ANKH: Egyptologie et Civilisations Africaines
 Egyptologie, histoire de l'Afrique et sciences exactes
 Egyptology, Africa History and Sciences
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Apport des datations physico-chimiques

à la connaissance du passé de l'Afrique

 

Louise Marie Diop-Maes

 

 

 

Article publié dans ANKH n°8/9

Résumé : Les grandes étapes de l'évolution de l'homme sur le continent africain ainsi que celles de ses migrations successives vers les autres continents sont retracées à partir des résultats des datations physico-chimiques révélant l'âge des vestiges paléo-anthropologiques, lithiques et archéologiques. Cette synthèse aborde également la période historique qui débute avec l'apparition de l'écriture vers 3400 avant Jésus-Christ, en Egypte ancienne. Quoiqu'encore sporadiques, les datations ont permis de restituer l'ancienneté méconnue et l'avancement des civilisations noires africaines. L'ensemble des différentes datations corrobore les travaux de Cheikh Anta Diop.

Abstract : Contribution of the physico-chemical datings to the knowledge of Africa's past. The great stages of the evolution of man on the African continent as well as those of his migrations towards other continents are related here using the results of the physico-chemical dating disclosing the age of the paleo-anthropological, lithical and archaeological remains. This synthesis also tackles the historical period which starts with the appearance of writing around 3400 B.C., in ancient Egypt. Although still sporadic, the dating allowed the restitution of the misjudged ancientness and the advanced state of Black African civilisations. The different datings taken as a whole corroborate Cheikh Anta Diop's works.

 

1. Introduction

 

L’archéologie et les datations physico-chimiques sont cruciales pour la connaissance objective et la compréhension du passé de l'humanité dans tous les cas où font défaut des documents explicites : écrits ou événements repères bien connus et datés comme certaines éruptions volcaniques, certains tremblements de terre.

 

Les datations sont indispensables non seulement pour les périodes préhistoriques mais aussi aux différentes époques historiques de l'Antiquité aux temps modernes. Nous passons ici en revue les grandes étapes de l'évolution historique et culturelle de l'Afrique noire des origines au 16ème siècle à la lumière des résultats des datations physico-chimiques. 

 

 

2. Bref rappel des méthodes de datations

 

La chronologie relative à la Terre est décrite en séquences géologiques dont les délimitations et la nomenclature sont fondées sur l'étude des roches, du climat, du magnétisme terrestre, de l'évolution biologique. Avec "l'apparition"de l'homme s'y ajoute une séquence de nature archéologique qui comporte les différentes étapes de l'évolution culturelle (dans son acception la plus large) de l'humanité. Si l'on ramasse la chronologie terrestre sur une année, alors l'homme moderne, l'Homo sapiens sapiens, apparaît le 15 décembre et l'écriture est inventée dans la matinée du 31 décembre. Pour repérer les événements de la façon la plus objective possible il faut définir une échelle de temps (ou référentiel temporel) constituée d'une origine et d'une unité de temps (l'année solaire). Sur cette échelle on affecte un temps "absolu" aux événements, c'est-à-dire leur ancienneté par rapport au présent.

Les méthodes permettant de situer dans le temps les étapes de l'évolution humaine sont multiples [1] :

- La stratigraphie

- Les relations typologiques

- La dendrochronologie

- La racémisation des acides aminés

- Le dosage chimique : azote, fluor, l'uranium

- L'hydratation de l'obsidienne

- Les traces biologiques : palynologie, paléontologie, micropaléontologie

- L'archéomagnétisme

- La thermoluminescence

- Les méthodes radioactives : Carbone 14, Potassium-Argon, Uranium/Thorium.

 

Toutes les méthodes ne permettent pas d'établir une chronologie absolue : exemples de la typologie, de la stratigraphie, du dosage de corps chimiques qui sont des méthodes de datations relatives. Les méthodes stratigraphiques restituaient déjà, mais seulement de façon relative, localement et non sans lacunes, des successions de cultures et d'âges technologiques. Seules les datations physico-chimiques permettent de déterminer, avec une approximation variable, l'âge absolu des couches de terrain et, par suite, des êtres et objets qu'elles contiennent, ou bien de dater directement les vestiges eux-mêmes lorsqu'ils s'y prêtent. Les méthodes qualifiées d'absolues sont fondées sur des phénomènes physiques naturels susceptibles de positionner un "événement" ou un "objet" sur une échelle de temps absolu : c'est le cas par exemple de la méthode de datation par le Carbone 14 (ou radiocarbone).

 

 

Le cas de la datation par le Carbone 14 (14C ou C14)

 

Deux phénomènes principaux sont à la base de cette méthode qui est, de loin, encore aujourd'hui, la plus utilisée :

 

1 - Le Carbone 14 contenu dans l'atmosphère est absorbé par les organismes vivants.

2 - Après leur mort, la radioactivité du Carbone 14 qu'ils ont fixé de leur vivant, commence à décroître de façon régulière et mesurable.

La radioactivité du Carbone 14 diminue de moitié en 5730 ans ± 40 ans : sa période de désintégration est de 5730 ans ± 40 ans. La limite utile des mesures est habituellement de l'ordre de 40 000 ans mais atteint 60 000 ans si les installations sont très perfectionnées. Cependant, la concentration en Carbone 14 dans les organismes, durant leur vie, a varié avec l'intensité des rayons cosmiques. Des irrégularités sont donc observées par rapport à la chronologie absolue, surtout entre 2500 et 1500 avant J.-C. D'où la nécessité d'utiliser la dendrochronologie pour corriger les écarts et calibrer les dates obtenues par le radiocarbone. Des tables de correction ont été établies, faciles à utiliser. Elles ont été contrôlées et affinées grâce au magnétisme thermorémanent et aux différences saisonnières dans les feuillets sédimentaires (varves) déposés dans les lacs périglaciaires.

 

Le résultat des mesures est aussi affecté par les fluctuations statistiques, comme dans toutes les mesures de radioactivité, car les impulsions (ou désintégrations) émises par l'échantillon sont distribuées au hasard du temps. Le résultat fourni est donc une moyenne assortie des écarts évalués par des calculs standardisés.

 

Conventionnellement, les dates sont d'abord données 'Before Present' (BP), c'est-à-dire avant l'année 1950, prise au départ comme année de référence. Selon le nombre obtenu, ces dates sont donc soit 'Before Christ' (BC, avant J.-C.), soit AD, anno domini, autrement dit, de l'ère chrétienne. Les publications britanniques notent en lettres minuscules les dates non corrigées : b.p., b.c., a.d., et réservent les majuscules pour les dates corrigées. Mais les conventions internationales s'en tiennent aux majuscules pour les dates non corrigées. Il faut alors utiliser les tables de calibration, et savoir que les dates brutes, dites 'conventionnelles', sont basées sur l'ancienne estimation de la période de demi-désintégration de Carbone 14 (demi-vie) : 5568 ± 30 ans, au lieu de 5730 ans ± 40 ans, de sorte que la date brute doit être multipliée par 1.03. Ces dates sont généralement publiées dans la revue Radiocarbon, éditée par The American Journal of Science, (Yale University, New Haven, Connecticut, USA).

 

Les dates concernant l'Afrique sont souvent publiées par les inventeurs des échantillons et les chercheurs dans les diverses revues consacrées à l'Afrique. Par convention internationale, toute date radiocarbone brute est précédée du sigle servant à désigner le laboratoire qui a effectué la datation, et ce sigle est suivi du n° d'ordre, dans ce laboratoire, de la dite date, c'est-à-dire de l'échantillon ; par exemple Gif- 5469, Dak-148.

 

Méthodes de datation

Domaine de temps approximatif couvert en années

Dendrochronologie

actuel jusqu'à -7000

Racémisation des acides aminés

actuel jusqu'à -100 000

Hydratation de l'obsidienne

200 bp jusqu'au-delà de - 1 000 000

Archéomagnétisme

actuel jusqu'à -7000

Thermoluminescence

quelques dizaines d'années bp jusqu'à -300 000

Carbone 14 (ou radiocarbone)

actuel jusqu'à -60 000

Uranium/Thorium

actuel jusqu'à - 300 000

Résonance de spin électronique

quelques 1000 ans à 20 millions d'années

Potassium-Argon

actuel à 4.5 milliards d'années

Limites inférieures et supérieures indicatives de validité des méthodes de datations absolues.

Loin d'être concurrentes, les diverses méthodes se complètent en couvrant des périodes différentes, en datant des éléments de nature variée, en se contrôlant mutuellement. Elles ont bouleversé notre vision de la préhistoire et des débuts de l'histoire.

 

 

3. Phénomènes géophysiques, haute préhistoire et évolution générale

 

1) - La méthode du potassium-argon a permis de connaître l'âge des limites entre deux périodes de polarité opposée du champ magnétique terrestre (tantôt nord, tantôt sud). Grâce à ces repères chronologiques, une échelle valable pour tout lieu du globe a pu être établie sur plus de 5 millions d'années ; elle sert à dater, indirectement, les niveaux anciens tels que terrasses fluviatiles, sites paléolithiques, quand une inversion de polarité y est décelée. Ainsi a-t-il été possible de mettre en évidence la corrélation entre des sites paléontologiques du lac Turkana et de la vallée de l'Omo vers 1,8 million d'années (charnière fin tertiaire / début quaternaire), ainsi que le signalent D. Grimaud-Hervé, F. Serre et J.-J. Bahain, (Histoire d'ancêtres, Paris, éd. Artcom, 1998).

 

2) - La méthode du potassium-argon a également permis de préciser des concordances de phénomènes climatiques. Avant les datations on supposait qu'à chaque glaciation européenne correspondait une période pluviale en Afrique et à chaque phase interglaciaire, une période aride en Afrique. Les datations montrent que ce sont au contraire les périodes arides, et non les périodes pluviales de l'Afrique qui correspondent à des périodes glaciaires de l'Europe. Ce scénario semble d'ailleurs beaucoup plus logique puisque l’eau atmosphérique est partiellement immobilisée sur les terres froides sous forme de glace et l'évaporation est moindre quand les températures baissent. Les deux plus anciens pluviaux africains repérés sont de beaucoup antérieurs à la plus ancienne glaciation européenne. Le kamasien I, pluvial antérieurement supposé contemporain de la glaciation de Mindel, c'est-à-dire 600 000 ans, a en réalité 2,1 millions d'années ! Le géologue français H. Faure écrit en effet dans le volume I de l'Histoire générale de l'Afrique (Unesco, chap. 16, p. 433) :

 

- Olduvai (Tanzanie) : la succession des formations classiques et leur chronologie est la suivante :

m. a = millions d'années

Pluvial

(ancien Kanjeran)

Bed III

-1,15

MA

 

 

Bed II

-1,7

MA

Pluvial

(ancien Kamasian)

Bed I

-2,1

MA

(d'après Leakey, Cook, Bishop - 1967, Howel - 1972, Hay- 1975)

 

Tout ceci est évidemment capital pour la connaissance de l'évolution et de l'expansion de nos lointains ancêtres en Afrique même et sur les autres continents.

