et de mines ont été découverts (cf. JASPAN, "La culture noire en Afrique du Sud avant la conquête européenne",
in Science and Society, Vol. XIX, n° 3, 1955 ; Basil DAVIDSON [42]) et plus
spécialement, entre Zambèze et Limpopo, les ruines cyclopéennes de Zimbabwe,
ainsi que celles des villes portuaires qui s'échelonnent le long de la côte de
l'océan Indien et qui ont été étudiées par le R. P. G. MATHEW. En Afrique
occidentale, chaque ville possédait une ou plusieurs mosquées de style
typiquement soudanais, et la capitale d'empire, un palais. En pays Yoruba,
FROBENIUS a décrit le palais de l'Oni d'Ifé : "une pompeuse construction
faite d'authentiques briques émaillées … ". Quant au palais du roi du Bénin,
qui a tant impressionné le Hollandais, il comportait de nombreux appartements
pour les ministres et de belles galeries "aussi larges que celles de la
bourse d'Amsterdam", "soutenues par des piliers de bois revêtus de
plaques de bronze rivées ensemble, ou de cuivre rouge, où sont dépeintes leurs
victoires" … "La salle d'audience était grande … avec un vaste impluvium central
soutenu par une centaine de piliers" … Et il y avait autant de palais que de
rois ayant régné.
A titre de comparaison, rappelons que l'Inde, en 1500,
n'était pas celle d'aujourd'hui ! BABER, petit-fils deTIMOUR le BOITEUX, "s'étonne de l'instabilité des villes et des villages qui naissent et meurent
soudain" et remarque que, dans la région de Malabar, " les campagnards
vont généralement nus" [52, p. 115]. Beaucoup de monuments ont été
construits après cette date. Dans L'état du Monde en 1492 (Éditions La
Découverte, Paris, 1992), Marc GABORIAU note que "aucune ville indienne n'a
la monumentalité d'de la capitale khmère d'Angkor", que les villes indiennes
sont alors "en expansion", que les ports, "actifs sur toutes ls côtes,
ne donnent généralement pas de très grandes villes, sauf au Gujarat et au
Bengale". "Les grandes agglomérations sont de villes princières et autres
villes administratives de l'intérieur"… L'auteur cite "Bidar, capitale
des sultans Bahmani du Deccan"… Or, c'est une "cité murée de 4 km de
circonférence"… Rappelons que Bénin était entourée d'un rempart de 30 km et
pouvait compter plus de 200 000 habitants, comme la capitale du Bengale au début
du 16e siècle (p. 78). Geneviève BOUCHON indique (p. 81) que les vestiges de
Vijayanagar (ville du centre du Deccan) montrent que "d'anciens groupes de
bâtiments alternent avec des zones agricoles", le tout occupant "plus de
trente km2" ; cela correspond à un diamètre de quelque 6 km. La principale
rue de Bénin en mesurait 7.
On attribue une population d'environ
150 millions d'âmes, pour cette époque, à la péninsule indienne, laquelle est
environ 4,6 fois moins étendue que l'Afrique noire. Si l'on multiplie 150
millions par 4,6, on trouve justement un ordre de grandeur de 700 millions. Mais
l'Inde, elle, a continué sur sa lancée pendant les trois siècles où l'Afrique
noire se vidait et se ruinait toujours plus profondément.
Notes et références
[1] VAN NOTEN F., in
Histoire générale de l'Afrique, I, Méthodologie et Préhistoire,
Paris, Jeune Afrique/UNESCO, 1980, p. 593 et 595
[2] ALIMEN H., Préhistoire de l'Afrique, Paris,
Boubée,1955, (2e éd. 1966)
[3] LEAKEY R., La naissance de l'homme, Paris,
Éditions du Fanal, 1981
[4] CLARK D. J., "Préhistoire de l'Afrique Australe",
in Histoire générale de l'Afrique, I, Chap. 20, Paris, Jeune
Afrique/UNESCO, 1980, p. 558.
[5] WENDORF F. et SCHILD R., Prehistory of the Nile
Valley, Academic Press, New-York, 1976, (404 p.) ;"Use of Barley
in the Egyptian Late Paleolithic", in Science, n° 4413, 1979, pp.
1341-1347.
[6] WENDORF F., CLOSE A., GAUTIER A. et SCHILD R.,
"Les
débuts du pastoralisme en Égypte", in La Recherche, vol. 21,
n° 220, avril 1990, pp. 436-445.