 

3) - Les datations physico-chimiques ont permis d'établir que les pré-Australopithèques sont apparus entre 5 et 4 millions d'années en Afrique orientale et australe, que les Australopithèques se multiplièrent et se diversifièrent entre 4 et 3 millions d'années parmi lesquels Lucy, (Australopithecus afarensis d'Ethiopie) et Abel, (Australopithecus Bahrel ghazali du Tchad, cf. M. Brunet et al., 'Australopithecus Bahrel ghazali, une nouvelle espèce d'hominidé ancien de la région de Koro Toro (Tchad)', C.R. Acad. Sci. Paris, t. 322, série Iia, pp. 907-913, 1996).

 

De même s'avère-t-il qu'entre 3,3 et 2,4 millions d'années, la Terre s'est rafraîchie et l'Afrique orientale asséchée, que les premiers outils lithiques sont apparus entre 2,6 et 2,4 millions d'années (région de Hadar en Ethiopie et à l'est du lac Turkana au Kenya) et qu'on les trouve dans la vallée de l'Omo (extrême sud de l'Ethiopie), entre 2,3 et 2 millions d'années.

 

Une cinquantaine de ces 'chopping tools' très grossiers viennent d'être découverts en Chine, au site de Renzidong (région du bas Yangzijian), datés de 2,25 millions d'années, mais sans fossile humain associé. Cela laisse supposer, néanmoins, une première migration d'hominiens très ancienne, de l'Afrique orientale vers l'Asie. La présence de quelques vestiges de préhumains simiesques amène divers chercheurs à envisager la possibilité de découvrir en Chine un second berceau de la lignée humaine. Mais rien, à ce jour, ne vient étayer une telle hypothèse au stade crucial proto-Australopithèque et Australopithèque en particulier.

 

C'est entre 2 et 1,6 millions d'années que sont attestés les Homo rudolphensis / Homo habilis, les plus anciens habitats, les premiers 'Homo ergaster' / Homo erectus (jadis appelés 'pithécanthropes') - Homo ergaster étant un Homo erectus archaïque. Les Australopithèques ont continué d'exister à coté d'eux jusqu'à environ 1 million d'années. Comme leurs prédécesseurs, c'est en Afrique orientale que sont nés les Homo ergaster et erectus. Les datations prouvent que c'est de là qu'ils ont essaimé dans d'autres régions de l'Afrique, en Asie et en Europe, à plusieurs reprises, avant et après avoir perfectionné la taille de la pierre. Leurs industries se trouvent dans tout le continent africain, en Asie occidentale, méridionale et orientale ainsi qu'en Europe. Les premiers bifaces apparaissent vers 1,4 million d'années.

 

En Ethiopie, dans la haute vallée du fleuve Awash, non loin d'Addis Abeba, l'ensemble des sites de Melka Kunturé ' a permis de reconnaître une évolution de l'industrie, depuis l'Oldowayen[2], composé de nombreux galets aménagés ('choppers'), jusqu'à 'l'Acheuléen'  final, avec une représentation importante de bifaces, de hachereaux et d'outils sur éclats ' (D. Grimaud-Hervé et al., Histoire d'Ancêtres, éd. Artcom, 1998, p.44) - l'Acheuléen étant l'industrie lithique riche en bifaces, créée par les Homo erectus et décrite, au départ, d'après celle qui avait été découverte à Saint-Acheul, (site éponyme) près d'Amiens, en France. Naturellement, entre 1,8 million d'années et 400 000 ans, l'anatomie des Homo erectus a évolué, notamment dans le sens d'un accroissement de la capacité crânienne. L'observation des industries lithiques indiquent qu'à chaque période aride les Africains perfectionnaient leur industrie alors que certains d'entre eux émigraient, mais dans d'autres régions que lors des périodes pluviales. L'évolution des Homo erectus a été buissonnante.

 

4) - Entre environ 400 000 et 120 000 ans, l'Afrique présente des hommes fossiles intermédiaires entre les Homo erectus évolués et les Homo sapiens sapiens appelés aussi Hommes modernes, c'est-à-dire, grosso modo, déjà semblables à nous, en particulier par le développement du lobe frontal du cerveau (qui permet de concevoir une stratégie globale, une planification de l'action) et par une disposition différente du réseau méningé (D. Grimaud-Hervé, 'Les empreintes vasculaires observées sur les moulages endocraniens d'hominiens fossiles et actuels', Anthropologie, XXXIV/1-2 . pp. 27- 34, 1996, pp. 27-34).

 

Le paléontologue allemand Günter Bräuer distingue :

 

- entre 400 000 et 200 000 ans, approximativement, des Homo sapiens archaïques anciens (Bodo, Ndutu, Hopefield, Broken Hill, Eyasi, ...)

- entre 200 000 et 100 000, les Homo sapiens archaïques récents (Florisbad, Laetoli H18, Omo 2, Eliye Springs au Kenya, Jebel Irhoud au Maroc)

- à partir de 130 000, les Homo sapiens anatomiquement modernes, ou Homo sapiens sapiens commencent à apparaître (Omo 1, Mumba 21, Klasies river, Border Cave, Omo 3, Dire Dawa, Kanjera, Oldoway, ...).

 

Avant les datations physico-chimiques, les chercheurs européens n'imaginaient pas que les Homo sapiens africains aient pu être plus anciens que les Homo sapiens européens et encore moins qu'ils puissent être nés en Afrique intertropicale - (ce que la génétique a confirmé).

En Europe, G. Bräuer distingue (Ankh 1994) :

 

p de 400 000 à 150 000 ans, des Hominidés 'anté-Néandertaliens' qui sont des Homo erectus évolués.p de 150 000 à 70000, des 'Néandertaliens précoces', intermédiaires entre Homo erectus évolué et Homo neandertalensis.p de 70000 à 35000/30000, les Néandertaliens tardifs ou typiques, dont le front est resté fuyant et dont les derniers ont vu arriver les Hommes modernes venant du sud-est, avant de disparaître.La classification de B. Vandermeersch est un peu différente : p de 400 000 à 250 000 ans, apparition sur les fossiles de certains caractères néandertaliens ; p de 250 000 à 100 000 ans (glaciation de Riss), organisation des caractères de l'architecture néandertalienne ; p de 100 000 à 35000, stabilisation de cette architecture ; (History of Humanity, Unesco, vol 1, chap. 9).

 

 

4. Paléolithique moyen et peuplement

 

Dans ' History of Humanity ' (Unesco, volume 1, 1994 chap. 11, p.130-131) F. Wendorf, A . Close et R. Schild indiquent les dates suivantes pour l'Acheuléen final à la charnière du paléolithique moyen :

 

- 260 000 ans à Isimila en Tanzanie (Howel et al., 1972) par la méthode de l'Uranium-Thorium.

- 230 000 ans au lac Baringo (nord-Kenya) par la méthode du potassium-argon (Bishop, 1972, table 1, Leakey et al., 1969)

- 240 000 ans à Malawa Gorge au Kenya par la méthode du potassium-argon (Evernden et Curtis, 1965, p. 358)

- 200 000 ans est l'âge estimé pour l'Afrique du Sud

- 235 000 ans (± 5000) à Gademotta en Ethiopie par le potassium-argon, mais 181 000 ans (± 6000) à Kulkuletti, localité voisine, et même 149 000 ans (±12000), écarts probablement dés à des différences de niveaux.

En Egypte / Sahara oriental, 200 000 à 100 000 (Close, Wendorf, Schild in 'Sahara', 3, 1990, p. 121).

 

Ces auteurs constatent que le Paléolithique moyen débute au Maghreb 100 000 ou 150 000 ans plus tard qu'en Afrique orientale.

 

En Asie occidentale, le Paléolithique moyen s'installe vers 150 000 /125 000 ans (âge obtenu par la méthode ESR = résonance de spin électronique) probablement apporté par 'l'homme de Galilée’  ou de Zuttiyeh (Homo sapiens archaïque venu d'Afrique orientale vers 150 000 ans : niveaux yabroudiens, cf. G. Grimaud-Hervé et al., 1998, p. 159)[3].

Il faut avoir présent à l'esprit le fait que l'homme anatomiquement plus évolué naît dans un contexte lithique donné. Ainsi les premiers Homo erectus ont-ils continué à retoucher les galets avant d'inventer les bifaces et les hachereaux, vers 1,4 million d'années. De même, Omo 1, Homme moderne, est-il associé à du paléolithique moyen vers 130 000 ans. Ce sont ses descendants qui inventeront, quelque 70000 ans plus tard, le Paléolithique supérieur. En Afrique orientale, il semble que le Paléolithique moyen ait été élaboré par les derniers 'Homo sapiens archaïques anciens' (selon la classification de G. Bräuer).

 

Toujours dans la région Isra‘l-Palestine les Hommes de Qafzeh sont, eux, des Hommes modernes datés de 92000 ans par la méthode de la thermoluminescence.

 

Dans cette région, le paléolithique moyen dure jusque vers 43000/40000 ans - industrie de transition (cf. A.J. Jelinek et O. Bar Yosef, History of Humanity, Unesco, vol 1, 1994, chap. 14). Les paléontologues ont baptisé 'Proto-Cro-Magnon'   les Hommes de Qafzeh parce que ces derniers ont finalement donné naissance, après émigration, aux 'Hommes de Cro-Magnon', célèbres fossiles d'Hommes modernes récents de la France du Sud-Ouest. Mais les Hommes de Qafzeh eux-mêmes sont très probablement venus lors d'une nouvelle migration, postérieure à celle de l'Homme de Zuttiyeh, depuis l'Afrique orientale, par la vallée du Nil. 'L'Homme de Singa', au sud de Khartoum, peut en représenter un jalon.

 

Le laps de temps séparant les Hommes de Qafzeh de l'Homme de Zuttiyeh semble trop court pour que le dernier puisse descendre des premiers ? Et y a-t-il des fossiles intermédiaires sur place ?

 

Cependant, toujours en Asie occidentale, sont juxtaposés, durant la même période, des crânes de Néandertaliens : à Tabun, l'un d'eux a été daté de 120 000 ans (C.S. Larsen, 1991)_ ; à Kebara et à Amud, ils sont datés de 60000 ans. Au Kurdistan Irakien et en Ouzbékistan (limite orientale de la population néandertalienne) ils ont été découverts dans des niveaux compris entre 70000 et 45000 ans. Les Hommes de Skhul qui ont 100 000 ans et dont la morphologie est composite, pourraient résulter du contact entre Homo sapiens archaïques de Zuttiyeh et Néandertaliens de Tabun (?).

 

En l'absence de vestiges pré-néandertaliens dans le Proche-Orient, O.Bar-Yosef et B. Vandermeersch présument que ce sont des Néandertaliens d'Europe qui ont migré sur plusieurs générations vers l'Asie occidentale, lors de froids extrêmes (cf O.Bar-Yosef et B. Vandermeersch, in 'Les origines de l'humanité', dossier Pour la Science, janvier 1999, p.107 - 108).

 

La question se pose alors de savoir si, quelque 100 000 ans après les Homo sapiens archaïques d'Afrique, les 'Néandertaliens précoces' d'Europe ont inventé de façon tout à fait autonome, le débitage 'Levallois’ et la pointe 'moustérienne', c'est-à-dire le même Paléolithique Moyen qu'en Afrique orientale ?

Cependant, une possibilité de passage a pu exister entre l'Afrique du Nord et l'Europe au détroit de Gibraltar à certains moments de la préhistoire. Durant les périodes glaciaires, le fond de la Manche était assez largement asséché, les rivages pouvaient se déplacer de 5 à 10 km, voire davantage, selon la pente, d'une part, et l'ampleur de la régression marine, d'autre part. Or, le détroit de Gibraltar a 14 km de large de nos jours.

 

Dans son chapitre sur la préhistoire de l'Afrique du Nord (Histoire générale de l'Afrique, Unesco, vol. I, p. 607) L. Balout écrit à propos de l'Acheuléen maghrébin : ' La principale originalité est la place tenue par les hachereaux sur éclats. Sa présence en Espagne (Rio Manzanares, près de Madrid) et son franchissement des Pyrénées ont conduit H. Alimen à reconsidérer le problème du franchissement du détroit de Gibraltar. Elle conclut à l'existence d'un isthme favorisé par de hauts fonds, rendu praticable au cours des régressions rissiennes (' Les isthmes hispano-marocain et sicilo-tunisien aux temps acheuléens '. Anthropologie, 1975, 79, 3 : p. 399-430).

 

L. Balout constate ensuite que le débitage Levallois apparaît au Maghreb dès l'Acheuléen ancien et que la technique de 'l'éclat-nucléus' est présente (technique de Kombema en Afrique méridionale) ; cette technique permet d'obtenir un pourtour tranchant parfait. Il se demande enfin si c'est l'Afrique qui a transmis à l'Europe des méthodes aussi élaborées ? Les sites moustériens en revanche sont plus rares. L. Balout observe que ' le moustérien maghrébin n'a pu venir que de l'est '.

 

Puis, du Nil à l'Atlantique, dans le Sahara et en Afrique du Nord, à partir d'environ 50000 / 40000 ans, les pointes moustériennes, déjà plus petites, sont systématiquement pédonculées, constituant l'industrie 'atérienne' du site éponyme, Bir el Ater, dans le Sud Constantinois, en Algérie.

 

En Afrique occidentale et centrale, les industries sont rarement 'en place' et par conséquent difficiles à dater. En Afrique forestière, les classifications lithiques sont différentes ('Sangoen', 'Lupembienî) ; leur ancienneté et leur durée sont mal connues.

 

5. Fin Paléolithique moyen / Paléolithique supérieur

 

Ce qui caractérise l'industrie du paléolithique supérieur c'est le microlithisme géométrique. Les outils lithiques et leurs formes sont de plus en plus diversifiés. Objets de parure et art apparaissent.

 

A - Les dates

 

En Afrique orientale, la charnière se situe vers 50000 ans à Ndutu et dans la gorge d'Olduvaï, d'après plusieurs auteurs ; mais dans la grotte du Porc-Epic, près de Diré Dawa, en Ethiopie, la date de 61000 ans BP a été obtenue par la méthode de l'hydratation de l'obsidienne (F. Wendorf et al., History of Humanity, vol. 1 chap. 11 p. 131, d'après J.D.Clark et al, 1984, 'A Middle stone Age occupation site at Porc Epic cave, Diré Dawa, East central Ethiopia', African Archéol. Rev ; Cambridge, vol. 2 p. 37/71). En Afrique australe, environ 38000 BP à Border Cave (Butzer et al. 1978), 30000 BP au Cap. Au Maghreb, 14000 BP (Oranien ou 'Ibéro-maurusien’) [4]. En Asie occidentale, 43000 / 40000 BP. En Europe 38000/ 33000 BP. (History of Humanity, chap. 20 à 24 et autres sources).

 

En Afrique orientale, l'évolution est remarquablement continue dans le temps et dans l'espace (passage insensible d'une industrie à une autre). Les industries locales sont certes spécifiques et variées mais, grosso modo, l'observation montre que l'Afrique orientale d'abord, puis l'Afrique australe sont passées à l'industrie dénommée 'Stillbayen’ (décrite au site de Stillbay en Afrique du Sud). Les 'feuilles de laurier' sont travaillées sur deux faces, les éclats finement retouchés par différents plans de frappe, dominance de la forme triangulaire ... cette industrie est encore du 'Middle stone âge’ mais évolué et final. Apparaît ensuite au Kenya l'industrie  'Capsienne[5] (encore plus raffinée) et qui a été rebaptisée 'Eburran’ du nom de la montagne volcanique où tant de sites sont localisés, près des lacs Naïvasha et Nakura ; elle aurait débuté vers 20000 BP (P. Robertshaw, Journal of African History., 1984 p. 380).

 

Des variantes de cette industrie apparaissent un peu plus tard, en Egypte, en Cyrénaïque puis au Maghreb oriental, vers 9000 BP. En Afrique occidentale le Paléolithique supérieur est peu daté. Ë défaut de mieux, l'âge de l'homme d'Iwo Eleru (Nigeria) lui est attribué, soit environ 11000 BP. Dans la zone du fleuve Congo, le Tshitolien apparaît vers 14000/ 12000 BP dérivé du Lupembien (nombreux tranchets) adapté à la coupe du bois.

 

B - La grotte du Porc-Epic

 

Mais il importe de s'arrêter sur le cas de la grotte du Porc-Epic et de sa région, en Ethiopie.

 

La grotte du Porc-Epic est située à 2 km au sud de Dire Dawa. Y fut découvertes en toutes sortes de roches (notamment silex, obsidienne, parfois même hématite) une industrie de taille moyenne et petite nettement apparentée au Stillbayen, et une mandibule humaine très robuste, mais 'anatomiquement moderne' selon la classification de G. Bräuer, dans le niveau le plus ancien, daté de 77500 ans.

 

Les parois de cette caverne portent des peintures ' recouvertes de concrétions et considérées comme antérieures à la couche archéologique la moins ancienne ' (H. Alimen, 1955, p.443). Or deux dates ont été obtenues à partir de pièces en obsidienne : 61000 et 77500 ans BP. Dans la moitié supérieure du remplissage de la grotte, des microlithes géométriques sont présents. Ë l'outillage de pierre se mêlent des fragments d'oeuf d'autruche et des fragments de poteries que les découvreurs ne croient pas être contemporains de l'industrie des mêmes couches.

 

La question qui se pose est : de quand datent ces peintures ? L'âge habituellement attribué à la naissance de l'art est 35000 à 40000 ans environ. Les sujets peints ici sont l'homme (20 figurations très schématiques) l'éléphant, le lion, les antilopes, les bovidés, un bubale, un cerf, une autruche. Les peintures sont rouges, ocre jaune et brun-rouge. Richard Leakey estime à 35000 ans des figurations rupestres de Tanzanie qui sont aussi très schématiques (cf. La naissance de l'homme, Paris, éd. du Fanal, 1981, pp. 163-164). Les techniques les plus récentes permettent de dater les peintures elles-mêmes ; nous avons donc les moyens, maintenant, de savoir si les peintures de la grotte du Porc-Epic sont plus anciennes ou moins anciennes que 35000 ans, ou si elles sont contemporaines des fragments de poterie. Ë noter également l'existence de perles faites en coquilles d'Ïufs d'autruche datées de plus de 40000 ans, découvertes sur le site d'Enkapune Ya Muto (Lac Naivasha, Kenya ; cf. R. G. Klein, 'L'art est-il né d'une mutation génétique ? La Recherche hors série n°4, 'La Naissance de l'Art', novembre 2000, pp. 18-21).

 

Indépendamment de cette question très intéressante, la grotte du Porc-Epic représente une pièce capitale du puzzle préhistorique : c'est actuellement, à ma connaissance, le seul endroit où l'on ait une date aussi ancienne pour la charnière Paléolithique moyen/Paléolithique supérieur. Déjà, avec la date de 50000 ans, il était clair que l'invention du Paléolithique Supérieur avait eu lieu en Afrique orientale, ce qui est rarement dit. Avec les dates obtenues à la grotte du Porc-Epic, ce n'est plus 7000 ou 8000 ans avant l'Asie occidentale que l'Afrique orientale a inauguré le Paléolithique supérieur, mais une vingtaine de milliers d'années.

 

C - Des Africains en Europe

 

En Asie occidentale, le passage du Paléolithique moyen au Paléolithique supérieur se fait aussi progressivement. En Isra‘l une séquence transitionnelle est repérée entre 43000 et 40000 BP. Ofer Bar-Yosef en déduit que l'évolution s'est faite sur place, sans influence extérieure, (History of Humanity, Unesco, vol. 1, chap. 24, p. 241 et 59). Le fait que l'Egypte connaisse elle aussi une évolution continue et particulière, même un peu plus tardive, semble-t-il, pourrait confirmer cette autonomie.

Il en va différemment en Europe où, à l'exception de quelques endroits localisés dont nous dirons un mot plus loin, le Paléolithique supérieur repose directement sur le Paléolithique moyen, même si, dans les régions septentrionales de l'Europe, durant l'interstade 'les cottés‘ (36000 à 34000 BP), quelques modifications dans le faciès lithique sont décelées : les Néandertaliens ont adapté leur industrie à la vie dans des steppes parcourues par d'importants troupeaux d'herbivores (cf. Marcel Otte, History of Humanity, vol. 1 chap. 21, p. 210).

 

La première formation ou assise du Paléolithique Supérieur en Europe a reçu le nom d'Aurignacien, ou culture aurignacienne, d'après le nom du lieu où elle fut d'abord découverte : Aurignac en Haute-Garonne. C'est dans les Balkans qu'elle est la plus ancienne : 40000 ans BP (Bulgarie, Hongrie). En France, elle débute vers 35000 B.P (dates C14). Les spécialistes s'accordent pour penser qu'elle a été apportée en Europe par des migrants venus d'Asie occidentale (descendants des Hommes de Qafzeh). Eux-mêmes très probablement venus d'Afrique orientale).

 

Cependant, de la Bourgogne au nord-ouest de l'Espagne, et en Italie, une industrie intermédiaire entre le Paléolithique moyen et le Paléolithique supérieur existe sur certains sites. En France elle est appelée 'Chatelperronien’, du nom de la localité où elle fut découverte : Chatelperron (dans le département de l'Allier). Les datations indiquent que des Néandertaliens tardifs vivaient encore en Europe occidentale il n'y a que 35000 ans et qu'ils étaient les auteurs de cette industrie. Deux interprétations possibles ont été formulées :

a/. perfectionnement ultime et autonome de l'industrie néandertalienne.

 

b/. évolution par contact avec les Aurignaciens, d'une manière ou d'une autre : imitation des outils aurignaciens, avec une technique différente, métissage culturel.

 

L'interprétation b/ paraît plus plausible que l'interprétation a/ : cf. N. Mercier et H. Valladas et al., in Nature, vol. 351, 27 juin 1999, pp. 737-738 ; J. J. Hublin 'Derniers Néandertaliens et É' in Pour la Science, dossier hors série sur Les Origines de l'Humanité, janv. 1999 p. 110-118 ; Anne Taverne, in La Recherche, n°334, septembre 2000, pp. 48-51.