[7] MUZZOLINI A., "La néolithisation du nord de
l'Afrique et ses causes", in Neolithisations, Archeological
Series, n° 5, BAR International Series 516, 1989, p. 170.
[8] SUTTON J.E.G., "Préhistoire de l'Afrique Orientale",
in Histoire générale de l'Afrique, I, Chap. 19, Paris, Jeune
Afrique/UNESCO, 1980, pp. 517-524.
[9] DESANGES J., "Les Protoberbères",
in
Histoire générale de l'Afrique, II, Chap. 17, Paris, Jeune Afrique/UNESCO, 1980, pp. 455, 459 et
461; cf. également : SALL B., "Des influences éthiopiennes sur
l'Europe méridionnale", in Ankh, n° 1, Paris,
1992, pp. 51-58.
[10] ALIMEN H., op. cit., note 2, pp. 129-157. La
civilisation néolithique et prédynastique est commune à l'Égypte et à la Nubie. Sur le
caractère négro-africain de la civilisation égypto-nubienne, voir
principalement C. A. DIOP, Nations nègres et Culture, 1954, Antériorité des civilisations nègres, 1967,
Civilisation ou
Barbarie, 1981, Paris, Présence Africaine.
[11] VAN NOTEN F., op. cit., note 1, p. 676.
[12] ROSET J. P., FAIRHALL A. W., in
La
Recherche, n° 148, oct. 1983, p. 1248.
[13] WAI ANDAH B., "L' Afrique de l'ouest avant le 7e
siècle, in Histoire générale de l 'Afrique, II, Chap. 24, Paris, Jeune
Afrique/UNESCO, 1980.
[14] DAVIDSON B., L'Afrique avant les Blancs,
Paris, PUF, 1962, p. 56.
DIOP C. A., "Vers une remise en question de l'Age du
Fer en Afrique", in Notes Africaines, n° 152, 1976, Dakar,
IFAN.
[15] SUTTON J.E.G., "Préhistoire de l'Afrique Orientale",
in Histoire générale de l'Afrique, I, Chap. 19, Paris, Jeune
Afrique/UNESCO, 1980, p. 522
[16] COLLETT D. P. et ROBERTSHAW P. T.,
in Azania, XV, 1980, pp. 133-145.
[17] VAN NOTEN F., op. cit., voir note 6.
[18] MUZZOLINI A. , op. cit., voir note 5, p. 165.
[19] ALIMEN H., op. cit., voir note 2.
[20] ADAM S. et VERCOUTTER J.,"La Nubie trait d'union
entre l'Afrique Centrale et la Méditerranée", in Histoire générale de
l'Afrique, II, Chap. 8, Paris, Jeune Afrique/UNESCO, 1980, p. 249)
[21] Histoire générale de l'Afrique, II, Chap. 8 et
11, Paris, Jeune Afrique/UNESCO, 1980, pp. 254, 273, 334, 335. GEUS F., "Archéologie du Nil Moyen", vol. 1, 1986, vol. 2, 1987, Université de Lille.
[22] GRZYMSKY K.,"The Population Size of the Meroïtic
Kingdom : An Estimation", in African Historical Demography,
University of Edinburgh, 1981, pp. 259-274
[23] "Les métallurgies du Cuivre et du Fer autour
d'Agadez (Niger) des origines au début de la période médiévale. Vues générales",
pp.109 à 126., in N. ECHARD, Métall. afric., Paris, société des
africanistes, 1983.
[24] DIOP C. A., "Vers une remise en question de l'âge
du fer en Afrique", Notes africaines, 1976, Dakar, IFAN, n° 152, pp. 93-95. Le même
échantillon provenant de N'Dalane (Sénégal) a été daté indépendamment,
d'abord par C. A.DIOP, au Laboratoire du Radiocarbone de l'Université
de Dakar, ensuite par G. DELIBRIAS, au Laboratoire de Gif-sur-Yvette en
France, et a donné le même résultat :
échantillon Dak. 110. Résultat: 2861 ± 137 BC
échantillon Gif 2508. Résultat: 2829 ± 115 BC
M. C. VAN GRUNDERBEEK, ROCHE E., DOUTRELEPONT H.,
1983, "Métallurgie ancienne au Rwanda et au Burundi", in
Journées de Paléométallurgie", Actes du Colloque de Compiègne, 22-23
février 1983, pp. 407-423, et, "Le premier âge du fer au Rwanda et au
Burundi, archéologie et environnement" ; à Buhaya (Lac Victoria), la
plus ancienne date obtenue est 1470 BC (J. des Afr. 52, 1-2)
Paris.