 

Notons au passage que plus de 20 ans avant que la communauté scientifique internationale ne commence à l'admettre [6], Cheikh Anta Diop écrivait que l'Homo sapiens sapiens était né en Afrique [7]. Cette affirmation était le résultat de l'observation et de l'interprétation objective des faits. En effet, les plus anciens Hommes modernes qui aient été trouvés en Europe occidentale sont les premiers Aurignaciens, ceux de la couche inférieure de l'industrie aurignacienne, l'‘Homme de Combe Capelle' et les deux squelettes entiers du fond de la Grotte des Enfants au site italien de Grimaldi /Baoussé-Roussé, proche de Menton. Ils présentaient une parenté évidente avec les squelettes de l'Afrique intertropicale (prognathisme, nez large, verticalité des ilions et courbure de la crête iliaque chez la femme, etc.) ; de nombreux anthropologues européens l'avaient constaté. Et, d'après les découvertes paléontologiques et paléolithiques déjà effectuées en Afrique (cf les ouvrages et articles de C. Arambourg et H. Alimen entre 1952 et 1961), C.A. Diop avait constaté que seul le continent africain recelait les vestiges de tous les stades évolutifs, tant après qu'avant les Australopithèques ; vu la morphologie des premiers Aurignaciens d'Europe, il a logiquement pensé qu'ils ne pouvaient venir que d'Afrique, selon un itinéraire à préciser et resté hypothétique avant la découverte de l'Homme de Qafzeh et la multiplication des datations.

 

Dans les années cinquante - début des années soixante, en l'absence de datation absolue des industries et des hommes fossiles africains d'aspect moderne, les chercheurs occidentaux restaient persuadés que les Homo sapiens sapiens n'avaient pénétré en Afrique que très tardivement à partir de l'Asie . Ils s'évertuaient à trouver en Europe même le maillon manquant entre les Homo erectus évolués Européens et les Hommes de Cro-magnon proprement dits (c'est-à-dire orthognathes, à nez étroit, ancêtres directs des Européens) et ce - soit indépendamment des Néandertaliens - soit en passant par eux. En effet, les Aurignaciens prognathes et à nez large, contemporains de la couche de base du faciès aurignacien étaient perçus comme une population intrusive, insérée dans le sud de l'Europe comme un corps étranger entre les Néandertaliens et les Cro-Magnons.

Puis, dans les années 60/70, ces mêmes Aurignaciens furent progressivement ramenés au rang de simple sous-groupe, inclus dans une population dénommée globalement 'Cro-Magnons [8] 'à larges variations' englobant tous les types, (y compris des crânes complexes d'Europe centrale pouvant peut-être provenir d'un métissage avec les Néandertaliens), et cela, sans plus tenir compte de la chronologie exacte et précise. (cf. E. Genet-Varcin, Les Hommes fossiles, Paris, Boubée, 1979, pp. 179 et sq ; et Origine et évolution de l'Homme, ouvrage collectif, Laboratoire de Préhistoire du Musée de l'Homme, Paris, MNHN, 1982, p. 211 et sq).

 

Il serait trop long de développer ici une analyse critique de ce glissement opéré à la suite des travaux de P. Leroux et de F. Mantelin. Observons seulement que :

a - Les deux squelettes aurignaciens anciens de la Grotte des Enfants à Grimaldi ont été trouvés au fond d'une fosse creusée dans le Moustérien tandis que les restes de l'Homme de Cro-Magnon étaient enterrés dans l'Aurignacien - Ils ne peuvent donc être du même âge alors qu'ils sont présentés comme tels dans les publications récentes (notamment celle du Musée de l'Homme, 1982). L'Homme de Cro-Magnon ne peut être que moins ancien : soit du Gravettien, environ 27000 BP, soit du solutréen inférieur, 23000 BP.

 

b - L'Homme de Combe Capelle date de 35000 ans (D. Grimaud-Hervé et al., op. cit., 1998, p. 79), son ancienneté a été confirmée, entre autres, par F. Bordes et J.J. Bouvier (cf. E. Genet-Varcin, 1979, p. 180). Les Aurignaciens d'Espagne, sont maintenant datés d'environ 38500 ans (Nature, 27 juin 1991, p. 737). Selon l'hypothèse formulée par C.A. Diop, les descendants des Aurignaciens ont dé perdre en Europe leur coloration foncée, surtout durant le fort maximum glaciaire de 23000 à 19000 BP. Un confinement au moins partiel dans les grottes a dé y contribuer. En 1981, Richard Leakey a de même supposé que les Homo erectus passés d'Afrique en Europe avaient dé perdre leur pigmentation (La naissance de l'homme, éd. du Fanal, p. 117) [9].

 

c - La première reconstitution de la mâchoire de l'adolescent aurignacien de Grimaldi avait, certes, exagéré son prognathisme, mais ce prognathisme existe néanmoins et il y a 18 signes qui peuvent différencier le squelette (tête et corps) des ressortissants de la zone intertropicale africaine de celui des individus récents (à partir de 25000/20000 BC) de la zone tempérée froide européenne, encore qu'en Afrique intertropicale même, une grande variabilité existe. Sans être majoritaires, quantités d'individus y ont le nez moins large et peu de prognathisme, et cela, depuis la préhistoire, ainsi que le montre notamment la description par H. Alimen de l'un des Hommes d'Oldoway. (La Préhistoire de l'Afrique, 1955, pp. 397-398). La plupart de ces signes distinctifs ont été répertoriés dans un texte de M. Chabeuf, sous le titre 'À propos de l'Homme de Grimaldi - Mélanodermes, Nègres et Négroïdes’. Ce texte permet aussi de remettre en cause, comme je l'avais fait dans ma thèse [10], la classification des 'Hommes de Mechta’ qui vivaient au Maghreb entre 14000 et 10000 BP. Le récent ouvrage de B. Sall, Racines éthiopiennes de l'Egypte ancienne (Khepera/L'Harmattan, Paris, 1999) apporte des éléments qui confirment ces observations (pp. 163-180).

d - Le cas de l'Afrique du Nord

Ajoutons que l'ostéologie des premiers Aurignaciens d'Europe et d'Asie occidentale, celle des 'Hommes de Mechta’ et celle des 'Capsiens’ interdisent d'appeler 'Blancs' les 'proto- méditerranéens' comme le fait M. Cornevin dans son ouvrage Secrets du continent noir révélés par l'archéologie, p. 52.

 

Comme les Homo erectus l'avaient fait à plusieurs reprises lors des périodes humides, les habitants du Soudan oriental et central ont occupé le Sahara jusqu'à la côte méditerranéenne quand les conditions naturelles les y incitaient. Les disparités climatiques régionales observées et leurs oscillations ont contribué à ce processus.

Déjà H. Alimen avait observé l'unité des styles dans les figurations pariétales en Afrique de l'est, du nord et du sud. Elle notait qu'en Afrique orientale l'art est ancien selon L. Leakey (Paléolithique supérieur) et devient vite naturaliste. Sur les rives ouest des lacs Victoria et Eyasi et en Tanzanie centrale, l'ancienneté des peintures est attestée (environ 35000 ans) : le Stillbayen est présent dans les districts riches en peintures et les couches archéologiques contiennent, à plus de 5 m de profondeur, des matières colorantes et des palettes de couleurs alors qu'en Afrique du Nord ' les plus anciennes semblent incluses dans les couches à industrie capsienne ' qui est postérieure à 10000 BP. En Egypte et en Libye, elles paraissent d'un âge intermédiaire notamment au Djebel Ouennat. Comme B. Sall l'a rappelé dans le précédent numéro de Ankh, des affinités ont été constatées entre l'industrie des hommes de Mechta et le Qadien en Nubie [11]. Les Noirs ne se sont certainement pas arrêtés dans les massifs du Sahara central où des 'Blancs' (imaginaires) seraient venus les rejoindre ' dès 8000 BC ' ! Dans l'Histoire générale de l'Afrique (Unesco, vol. 2, chap. 17, 'Les Protoberbères') J. Desanges observe que, dans l'iconographie égyptienne de l'ancien Empire, les Libyens sont représentés avec le type africain ('grande taille, lèvres épaisses'). C'est seulement vers 2300 BC qu'apparaît ' un groupe ethnique nouveau, à la peau plus claire et aux yeux bleus avec un pourcentage non négligeable de blonds ' (p. 461). Auparavant, il n'y avait dans toute l'Afrique septentrionale, y compris l'Egypte, que de minimes infiltrations de Blancs et de Sémites. Le métissage date de l'invasion des Hyksos (à partir de 1730 av. J.C.).

 

 

6. Coup d'oeil sur l'Asie méridionale et orientale

Les paléontologues se sont demandé pendant longtemps si l'Asie, plutôt que l'Afrique, n'était pas le berceau de l'humanité, du moins au stade Homo erectus (Pithécanthrope de Java) ou au stade Homo sapiens sapiens.

 

Là encore les datations ont joué le rôle essentiel pour tirer au clair cette question. G. Bräuer a déjà montré dans cette revue même (n°3, 1994, p. 139) que de telles hypothèses ne peuvent pas être retenues dans l'état actuel des découvertes.

 

Au stade Homo erectus archaïque, une mandibule, un éclat et un percuteur ont été découverts dans la grotte de Longgupo, en Chine du Sud, daté de 1,8 million d'années, ce qui prouve la migration précoce des plus anciens Homo erectus africains ; mais c'est au niveau de 1 million d'années à Java et 800 000 ans en Chine qu'apparaissent des séries d'Homo erectus s'échelonnant dans le temps. Cependant, dans les deux cas, apparaissent des lacunes paléontologiques et chronologiques entre les séries de vestiges, ce qui signifie que des migrations se sont produites de l'Afrique vers l'Asie à des stades différents d'évolution, particulièrement à ceux des Homo sapiens archaïques et des Homo sapiens sapiens ou Hommes modernes lesquels arrivent tard en Chine (vers 20000 BC).

 

En Inde, les conditions géologiques de fouilles ne sont guère favorables. En dehors du site septentrional de Kiwat, vieux de 1,6 million d'années, ont été dénombrés treize sites principaux dont la moitié sont groupés dans la région de la rivière Narmada (région nord-ouest). Bifaces et hacheraux acheuléens sont présents. Un crâne incomplet, intermédiaire entre Homo erectus et Homo sapiens archaïque a été trouvé. Il a beaucoup de ressemblance avec celui du gisement de Dali en Chine centrale.

 

Sur la côte Est du Japon, à Takamori, des outils en pierre ont été découverts sous une couche volcanique datée d'environ 300 000 ans, (D. Grimaud-Hervé et al., 1998, p. 56). C'est la plus ancienne attestation de présence humaine dans ce pays et cela laisse supposer qu'un pont a dé exister lors d'un fort maximum glaciaire (régression marine). Tomokazu Endo (1994) a attribué 350 000 ans d’âge à cette industrie lithique (époque de la glaciation de Mindel en Europe).

 

Les divers spécialistes s'interrogent sur quelques hybridations possibles entre Aurignaciens et Néandertaliens, en Europe et aussi en Indonésie entre les nouveaux arrivants (Hommes modernes) et les occupants précédents, ce qui permettrait d'expliquer, selon eux, la morphologie de certains crânes. Mais dans l'état actuel des découvertes, un hiatus chronologique de 50000 ans les sépare comme l'a fait remarquer G. Bräuer.

 

Notons de plus avec G. Bräuer que certains caractères que l'on croyait spécifiquement asiatiques, existent en fait, dans environ 20% des populations de l'Afrique noire, ce qui conduit à penser que des émigrants, parmi les ancêtres de ces populations, se sont multipliés en Asie orientale. Une équipe de généticiens chinois et texans a récemment confirmé l'origine africaine des Chinois (cf. Proceedings of the National Academy of Sciences, Etats-Unis, vol, 95, septembre 1998).

 

L' 'Homme moderne’ est arrivé au sud de la Malaisie il y a environ 40000 ans et en Australie vers 30000 BP ou peut-être plus tôt. Certains spécialistes avancent 50000 ans pour une première vague d'immigrants.

 

Les Amériques ont été peuplées tardivement. La date des premiers arrivants reste discutée. Ils provenaient vraisemblablement de l'Asie centrale et orientale par le détroit de Béring, pris dans les glaces lors de la dernière glaciation. Ils ont occupé successivement toutes les régions du nord et du sud le long du Pacifique et de la cordillère des Andes jusqu'à la Patagonie. Mais le site complètement isolé dans la corne atlantique du Brésil (Toca do Boqueira / Pedra Furada) pourrait s'expliquer par une traversée involontaire réalisée par hasard, sur une barque, de quelques Africains entraînés (comme l'a été P.A. Cabral en 1500), par des courants marins (comme aussi probablement quelques rescapés de l'expédition du frère de l'empereur du Mali, vers 1300, puisque, selon diverses sources, les Espagnols trouvèrent en Amérique 'des populations noires arrivées en très petit nombre'[12]). L'eau de pluie leur aurait permis de subsister. C'est en tout cas plus plausible que de les imaginer venant du pacifique, en traversant les Andes et l'Amazonie[13].

 

7. Néolithique

Le passage du Paléolithique supérieur au Néolithique se fait par l'Epipaléolithique ou par le Mésolithique.

 

La définition du Néolithique a donné lieu à des controverses, et la question a été posée de savoir si l'on pouvait parler de 'révolution néolithique'. Si le Néolithique se réduit à la capacité d'accumuler des provisions grâce à la production agricole, force est de constater que l'agriculture n'apparaît pas forcément en même temps ou au même endroit que d'autres éléments habituellement considérés comme propres au Néolithique : céramique, polissage de la pierre, domestication des animaux, vannerie, tissage, agglomération notable des habitations ...

 

Il a été admis internationalement de substituer le concept anglo-saxon de 'food production' à celui de Néolithique, ce qui paraît valable pour la Haute-Egypte et la Basse-Nubie mais pas pour toute l'Afrique où élevage et agriculture sont des activités souvent séparées, où la céramique est très précoce, où les métaux eux-mêmes peuvent apparaître en même temps que l'agriculture, où l'abondance de la pêche, de fruits, d'animaux comestibles très différenciés, permettait aux habitants d'avoir une vie déjà de type néolithique dans des régions où ils n'avaient pas encore un besoin pressant d'une production agricole proprement dite : sédentarisation, accroissement des densités de populations, ateliers de fabrication d'industrie lithique, meulesÉ Je proposerais donc de donner au Néolithique une certaine épaisseur et de convenir qu'il commence quand deux de ces éléments apparaissent.

 

Répertorions les faits suivants :

 

- Début d'agriculture en Haute-Egypte vers 10000 BP (A. Close, in Journal of African History, 1984 ; vol. 25, p.4) et environ 1000 ans plus tard dans le Sahara central.

 

- Vers 10000 - 9000 BP, en Basse-Nubie (sites de Nabta Playa et de Kir Kiseiba, à l'ouest d'Abou Simbel), domestication des bovins (F. Wendorf, A. Close, A. Gautier et R. Schild, 'Les débuts du pastoralisme en Egypte' in 'La Recherche' vol. 21 n°220 avril 1990 pp. 436-446). Les auteurs précisent que ce processus de domestication des bovins est 'légèrement plus ancien' qu'en Asie.

 

- Vers 10000 BP les outils polis commencent à apparaître dans le Nachikoufien, en Zambie septentrionale (F. Van Noten, in 'Méthodologie et Préhistoire', Histoire générale de l'Afrique, vol 1, 1980, Unesco /jeune d'Afrique, Paris, p.676).

 

- Vers 9500 BP, la céramique est attestée dans le massif de l'Aïr (cf. La Recherche n°148 oct.1983 p.1248 : travaux de J.P. Roset et A W Fairhall). Dans la grotte de Gamble (Elmenteira, à l'est du lac Victoria Nyanza) une céramique a été trouvée dans le niveau inférieur daté de 8000 BP environ (JEG Sutton, 'Préhistoire de l'Afrique orientale' in Histoire générale de l'Afrique, Unesco, vol.1 chap.19, p.522, 1980) et plus au sud, des 4e et 3e millénaires.

 

- Vers 9000 BP une ville commençait à se développer dans la région de Nabta (à l'ouest d'Abou Simbel). Son histoire démontre que le désert au sud-ouest de l'Egypte fut le berceau de la civilisation égyptienne (BIA, n°5, Janvier/juin 1992 p. 63 publication de l'IFAO, le Caire).

 

Bien entendu il s'agit là des dates les plus anciennes dans chaque domaine, mais elles prouvent que contrairement à une idée qui reste répandue, les Africains (tous foncés à l'époque, plus ou moins prognathes et le nez plus ou moins large) n'étaient aucunement en retard sur l'Asie et l'Europe aux débuts du Néolithique. Pour le passage à la production agricole, J.R. Harlan a relevé des dates plus anciennes en Asie occidentale, en Grèce et dans la péninsule Indienne : 11000 et 12000 BP. (History of Humanity, UNESCO, vol.1, chap.37). Mais la Haute-Egypte donne des dates aussi anciennes et même plus anciennes pour ce qu'on pourrait appeler une 'pré-agriculture' en raison, notamment, de la présence de faucilles en pierre (F. WendorfÉ). En dehors de la Haute-Egypte et de certains sites du Sahara central, la production agricole en Afrique débute plus tard : 8000-7000 BP au Soudan (A. Close, J.A.H. 1984 p.7), 5800 BP en Afrique occidentale, à la lisière forêt/savane, notamment à Iwo-Eleru, au Nigeria (Waï Andah B. 'l'Afrique de l'Ouest avant le 7e siècle", in Histoire générale de l'Afrique, vol.2 chap.24, Unesco, 1980).

 

- A Dufuna (Bassin nigérian du Tchad) une pirogue monoxyle a été récemment découverte et datée d'environ 6000 ans avant J.C. (P. Breunig, K. Neumann, W. Van Neer, 'New Research on the Holocene Settlement and Environnement of the Chad Basin in Nigeria', in African Archaeological Review, vol. 13, n°2, 1996, p. 111 et sq.).

 

- La domestication des bovins date de 6000 BP à Arlit dans le massif de l'Aïr d'après H. Lhote (R. Vernet, Vallées du Niger, Paris 1993, p.70) et vers le milieu du 3e millénaire à Karkarichinkat (Mali), Ntereso et Kintampo (Ghana), ainsi que sur les hauts plateaux de l'Afrique orientale (J.E.G. Sutton, Histoire générale de l'Afrique, Unesco, vol.1 p.522).

- Diverses autres régions affirment, dans les 2 derniers millénaires avant J.C., leur développement économique : dans le Nachikoufien (Zambie) la poterie apparaît vers 4000 BP. En Centrafrique, l'archéologue P. Vidal estime à 3100 BP le moment où apparaît 'une population sédentarisée et probablement agricole ' (1100 BC) ; (cf. P. Vidal 'Au-delà des mégalithes : archéologie Centrafricaine et Histoire de l'Afrique centrale', in J.M.Essomba éd. L'Archéologie du Cameroun, Actes du colloque international de Yaoundé, Paris, Karthala 1992, p.147-148) ; 3100 BP, c'est aussi la date à laquelle, en Mauritanie, la proportion de millet perlé fait un bond de 5 à 60% dans les graines de graminées locales (T. Shaw, Histoire générale de l'Afrique, Unesco, vol.1 p.663) ; c'est encore à cette même date que de nombreux villages ont été repérés en Mauritanie orientale.

 

- C'est au cours du premier millénaire avant J.C., c'est-à-dire entre 3000 et 2000 BP, que s'épanouit autour des rives méridionales du lac Tchad, progressivement rétréci, ' une économie mixte associant l'agriculture, l'élevage et la pêche " (D. Lange et BW. Barkindo, Histoire générale de l'Afrique, vol.3, chap. 15).

 

Il n'est pas inutile de rappeler ici que la naissance de Rome en tant que hameau se situe vers 753 av. JC. Ce serait aussi à cette époque que les San d'Afrique du Sud auraient commencé à pratiquer l'élevage.

 

8. L'Histoire

 

a) Histoire de l'Egypte ancienne et de la Nubie

 

Toute une série de datations récentes ruinent les théories échafaudées pour faire à tout prix venir du Proche-Orient les éléments civilisateurs de l'ancienne Egypte. Ces datations concernent les points suivants :

 

- L'identification d'un site d'observation astronomique en Haute-Egypte. Un site mégalithique très ancien, antérieur à celui de Stonehenge, en Angleterre, environ 4800 ans avant J.-C., a également été mis au jour dans cette région. La disposition des pierres levées est considérée comme la preuve de l'existence d'une astronomie dès cette époque en Haute-Egypte [14].

 

- L'apparition de l'écriture hiéroglyphique. Les récents résultats des fouilles menées par l'égyptologue allemand Günter Dreyer [15], à Abydos, montrent que l'écriture égyptienne remonte au-delà de 3250 ans avant J.-C., vers 3400 (G. Dreyer, 'Beginnings of Writing in Ancient Egypt', presentation at New York)[16]. Il s'agit d'une confirmation de l'antériorité de l'écriture hiéroglyphique par rapport aux autres systèmes d'écritures connus (Cf. article de Théophile Obenga dans ce même numéro de ANKH).

 

Elle est née en Haute-Egypte dans un contexte 'prédynastique' qui couvre d'ailleurs à la fois l'Egypte et la Nubie, et qui s'affine rapidement entre 4600 ans et 3100 av. JC.. Les phases successives du 'Prédynastique' ont été datées[17].

 

- La période d'émergence du delta du Nil et l'antériorité de la Haute-Egypte par rapport à la Basse-Egypte. En effet dans le chapitre 5, "Légendes, histoires, niveaux de la mer", de son livre L'Homme et le Climat [18] Jacques Labeyrie, ancien directeur du Centre des faibles radioactivités du CEA-CNRS, à Gif-sur-Yvette, écrit :

 

"Bien que ces documents écrits soient peu nombreux au début, limités à quelques empreintes de sceaux royaux, ils nous éclairent cependant sur les premiers temps de l'histoire de l'Egypte, un peu avant que ne débute la première dynastie. C'était alors l'époque nagadienne. Des rois se succédaient depuis longtemps déjà dans l'Egypte du Sud, que l'on appelle aussi haute Egypte, c'est-à-dire tout au long de la vallée du Nil située plus au sud que la position actuelle du Caire. D'autres rois existaient aussi dans l'Egypte du Nord, c'est-à-dire la région constituée par le delta du Nil, mais ces rois du delta ne s'étaient pas installés depuis longtemps, tout au plus depuis deux ou trois siècles : nous savons maintenant que c'est parce qu'auparavant le delta était encore immergé (É) Le lien entre l'abaissement du niveau de la mer et le développement de la civilisation égyptienne est clair : il existe, en effet, comme nous allons le voir maintenant, une très bonne concordance entre les dates "Carbone 14" égyptiennes et celles de la sortie du Delta de la mer vers - 4700 (É) On data ainsi une quantité de restes attribuables à l'activité humaine, dans le Delta, la vallée du Nil et aussi dans les régions qui entourent cette vallée. Cela a permis de savoir qu'à tel moment du passé l'homme occupait - ou n'occupait pas - ces lieux. Et de cette manière l'on a fait une constatation très curieuse. Dans toute l'étendue du royaume du Sud, c'est-à-dire dans la haute vallée du Nil à partir du sud du Caire, ainsi que dans ses prolongements dans le Soudan actuel, on trouve des artefacts humains jusque bien au-delà de - 20000 (É) On trouve aussi de nombreux vestiges très anciens dans ce qui est aujourd'hui la Palestine et la Jordanie, ainsi que sur le territoire de la Libye. Bref, toute cette région du Proche-Orient s'est révélée, grâce au Carbone 14, très anciennement peuplée, dès le paléolithique supérieur. Toute la région, sauf le delta du Nil. Pour celui-ci, les dates Carbone 14 ne commencent en effet que vers - 4200, soit 3000 av. J.C. Mais à partir de ce moment, très vite, elles deviennent très nombreuses. Tout se passe en fait comme si l'implantation humaine n'avait eu lieu dans le Delta qu'à partir de cette date, alors que partout ailleurs, comme on vient de le dire, elle existait depuis longtemps."