On savait déjà que le fer nubien est antérieur au
fer hittite (cf. Th. OBENGA, L'Afrique dans l'antiquité, Paris,
Présence Africaine, 1973). Rappelons que les âges les plus anciens
obtenus à Nok (3500 et 2000 BC) n'ont jamais été réfutés avec des
arguments convaincants (cf. coupe du site et commentaire, C. A. DIOP, in
Notes Africaines, Dakar, IFAN, 1976, n° 152, pp 93-95).
La date des objets en fer trouvés dans une couche
du Nachikoufien, postérieure à 2000 BC, reste à préciser. Au site de
Mufulwe, plus à l'ouest, en Zambie, une poterie du premier âge du fer a
été datée du 3e siècle BC (cf. P. ROBERT SHAW in Journal of
African History, 25, 1984, GB, pp. 388-389).
[25] VAN NOTEN F., op. cit., voir note 6, p. 690
[26] et [27] KALCK P., Histoire de la République
centrafricaine des origines préhistoriques à nos jours, Paris, éd.
Berger-Levrault,1974.
[28] LECLANT J., in Histoire générale de
l'Afrique, II, Paris, Jeune Afrique/UNESCO, 1980, p. 304).
[29] DURAND J. D., Historical Estimates of World
Population - An Evaluation, Philadelphie, Population Studies Center 1974, p.
9, tabl. II, MAC EVEDY C., A. JONES, Atlas of world population
history, Harmonds worth, Milddlesex, England Penguin Books, 1978,
BIRABEN J. N., "Essai sur l'évolution du nombre des hommes",
Paris, Population, 1979, n°1, p. 15).
[30] VIDAL P., "Archéologie du terrain centrafricain :
une approche réaliste de l'histoire précoloniale et ancienne,
Ebauche d'une synthèse.", in Recherches Centrafricaines,
Table ronde, Etudes et documents n°18, Aix-en-Provence, 1984, pp. 5-45.
Et communication in L'archéologie au Cameroun, par ESSOMBA
J. M., Colloque international de Yaoundé, 6-9 janvier 1986, Paris, Karthala, 1992, pp. 133-178.
[31] MAC INTOSH S. K. et R. J. , "Prehistoric
investigations at Djenné, Mali", in British Archaeol.
Report, Inter. Ser. 89, Oxford, GB, 1980.
[32] PHILLIPSON D.W.,"Les débuts de l'Age du Fer en
Afrique méridionale", in Histoire générale de l'Afrique, II, Chap.
27, Paris, Jeune Afrique /UNESCO, 1980, pp. 735-749, plus spécialement pp. 735,
739, 748).
[33] COQUERY-VIDROVITCH C. et MONIOT H.,
L'Afrique
noire de 1800 à nos jours, Paris, PUF, 1974.
[34] DIOP C. A., L'Afrique noire précoloniale,
Paris, Présence Africaine, 1960, (2e édition 1987).
[35] DIOP L. M., "Le sous-peuplement de L'Afrique
noire", in Bulletin de l'IFAN, 1978, n°4, tome 40, série B,
p.718-862.
[36] DIOP L. M., Recherches sur la population de
l'Afrique noire, thèse de doctorat d'État, Université de Paris I, Sorbonne,
1983, 1e partie.
[37] DIOP L. M., "Essai d'évaluation de la population
de l'Afrique noire aux 15e siècle et 16e siècles", dans la revue Population, 1985, 6, Paris, INED, p. 855-885.
[38] DIOP L. M., "Réponse au commentaire critique de J.
N. BIRABEN", in Africa Zamani, Revue d'Histoire Africaine,
n° 18-19, Université de Yaoundé,1987, p 50-56.
[39] MOLLAT M., Les explorateurs du 13e au 16esiècles,
Paris, J. -C. Lattès, 1984.
[40] SORET M., Histoire du Congo, Berger-Levrault,
1978, p. 37.
[41] FROBENIUS L., Histoire de la civilisation
africaine, traduit de l'allemand, Paris, 1952, Gallimard.
[42] DAVIDSON B., L'Afrique avant les Blancs,
Paris, 1962, PUF, p. 204. Voir aussi JASPAN M. A. in Science and
Society, Vol. XIX, n° 3 et Histoire générale de l'Afrique (UNESCO).