Ces résultats montrent que le mouvement de la civilisation égyptienne du Sud vers le delta du Nil est corrélé à l'abaissement du niveau de la mer et recoupent parfaitement la tradition rapportée par les Anciens [19].

 

Si les textes hiéroglyphiques qui ont subsisté ont permis de reconstituer la chronologie des dynasties qui se sont succédé sur le trône de l'Egypte ancienne, les datations ont aidé à en vérifier l'exactitude. Réciproquement les méthodes de datation physico-chimiques ont pu tester leur validité en confrontant leurs résultats aux dates anciennes déjà historiquement situées dans le temps avec certitude. Lorsqu'il y a un décalage, le problème est soulevé et étudié de part et d'autre.

 

L'antériorité de la royauté en Basse-Nubie ainsi que son lien et rôle capital dans la genèse de la civilisation égyptienne. C'est grâce aux datations qu'on a pu se rendre compte que l'origine de la civilisation égyptienne se situe en Basse-Nubie :

 

- d'une part, en étudiant les figures gravées sur l'encensoir découvert à Qustul, dans une tombe du cimetière L appartenant à la population dite du groupe A de Nubie, lui-même daté de la seconde moitié du 4e millénaire, vers 3200 BC ; le chercheur américain Bruce Williams y reconnut la longue couronne blanche de la Haute-Egypte, le dieu faucon Horus, la façade d'un palais rappelant celle du domaine funéraire de Djoser [20],

 

- d'autre part, en déterminant l'âge de la ville préhistorique découverte dans la région de Nabta. Certes les Egyptiens anciens eux-mêmes disaient qu'ils étaient originaires du sud. Mais aujourd'hui, nous en avons la preuve matérielle et certaine [21]. De même, les civilisations anciennes de la Nubie :

- 'Groupe A' de -3500 à -2700,

- 'Groupe C' de -2240 à -2100,- Kerma : de -1730 à -1580,

- Napata : de -900 à -600,

- Méroé : de -500 à 400 après Jésus-Christ

 

ont-elles pu être reconnues à partir de l'archéologie et des datations, en liaison avec les documents égyptiens. Il est à noter que les datations par le radiocarbone d'échantillons archéologiques tendent à vieillir certaines phases de la civilisation égyptienne. Tel est par exemple le cas de l'Ancien Empire égyptien qui débute avec la IIIème dynastie marquée en particulier par le règne du pharaon Djoser et le savant divinisé Imhotep, et qu'il faudrait repousser de 300 à 400 ans dans le passé [22] et donc placer vers 3000 avant J. C.

 

L'ensemble de ces nouveaux éléments, qui d'une manière générale montrent que les faits de civilisation relatifs à la Nubie et à l'Egypte ancienne doivent être reculés dans le temps, invitent à réviser en profondeur la chronologie et l'image habituellement proposée de la genèse des civilisations nilotiques ainsi qu' à évacuer toute synchronisation arbitraire entre la chronologie du Bassin du Nil et celle de la Mésopotamie [23]. Ce sont autant de confirmations de la pertinence scientifique des travaux de Cheikh Anta Diop et de ses continuateurs.

 

b) La métallurgie du Fer [24]

 

La métallurgie du fer de gisement est aussi, rappelons-le, beaucoup plus ancienne en Afrique que ne l'admettait l'opinion générale. Si l'on combine le tableau établi par J.P.Mohen ('Métallurgie préhistorique', Paris 1990, reprise dans History of Humanity, vol 2, UNESCO, 1996, p.19) avec les plus anciennes dates obtenues récemment par G. Quéchon et al. au massif de Termit (entre le lac Tchad et le Massif de l'Aïr) [25] nous obtenons le tableau suivant :

 

 

Site

Définition

Date B.C.

Nickel

Conclusion

Niger oriental :

Egaro (ouest de Termit)

 

Objets divers

 

 

2520-1675

2900-2300

 

 

No

No

 

 

Reduced

Reduced

Égypte :

Gisa

 

Abydos

 

Rust, Valley of the Temple M

Rusted tool, pyramide of Cheops

Lump of rust_

 

2565-2440

2565-2440 ?

2345-2181

 

No

No

No

 

Reduced

Reduced

Reduced

Égypte : Buhen (Nubie)

Lance-head

1991-1786 ?

No

Reduced

Niger oriental :

Termit

Tchire Oumma146

Gara Tchia BO 48 b

 

Objets divers

 

 

1870-1130

1810-1375

 

 

No

No

 

 

Reduced

Reduced

Vestiges les plus anciens de fer de minerai en Afrique

MesopotamiaTell

AsmarTell

Chagar Bazar

Alaça

Blade of dagger with Cu handle

Fragment No. 5, tomb G.67

Dagger blade. Tomb K

2450-2340

2400-2100

 

No

No

No

 

Reduced

Reduced

Reduced

Cyprus : Lapithos

Rough bead, tomb 313

1800-1750

No

Reduced

Comparaison avec la Mésopotamie et l'Ile de Chypre

J.P Mohen signale également un instrument en fer (ne comportant pas de pourcentage de nickel) découvert dans une tombe datée de 5000 BC à Samarra en Iraq, au sujet duquel on s'interroge. Par ailleurs, la lame du poignard de Tell Asmar avait disparu par oxydation ; ce qui fut analysé ce sont quelques parcelles adhérentes au manche, c'est-à-dire des parcelles d'oxyde provenant de la décomposition de la lame. Dans ce cas, la constatation de l'absence de nickel n'est guère probante. Notons que les dates obtenues à Egaro permettent de considérer comme possible l'origine ouest-africaine des quelques échantillons de fer de minerai trouvés en Egypte et datant de l'Ancien Empire (2565-2181), d'autant qu'en Mésopotamie, les dates sont comprises entre 2450 et 2100, sauf à confirmer celle de Samarra.

 

Nous ne reprenons pas ici les dates obtenues à Ndalane au Sénégal car il s'avère que la fouille n'a pas été réalisée selon les règles et qu'en conséquence, le charbon dément daté à Dakar (Sénégal) et à Gif/Yvette (France), pourrait ne pas être du même âge que l'outil en fer découvert dans le fond du tumulus. De nouvelles fouilles seraient donc nécessaires avant de confirmer ou infirmer la date ancienne précédemment retenue. En revanche, de nouvelles dates significatives ont été obtenues en 1998/99 : au Cameroun pour le site d'Oliga (zone nord de Yaoundé) une série de dates s'échelonnant de 1300 avant J.C. à 567 ap. J.C. (cf. Paléo-anthropologie en Afrique Centrale, Michèle Delneuf et al., l'Harmattan, 1999, chap. XIV, 'L'archéologie de l'âge du fer au Cameroun méridional' par Joseph-Marie Essomba). En Centrafrique, dans la région mégalithique de Bouar au site de Gbabiri (site 77), les dates corrigées tombent vers 800 BC (cf E. Zangato, 1999, BAR, Cambridge, série monograph. African Archaeology n°45 - cf. aussi Journal des Africanistes n° 65-95,2). Ainsi l'ancienneté et l'endogénéité de la paléo-sidérurgie africaine sont-elles maintenant indiscutables et indiscutées. La carte schématique ci-après résume la répartition des sites du fer antérieurs au 6e siècle avant J.C. Dans la moyenne vallée du fleuve Sénégal, le site de Sincu Bara a été découvert en 1972 par A. Ravisé. Il a été occupé sur une période allant du 5ème siècle au 12ème siècle après J.C. [26].

 

c) Agglomérations et vie économique en Afrique subsaharienne [27]

 

L'archéologie et les datations apportent des éléments nouveaux sur l'habitat et l'économie de l'Afrique subsaharienne dans les temps anciens. Les deux exemples les plus frappants pour l'Afrique occidentale sont :

 

1. La civilisation de Nok-Taruga [28] (Nigéria, au nord de la Basse-Bénoué), caractérisée principalement par ses figurines en terre cuite et la présence du fer, et dont les dates C14 s'échelonnent de -3 500 à + 200.En fait, faute de fouilles assez nombreuses et systématiques, il n'existe que peu de dates pour la région de Nok. Les deux dates les plus anciennes, 3500 BC et 2000 BC ont été décrétées inacceptables depuis quarante ans. L'ancienneté du fer au massif de Termit, qui pourrait dépasser 2500 BC, oblige à reconsidérer cette question. Actuellement, les dates généralement admises pour la civilisation de Nok ne remontent pas au-delà du 9e ou 10e siècle BC. On ne saurait trop insister sur la priorité qu'il faudrait accorder à la région de Nok comme lieu de fouilles approfondies d'autant que dans la région de Termit les datations ont révélé que les objets en fer ont été trouvés dans des couches plus anciennes que celles qui contiennent les vestiges de fourneaux (Do Dimmi), sauf erreur de ma part.

 

2. La cité de Jenné-Jeno [29] (près de l'actuelle Djenné au Mali), qui date du 3e siècle BC, comme les premières agglomérations urbaines de l'Ethiopie. C'est grâce aux travaux remarquables de S. et R. Mc Intosh (1980) [30] que l'existence de Djenné-Djeno a été révélée. Personne auparavant n'imaginait qu'une cité ait pu naître en Afrique occidentale avant le 3e siècle AD, sinon plus tard encore.

 

En ce qui concerne Jenné-Jeno, les datations effectuées pour le Mali et l'Ethiopie ont donc révélé que la cité malienne a la même ancienneté que les premières villes éthiopiennes. S. et R. Mac Intosh ont pu en outre établir que la région de Djénné (Jenné) est en pleine expansion depuis la fin du premier millénaire A.D. et que cette expansion n'est pas due au commerce transsaharien mais bien au développement interne d'un réseau commercial de plus en plus complexe ce qui est confirmé par des fouilles menées à l'ouest du lac Debo. La naissance de l'empire de Ghana a été aussi reculée de plusieurs siècles. On la localise maintenant vers le 3e siècle A.D. (après J.C.).

 

Grâce aux datations, G. Connah a pu démontrer que les objets d'art, notamment en cuivre, des Royaumes anciens Yoruba (Ilé-Ifé, Oyo) et Bénin sont antérieurs à l'arrivée des navigateurs européens. Certains datent du 13e siècle, mais leur origine est très antérieure. Le site Igbo-Ukwu à l'est du fleuve est daté du 9e siècle après J.C. d'après G. Connah. Il a livré plus de 150 000 perles de pierre et de verre et des centaines d'objets artistiques en cuivre et en bronze. D'autres vestiges ont été datés du 15e siècle par la méthode de la thermoluminescence (G. Connah, 1987, African Civilizations, Precolonial cities and States in Tropical Africa, Cambridge, University Press, p.136). à Ifé, G. Connah signale que la principale période où des pavements ont été élaborés, va du 12e au 15e siècle (dates C14 et par la thermoluminescence), d'après T. Shaw (1980, p.376).

 

En Afrique orientale, les nécropoles de Sanga et de Katoko, dans la haute vallée du Congo, (Graben de l'Upemba), ont été datées du 8e siècle AD environ (F. Van Noten, Histoire générale de l'Afrique, Unesco, vol.2 p.691). L'auteur remarque en particulier l'abondance et la qualité des objets en fer et en cuivre. A Bigo, en Ouganda, des ouvrages de terre 'immenses' (talus et fossés) ont été datés des 15e /16e siècles AD, par le radiocarbone. Les 6800 ruines d'Engarouka qui ont fait couler beaucoup d'encre, sont datées de 330 (±90) AD à 1460 (±90) AD. Elles se trouvent à la frontière Kenya/Tanzanie, entre la côte et le lac Victoria Nyanza.

 

Au sujet de 'Great Zimbabwe’ dont les constructions cyclopéennes ont tant étonné les premiers immigrants ou voyageurs européens, on reste finalement peu renseigné. 'Le niveau de 'l'acropole' correspondant au début de l'âge du fer, a été daté d'avant le 4e siècle AD " écrit B. Fagon (Université de Californie, Santa Barbara) dans le vol.4 de l'Histoire générale de l'Afrique, (Unesco, p.583 et sq). Diverses publications sur la question ne sont pas plus précises (P. Garlake, 1973, G. Connah, 1987).

 

L'apogée du Mwene Mutapa se situe au 13e siècle, et sa chute, au 15e. Plus au sud, Mapungubwé aurait été le centre le plus important au 12e siècle, selon Huffman (1978 et 1982), cité par G. Connah.

 

 

9. Discussion et conclusion

 

Depuis une quarantaine d'années que les datations physico-chimiques se multiplient, la vision que l'on pouvait avoir de la préhistoire a été progressivement, mais complètement renversée. Il s'est avéré qu'à tous les stades de l'hominisation, y compris celui de l'Homme moderne, l'Afrique orientale est restée le lieu où les mutations majeures se sont d'abord produites, tant dans l'anatomie du squelette que dans l'évolution des industries lithiques, mais toujours de façon décalée dans le temps.

 

Les périodes arides, donc de difficultés de survie et de rassemblement à proximité de points d'eau, ont toujours été un facteur de progrès. Le rôle des datations dans la connaissance de ces processus a été fondamental. Mais en ce qui concerne le phylum humain, la génétique a apporté, de son côté, des éléments essentiels. Si le consensus a été acquis assez facilement au stade des Homo erectus, il n'en fut pas de même au stade de l'Homme moderne (Homo sapiens sapiens).

 

C'est tout récemment seulement qu'ont été abandonnées les théories soutenues à l'encontre de celle dite de 'l'arche de Noé' selon laquelle seuls les Hommes modernes d'Afrique ont échappé à l'extinction et ont remplacé complètement les derniers descendants des Homo erectus évolués et/ou des Homo sapiens archaïques et/ou des Néandertaliens qui s'étaient perpétués en Asie et en Europe, plus ou moins longtemps.

 

Les travaux de l'équipe de généticiens chinois et texans qui ont démontré que les Hommes modernes extrême-orientaux étaient, eux aussi, des Africains (Proceedings of the National Academy of Sciences, Etats-Unis, vol.95, septembre 1998) rendent caduques :

 

1) la théorie dite du candélabre selon laquelle chaque continent aurait eu sa lignée propre à partir d'Homo erectus (polygénisme).

2) la théorie dite réticulaire selon laquelle (les Néandertaliens d'Europe mis à part) des échanges constants de gènes entre Asie et Afrique auraient unifié le patrimoine génétique des premiers hommes modernes par de très fréquentes migrations réciproques. C'est transformer en phénomène prépondérant un fait qui n'a pu être que marginal et localisé durant la préhistoire.

 

Certains spécialistes (comme M. Wolpof aux USA, Wu Xhingsi en Chine, R. Thorpe en Australie, ...) tendent à revenir maintenant à la théorie polygéniste en raison de la constance des formes 'asiatiques' de la tête osseuse à différents stades de l'hominisation en Chine, et, aussi, en raison de la permanence des types locaux d'industire lithique vers -60000.Mais, jusqu'à présent, les lacunes chronologiques et morphologiques ne sont pas comblées, et le Dr. J.N. Biraben, par exemple, indique à juste titre, qu'une ' évolution sur place en plusieurs régions éloignées pour donner les différents types humains actuels [variantes d'un même Homo sapiens sapiens] ... supposerait des convergences si nombreuses, que ce serait un cas unique dans l’histoire des êtres vivants ". (J.N. Biraben et M.L. Marcillo, 1977, 'Les étapes du peuplement des continents', in Actes du Congrès International de Mexico sur la population).

 

Cette position monogéniste a été, depuis, entièrement confirmée par la génétique (cf. J. Chaline, Un million de générations, Editions du Seuil, 2000, chapitre 15). Les faits relevés à son encontre peuvent facilement s'expliquer par une ou plusieurs migrations à des stades successifs d'évolution de ressortissants africains dotés d'une morphologie 'asiatique'[31], localisés dans une région d'Afrique orientale géographiquement favorable à un déplacement vers l'Asie du Sud. L'unique site moustérien (sans homme fossile associé) daté de 60000 ans, situé au Nord-Ouest de la Chine, laisse simplement supposer qu'un nouvel arrivant, Homo sapiens archaïque récent ou Néandertalien d'Uzbékistan, n'a pas dépassé cette région dans sa marche vers l'Est, tandis que des Homo erectus évolués, et/ou des Homo sapiens archaïques plus anciens, perduraient encore à cette date dans l'ensemble de la Chine, - l'Homo sapiens sapiens lui-même n'y arrivant que vers 20000 BC.

 

L'idée selon laquelle les Hommes modernes européens auraient pu être issus des Néandertaliens est réfutée et abandonnée depuis plusieurs années. Tout au plus certains spécialistes évoquent la possibilité de quelques hybridations entre Néandertaliens et Hommes modernes. De même pour les hommes modernes africains qui auraient pu rencontrer en Asie des descendants tardifs d'Homo sapiens archaïques ou d'Homo erectus évolués. Cela supposerait une interfécondité qui n'est pas démontrée.

 

Il est clair aujourd'hui que les Néandertaliens ont constitué une lignée latérale, marginale, en cul-de-sac. La lignée africaine, continue, constitue le tronc. Aussi est-il étonnant qu'on puisse voir présenter dans la littérature de vulgarisation la section chronologique située entre l'Homo sapiens archaïque et l'Homme moderne de Cro-Magnon sous le titre 'Les Néandertaliens et leurs contemporains'. C'est d'autant plus choquant que les premiers hommes anatomiquement modernes typiques d'Afrique orientale sont nés plus de vingt mille ans avant les Néandertaliens typiques. De même, le fossile capital Omo 1 peut être présenté avec les Homo sapiens archaïques en signalant discrètement qu'il est anatomiquement moderne. Dans les deux cas, les branches latérales sont mises en évidence tandis que le tronc est escamoté.

 

Par ailleurs, si le Paléolithique inférieur africain est décrit logiquement, en commençant par l'Afrique orientale, il n'en est pas de même à partir du Paléolithique moyen. L'habitude est conservée de commencer par l'Afrique du Nord alors que le Maghreb apparaît comme une zone terminus où les hommes arrivent de temps en temps - soit après avoir traversé le Sahara (seulement si la phase pluviale a été assez longue et assez accentuée) - soit en longeant la côte depuis la Basse-Egypte. Les gisements y sont très sporadiques par rapport à l'Afrique orientale et plus récents à niveau égal d'industrie ou de stade d'hominisation. Quand l'isthme hispano-marocain a été utilisé lors de la régression rissienne, c'est dans le sens sud-nord, ainsi que l'a expliqué H. Alimen, car les stations à hachereaux en Europe ' montrent que ces pièces sont issues de l'acheuléen africain ". Il en est de même pour l'isthme siculo-tunisien. Avec cet ordre géographique, cette succession de tableaux régionaux (sans lien entre eux) indépendante de l'ordre chronologique, le lecteur n'a plus en tête qu'une mosaïque d'industries et de fossiles, sans fil conducteur.

 

Si peu nombreuses que soient encore aujourd'hui les datations, elles permettent déjà de se faire une idée du processus de développement des hommes et de leurs industries à partir de l'Afrique orientale durant le Paléolithique moyen et le Paléolithique supérieur.

 

Ce n'est qu'à partir d'environ 12000 ans avant J.C. que cette primauté de l'Afrique orientale disparaît au profit du sud du Sahara Oriental, de la Basse-Nubie et de la Haute-Egypte et aussi de certaines régions d'Asie proches de l'Afrique orientale c'est-à-dire un certain nombre de sites de l'Asie occidentale où l'Homme moderne est arrivé très tôt en passant par l'isthme de Suez et où il a trouvé des conditions de vie analogues : groupes humains dont la survie exige qu'ils s'organisent à proximité de points d'eau et de cours d'eau en climat aride ou semi-aride.

 

En tout cas, il apparaît que dans la littérature on n'accorde pas à Omo 1 la place qu'il occupe réellement dans l'évolution chronologique et anatomique de l'Homme. Il y a lieu d'insister sur le fait qu'il est, à ce jour, le plus ancien Homme moderne (ou Homo sapiens sapiens) connu ; il a été trouvé in situ, les caractéristiques de son crâne sont claires, et il a été daté d'environ 130 000 ans par la méthode de l'Uranium-Thorium. Même si la suspicion persiste quant à la fiabilité de cette datation, en supposant une approximation de 10000 ans (en moins ou en plus), ce fossile de l'extrême sud de l'Ethiopie reste l'attestation la plus sére et la plus ancienne de l'apparition de notre ancêtre direct caractérisé principalement par le développement du lobe frontal du cerveau. Ë ce jour, il est, à l'échelle mondiale, le fossile clé.

 

Cependant, il faudrait pouvoir dater les 'Hommes de Kanam-Kanjéra’ découverts sur les bords du lac Victoria-Nyanza en 1932, mais dans un contexte stratigraphique discuté. Il s'agit d'une portion de mandibule, de fragments de crânes et d'une portion de fémur dont H. Alimen a écrit que ' les anthropologistes ont été unanimes à les regarder comme des Homo sapiens ... la mandibule ainsi que les os du crâne sont seulement plus épais que ceux des hommes modernes " (Préhistoire de l'Afrique, 1955 p.391). Dans le volume 1 de l'Histoire générale de l'Afrique (Unesco, 1980 p.476 et 552), R. Leakey et J.D. Clark leur attribue une ancienneté de 200 000 ans environ. L'industrie associée est classée acheuléenne. Il serait du plus grand intérêt de les réétudier et de dater les os eux-mêmes. Il serait également nécessaire de dater les couches inférieures de la grotte de Matupi (située dans le Nord-Est du Congo-Kinshasa) dont on sait qu'elles sont antérieures à 40000 ans.