[43] MERCIER P., Civilisations du Bénin, Société
continentale d'éditions modernes, Paris, 1962.
[44] DAPPER O., Description de l'Afrique (traduit
du flamand), Amsterdam, Z. Wolfgang & al., 1686.
[45] CA DA MOSTO A. , Relation des Voyages à la côte
occidentale d'Afrique, traduction Ch. SCHEFFER, Paris, Leroux, 1895.
[46] FERNANDES V., Description de la côte occidentale
d'Afrique, traduction MONOD et al., 1951, Bissau, Centro de Estudo de
Guiné Portuguèsa, mém. n°11.
[47] R. P. MATHEW G., "L'Océan Indien baigne des villes
mortes", in Le Courrier de l'UNESCO, Octobre 1959.
[48] DIOP L. M., Bulletin de l'IFAN, 1978, n°4, p.
769, op. cit., note 35.
[49] SURET-CANALE J., L'Ère coloniale, Éditions
sociales, 1964, notamment pp. 182 à 194 et p. 28
[50] Général MANGIN, Souvenirs d'Afrique (Lettres et
carnets de route), Paris, Denoël et Steel, 1936, Livre I, cité par
SURET-CANALE J, Afrique Noire, l'Ere coloniale, Paris, Éditions sociales,
1962, p. 4
[51] COQUERY-VIDROVITCH C., Le Congo au temps des
Grandes Compagnies, 1899-1930, Paris-La Haye, Mouton, 1972, pp.494 à 503
[52] REINHARD M. et ARMENGAUD A., Histoire Générale de
la population mondiale, Paris, Montchrestien 1961, pp. 365-366 et p.476).
[53] KROTKI K. J., "La population au Soudan au 19e
siècle et au début du 20e, in Annales de démographie
historique, Paris, 1979, pp. 165 à 193, Tableau II spécialement.
[54] DAWSON M. H. , "Disease and Population Decline of
the Kikuyu of Kenya, 1890- 1925", African Historical Demography,
1981, University of Edinburgh, pp. 121 à 135.
[55] ARENDT H., L'impérialisme, 1982, Fayard, pp.
111-112.
[56] COQUERY-VIDROVITCH C. et MONIOT,
L'Afrique noire
de 1800 à nos jours, PUF, nlle coll. Clio, 1974. pp. 156 à 212.
[57] COQUERY-VIDROVITCH C. , in
African
Historical Demography, vol. I, University of Edinburgh, 1977, pp. 331 à 351
[58] Cité par P. KALCK, Histoire de la République
Centrafricaine des origines à nos jours, 1974, p. 181.
[59] Idem, 1974, p. 176 et sq.
[60] RETEL-LAURENTIN A., Infécondité en Afrique noire,
maladies et conséquences sociales, Masson, Paris, 1974
[61] RETEL-LAURENTIN A., Un pays à la dérive, une
société en régression, le Nzakara, Paris, J. P. Delarge, 1979.
[62] BA O., "La pénétration française au Cayor",
Dakar, recueil n°2, tome 1 des documents inédits, Dakar, 1976.
[63] HURAULT J., "Eleveurs et cultivateurs des hauts
plateaux du Cameroun. La population du Lamid et de Banyo", in Population, Paris 1969, INED, n°5.
[64] Actes publiés par l'UNESCO, Etudes et Documents
pour l'Histoire Générale de l'Afrique, 1979, 1985.
[65] Actes publiés sous le titre De la traite à
l'esclavage, CRHMA et Société Française d'Histoire d'Outre Mer, Paris, 1988.
[66] BECKER C. et MARTIN V., La Traite des Noirs par
l'Atlantique, 1976, Paris, Société Française d'Histoire d'Outre Mer et
Geuthner, p. 283.
[67] DAVIDSON B., Mère Afrique, Paris, PUF, 1965,
pp.217 et sq.
[68] RENAULT F. et DAGET S., Les Traites négrières,
Karthala, 1985.
[69] MEILLASSOUX Cl. éd., L'Esclavage en Afrique
précoloniale, Paris, Maspéro, 1975.
[70] BECKER C., " De la traite à l'esclavage",
Paris, 1988, CRH du monde Atlantique et Société Française d'Histoire d'Outre
Mer, communication au colloque de Nantes, Actes, Tome 2, pp. 71-110.