 

Parmi les sites et vestiges qui devraient aussi concentrer les efforts prioritairement, indiquons la région de Nok (Nigéria), les ruines de Télé Nugar (Tchad), la région Nord-Est de la Centrafrique, le site de Ndalane au Sénégal. La liste pourrait s'allonger.

 

En fait, comme l'écrit Graham Connah, les régions prospectées sont comme des ' îles d'information dans un espace où les archéologues n'ont pas encore fouillé le centième de ce qui devrait l'être ".

 

La tâche qui reste à accomplir est certes considérable, mais elle est indispensable à la connaissance de la préhistoire du monde et de l'histoire de l'Afrique. Il serait donc souhaitable que les organismes et fondations à vocation culturelle contribuent 1°) à former davantage d'archéologues africains 2°) à organiser des fouilles plus nombreuses dans des sites particulièrement significatifs (ainsi que le repérage de sites prometteurs jusque là passés inaperçus), et enfin 3°) à faciliter les datations.

 

L'apport des datations à la connaissance de l'Afrique sur la période s'étendant de la fin de la civilisation égypto-nubienne au XVIème siècle confirme l'hypothèse de travail formulée par Cheikh Anta Diop en 1954 dans Nations nègres et Culture, puis reprise dans l'Afrique noire précoloniale en 1959, portant sur la continuité et la corrélation historiques entre les civilisations nègres de la vallée du Nil et celles contemporaines ou ultérieures (comme les grands empires de l'Afrique de l'Ouest : Ghana, Mali É) situées plus à l'intérieur du continent. Il convient aussi de se reporter aux travaux de A. M. Lam dans De l'origine égyptienne des Peuls (1993, Présence Africaine/Khepera) et Les Chemins du Nil (1997, Présence Africaine/Khepera). Son étude des migrations anciennes en Afrique l'a conduit à conclure : "Le départ initial est bien l'Egypte ; mais comme le danger vient du nord, les contraintes géographiques de la région ont obligé les populations à se replier vers le sud avant un ébranlement définitif qui va les disperser dans le continent" (Les Chemins du Nil, p. 164).

 

Les résultats des datations conduisent à proposer une réactualisation de la chronologie du passé africain depuis la préhistoire. Une nouvelle vision en découlera tout en faisant apparaître les périodes où l'effort de connaissance doit être intensifié en faisant appel à toutes les sources : l'archéologie, la linguistique, les textes, la tradition orale, la génétique, etc. D'autre part, les nouvelles données devraient être insérées dans les manuels scolaires et universitaires.

 

 

Notes et références bibliographiques

 

1. Cheikh Anta Diop, Physique nucléaire et chronologie absolue, IFAN-Dakar/NEA, Dakar/Abidjan, 1974 ; P. R. Giot, L. Langouet, La datation du passé - La Mesure du Temps en Archéologie, Revue d'Archéométrie, GMPCA, Université de Rennes, 1984 ; E. Roth et B. Poty (sous la direction de), Méthodes de datation par les phénomènes nucléaires naturels. Applications, Ouvrage collectif, Paris, Masson, 1985. Michel Fontugne, 'Progrès de la datation par le Carbone 14', Archéologia, n°323, mai 1996, pp. 26-33.

2. Industrie lithique primitive caractérisée à Olduvaï (ou Oldoway).

3. Larsen C.S. Matter R.M et Gebo D.L, 'Human Origins. The Fossil Record', Waveland Press. 1991, cité par D. Grimaud - Hervé et al. op. cit.

4. Une 'bladelet industry’ est toutefois signalée sur la côte Atlantique du Maroc vers 27700 ans par Angela Close dans ‘Stone Age Préhistory' 1986, GN Bailey et P. Callow eds, Cambridge, p. 169 -180. Mais quel est son classement ?

5. Terme dérivé du nom du site préhistorique de Gafsa en Tunisie.

6. LL. Cavalli-Sforza et al., 'Reconstruction of human Evolution : Bringing together Genetic, Archaeological and Linguistic Data' Pro. Ntl Acord-Sci.USA, vol. 1985, pp. 6002-6006, August 1988, après les si remarquables articles de G. Bräuer depuis 1982 et plus spécialement : Bräuer, G. (1984b). 'A craniological approach to the origin of anatomically modern Homo sapiens in Africa and implications for the appearance of modern Europeans'. In : Smith, F. H. and F. Spencer (eds), The Origins of Modern Human. A World Survery of the Fossil Evidence, A.R. Liss, New York : 327-410.

7. Cheikh Anta Diop, 'Histoire primitive de l'Humanité : Evolution du monde noir', Bulletin de l'IFAN, T. XXIV, série B, n° 3-4, 1962, p. 449 ; Cheikh Anta Diop, 'L'apparition de l'Homo sapiens", Bulletin de l'IFAN, T. XXXII, série B, n°3, 1970, pp. 623- 641.

8. Cro-Magnon est alors devenu abusivement synonyme de Homo sapiens sapiens ou homme moderne (ce qui embrouille singulièrement la compréhension du processus).

9. E. Genet-Varcin (1979) note que 'les négroïdes de Grimaldi sont plus proches de Combe Capelle (qualifié d'éthiopique) que de Cro-Magnon" (p. 181 et sq.). Elle affirme que la composante sapiens du fossile de Combe Capelle a évolué lentement, tandis que celle correspondant à Cro-Magnon, d'ailleurs différente, 'a connu une expansion rapide". Ce qui s'accorde bien avec l'hypothèse de Cheikh Anta Diop.

10. L. M. Diop, Thèse de Doctorat d'Etat, Université Paris I Panthéon-Sorbonne, 1983, Document de synthèse, Bibliothèque de la Sorbonne, p. 34, 43, 45.

11. Babacar Sall, 'Hommes et Cultures du Sahara ancien', ANKH, n° 6/7, 1997-1998, pp. 121-137. E. Genet-Varcin (1979) note (à propos des hommes de Djebel Irhoud), que les hommes d'Afalou bou Rhummel qui ont servi à caractériser l'homme de Mechta, ont, en fait, un prognatisme alvéolaire (pp 244 et 268). Et ces hommes sont apparentés à ceux de Wadi Halfa É Comment sont-ils décrits ? : Epaules larges, allongement caractérisé des avant-bras et des jambes, trou nasal platyrrhinien, mâchoire inférieure puissante, avulsion des incisives médianes supérieures comme chez de nombreux hommes fossiles d'Afrique noire (cf. H. Alimen, 1955, p. 400).

12. Cf. L. M. Diop-Maes, Afrique noire : démographie, sol et histoire, Paris, Présence Africaine/Khepera, pp. 287-288 ; Ivan Van Sertima, Ils y étaient avant Christophe Colomb, Paris, Flammarion, (1976) traduction française 1981.

13. Une barque de pêcheurs africains est arrivée récemment sur cette côte avec 2 survivants sur 5 (Cf. film documentaire : 'Les premiers hommes d'Amérique' de J. Cl. Bragard (G.B., 1999) qui néanmoins fait venir ces premiers hommes de type noir,  d'Australie !).

14. J. McKim Malville, F. Wendorf, A. A Mazar, Romuald Schild, 'Megaliths and Neolithic astronomy in southern Egypt', Nature, Vol 392, 2 April 1998, pp. 488-491.

15. Günter Dreyer, 'Recent Discoveries at Abydos Cemetery U', in The Nile Delta in Transition : 4th-3rd millenium B.C., Tel Aviv, E.C. M. Van Den Brink Editor, 1992, pp. 293-299.

16. Cf. Mario Beatty, 'Recent finds in Predynastic Egypt', dans ce même numéro de ANKH.

17. Stephen H. Savage, 'AMS Radiocarbon Dates from the Predynastic Egyptian Cemetery, N700, at Naga-ed-Dêr', in Journal of Archaeological Science, 25, 1998, pp. 235-249.

18. Jacques Labeyrie, L'Homme et le Climat, Paris, Editions Deno‘l, 1985.

19. Cf. Jacques Labeyrie : "Les méthodes de datation développées au CEA", in Revue Générale Nucléaire, RGN, n° 6, novembre-décembre 1989, p. 446 ; voir aussi ANKH, n°1, éditorial inaugural, 1992.

20. Bruce Williams, "Excavations between Abu Simbel and the Sudan frontier, part I - The A-group royal cemetery at Qustul : Cemetery L", University of Chicago, Oriental Institute Nubian Expedition, Vol. III, Chicago, 1986. Voir aussi ANKH, n° 6/7, 1997-1998.

21. Bulletin d'Information Archéologique (BIA) dans son n° 5 couvrant la période janvier - juin 1992.

22. Herbert Haas et al., 'Radiocarbon Chronology and the Historical Calendar', in Egypt, Chronologies in the Near East, Aurenche O., Evin J. and Hours F. eds. BAR International Series, 1987, pp. 585-598. Voir aussi, Brunet Albert, Actualité : 'Le pied du pharaon Djéser va-t-il changer l'histoire de la IIIe dynastie’, in Archéologia n°323, mai 1996, p. 5 '(...) ou alors, la chronologie de la IIIe dynastie doit être repoussée dans le passé de trois à quatre siècles, ce que d'autres résultats récents tendent à accréditer. C'est l'opinion du groupe de chercheurs - Eugen Strouhal, M. F. Gabalah, G. Bonanai, W. Woelfi, A. Nemeckova et S. Saunders - qui communiquèrent leurs conclusions à Cambridge, lors du VIIe congrès international des Egyptologues, en septembre dernier."

23. Fekri A. Hassan, Steven W. Robinson, 'High precision radiocarbon chronometry of ancient Egypt, and comparisons with Nubia, Palestine and Mesopotamia', in Antiquity, 61, pp. 119-135, 1987 ; Andrew R. Millard and Toby A.H. Wilkinson, 'Comment on 'AMS Radiocarbon Dates from the Predynastic Egyptian Cemetery, N700, at Naga-ed-Dêr' by S. H. Savage', in Journal of Archaeological Science, 26, 1999, pp. 339-241.

24. Cf. L. M. Diop, 'La question de l'åge du Fer en Afrique', in ANKH, n°4/5, 1995-1996, pp. 278-302.

25. G. Quéchon, F. Paris, J.F. Saliège, Journal des Africanistes, 62, 2, 1992, pp. 55-68.

26. Cf. H. Bocoum, P. Fluzin, 'Réduction et traitement du fer à Sincu Bara (Sénégal)', dans le présent numéro de ANKH.

27. L. M. Diop, Afrique noire - Démographie, sol et histoire, Paris, Présence Africaine /Khepera.

28. Yashim Isa Bitiyong, 'Culture Nok, Nigeria', in Vallées du Niger, ouvrage collectif, Paris, RMN, pp. 393-413.

29. S.K. et R.J. Mac Intosh, 'Les prospections d'après les photos aériennes : régions de Djenné et Tombouctou', in Vallées du Niger, ouvrage collectif, Paris, RMN, pp. 239-248.

30. S.K. et R.J. Mac Intosh, 'Prehistoric investigations at Djenne, Mali', British Archaeology Report, Int. Series, 80 ;

31. Environ 20% des hommes fossiles africains

Cartes de sites archéologiques

Sites d'hommes fossiles importants (ˆ partir d'Homo ergaster).

 

 

Divers sites archéologiques (néolithiques, préhistoriques, historiques) en Afrique.

 

Sites anciens du fer en Afrique antérieurs au 5e siècle av. J.C.

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