[71] MAUNY R., Les siècles obscurs de l'Afrique,
Fayard, 1970, pp. 238-239 et p. 246.
[72] BECKER C., "Conditions écologiques et traite des
esclaves en Sénégambie", African Economic History, 14, 1985, pp.
161-216.
[73] F. THÉSÉE, Actes du colloque de Nantes, tome I, 1988,
p. 223 à 245 (voir note 64).
[74] DUBY G. et WALLON A. , Histoire de la France
rurale, Seuil, 1975, p. 41.
[75] KALCK P., Histoire de la République centrafricaine.
Paris, Berger-Levrault, 1974
[76] MARCHAL J. Y., "Vestiges d'occupation ancienne au
Yatenga (Haute Volta). Une reconnaissance du pays Kigba", in Cahiers d'Histoire Africaine, ORSTOM, série sciences humaines, Vol. 15,
1978, n°4, pp. 449-4
[77] HURAULT J., "Les anciens peuplements des
cultivateurs de l'Adamaoua Occidental, Méthodologie d'une approche
spatiale ", Cahiers d'Histoire Africaine ORSTOM, série sciences
humaines, Vol. 22, 1978, n°1, pp. 115-145.
[78] Communication personnelle.[79a] SUTTON J. E. G.,
African Historical Demography, vol. II, 1981, Edinburgh, p. 635 ; la
communication de J. E. INKORI va dans le même sens (p. 283 à 31
[79 b] PACHECO PEREIRA Duarte (vers
1506-1508), Esmeraldo de Situ Orbis, Côte Occidentale d'Afrique, du Sud
Marocain au Gabon, trad. R. MAUNY, Bissau 1956, Centro Estudos da Guiné
Portuguesa, n° 19, p.135 et 190, note 276
[80] THORNTON J., in African Historical
Demography, Volume II, Proceedings of Seminar held in the Centre of African
Studies, University of Edinburgh, 24-25 April 1981.
[81] THORNTON J., "The demographic effect of the slave
trade on Western Africa 1500- 1850", in African Historical
Demography, II, University of Edinburgh, 1981, p. 691- 720
[82] RANDLES W. G. L., "
De la traite à la
colonisation. Les Portugais en Angola", in Annales Économies, Sociétés, Civilisations, Paris, mars-avril 1969, p. 289 à 305.
[83] DURAND J. D., Historical Estimates of World
Population — An Evaluation, Philadelphie, Population Studies Center , 1974, p.
9, tableau I (où il cite les chiffres proposés par C. CLARK, pp. 49 à 53
et tableau II), et C. Mac EVEDY et R. JONES, proposent 30 à 60 millions
en 1500, 50 à 80 en 1750, 88 à 120 en 1900. C. CLARK (in J. D.
DURAND, p. 9) et J. N. BIRABEN (78-79 millions en 1500, 94/95 millions
en 1750 et 95 millions en 1900), tableau 1, référence op. cit.
note [29]).
[84] L'archéologie au Cameroun, par ESSOMBA J. M.,
Colloque international de Yaoundé, 6-9 janvier 1986, Paris, Karthala, 1992 ; DIOP-MAES
L. M.,"Introduction générale au Séminaire Méga-Tchad, Datations
et chronologie dans le bassin du lac Tchad", Bondy, ORSTOM, 1989, à
paraître ; BECKER C., DIOUF M., M'BODJ M., "Les sources
démographiques de l'histoire de la sénégambie", in Annales de
démographie historique, Société de démographie historique, Paris, p.
15-25, 1987.
[85] DIOP C. A., op. cit., note 34, Chapitre 6.
[86] HOUDAILLE J., "Compte rendu du congrès général de
l' UIESP", Paris, in Population, 1985, n°6, p. 996.
Préhistoire et
protohistoire : Scènes de chasse et d'affrontement qui témoignent de
l'aire d'extension des populations noires dans l'ensemble du continent africain
:
- dans la Vallée du
Nil (Cf. WINKLER H.J.), Rock Drawings of Southern Upper Egypt, London,
The Egypt Exploration Society, 1938, p. XXIV, n°
· - au Tassili N'Ajjer
(Cf. LHOTE H., A la découverte des fresques du Tassili, Paris, Arthaud,
1958, n° 42)
¸ - en Afrique australe
(Cf. J. E. PARKINGTON, "L'Afrique méridionale : chasseurs et cueilleurs",
in Histoire générale de l'Afrique, Paris, UNESCO, tome 2, p. 708).
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